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II – Contexte scientifique, technique et

institutionnel du programme

MUSORSTOM-TDSB

Cette section a pour but de présenter les principaux éléments techniques, scientifiques et institutionnels qui prévalaient au début du programme MUSORSTOM-TDSB afin de mettre au jour les principales transformations de ces trois domaines qui l’ont affecté au cours des quarante dernières années.

1 - Voir les fonds : cartographie et observation

Lors de la première campagne MUSORSTOM en 1976, les récoltes se font quasi à l’aveugle. On ne dispose pas de carte bathymétrique précise des fonds, on connaît mal le relief. Une étape marquante des années 1980 est l’acquisition du sondeur multifaisceaux sur les navires

de recherche français et l’utilisation de l’altimétrie satellitaire qui améliorent considérablement la précision des données bathymétriques. Le sondeur multifaisceaux est un système sonar qui permet de cartographier les fonds marins avec une haute résolution et précision, sur une large bande de part et d’autre de la route du navire (fauchée d’environ 4 fois la hauteur d’eau) (LGO, s.d.). Le sondeur émet une onde acoustique qui se propage dans la colonne d’eau, se réfléchit sur le fond et retourne au sondeur. Les sondeurs multifaisceaux sont des sondeurs bathymétriques ayant en complément une fonction imagerie qui permet d'acquérir simultanément l'information sur la profondeur et la nature du fond (SHOM, s.d.). La démonstration de sa performance est mise en avant lors d’une expédition de 1971. Le CNEXO (voir ci-dessous) et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) ont en effet lancé un programme franco-américain FAMOUS (French American Under Sea Study) entre 1971 et 1974, qui a pour principal objectif d’identifer les phénomènes géologiques qui se produisent sur la marge d’une plaque en voie de formation, vers 3000 m de profondeur. Les submersibles utilisés sont l’Alvin du côté américain, la soucoupe Cyana et le bathscaphe l’Archimède du côté français. L’objectif est de cartographier une zone sur 100 km, moitié par les Américains, moitié par les Français. Ce travail fut réalisé en une journée par les Américains, équipés à bord d’un sondeur multifaisceaux, là où les Français mirent un mois. Non seulement les données de ce programmme confirment la théorie de dérive des continents, mais en plus les performances du sondeur multifaisceaux furent sans appel (Laubier, 1992) . Le Jean Charcot fut le premier navire de recherche français à être équipé du sondeur multifaisceaux à partir de 1985 (Figure ChapI-1) et la campagne BIOCAL du programme MUSORSTOM-TDSB qui se déroula la même année en a bénéficié. La maîtrise de cet outil implique aussi celle du logiciel de traitement des données associé (Doumenge, 1990). Si le Jean Charcot est équipé d’un sondeur multifaisceaux en 1985, ce n’est qu’en 2001 qu’il équipe le navire de recherche Alis fréquemment utilisé pendant le programme TDSB (DTSI, 2009). Avant, les marins de l’Alis se débrouillent avec les quelques données satellites et les cartes peu précises, on ne disposait alors pas d’information sur la nature du fond. Beaucoup de monts-sous-marins ont été découverts pendant les campagnes en Nouvelle-Calédonie (Bouchet, Héros, Lozouet, & Maestrati, 2008a). Comme le passage ci-dessous extrait de l’entretien avec Michel Roux en témoigne, c’est la combinaison des deux types de données - par le satellite et par le sondeur multifaisceaux - qui permet d’avoir des cartes bathymétriques précises. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la couverture des satellites soit suffisante et assurer un repère fiable pour étalonner les cartes reconstruites à

partir des données du sondeur multifaisceaux Sea-Beam dont le Navire Jean-Charcot était équipé.

« Les deux avancées marquantes au 20e siècle sont le sondeur multifaisceaux et les satellites. Mais avant que l’un comme l’autre soit assez précis, il a fallu attendre un peu. Effectivement, l’arrivée des satellites de communication se fait dans les années 70 mais avant qu’il y ait assez de satellites pour être efficace – surtout dans les zones pas peuplées, comme au milieu de la mer – il a fallu attendre. Pendant la campagne CALSUB en 1989, on disposait de cartes seabeam faites au sondeur multifaisceaux faites par le Jean Charcot mais pour descendre en soucoupe à un site particulier, ça restait pas évident. Pour être précis, on utilisait un pinger, bâton qui émet des ondes acoustiques et on peut retrouver le site grâce aux ondes. Ce procédé était très souvent utilisé pour retrouver les sites des sources hydrothermales. Le problème est que le pinger était très cher et que souvent on cherchait à les récupérer, ce qui pouvait être très long et gaspiller notre temps bateau. Les cartes seabeam utilisées pendant la campagne CALSUB se calaient d’après des cartes marines. Or, pendant cette campagne, on a vraiment eu la chance de pouvoir bénéficier d’un point impeccable donné par les satellites, un coup de bol ! Les cartes seabeam nous indiquait une information incohérente : au milieu de la mer, la carte nous positionnait sur la terre. On n’était pas très loin de la côte non plus, mais cela voulait dire que ces cartes étaient décalées, même si les mesures étaient finalement bonnes mais décalées. Pour utiliser le sondeur multifaisceaux bien, il faut bien le caler. Dans les années 90, la multiplication des satellites de communications a permis une progression importante. Plus besoin de pinger pour retrouver les sites. Il y a vraiment eu un bon en avant grâce aux satellites de télécommunications. » (Entretien Michel Roux)

En plus d’outils qui permettent de faire des cartes bathymétriques précises, la possibilité d’observer la faune marine des profondeurs, comme au cours de la campagne CALSUB avec la soucoupe CYANA, modifie profondément le rapport à la faune y résidant. Effectivement, ces images vont permettre de donner des informations inaccessibles jusque là sur l’habitat et la manière dont la faune vit. Mais au-delà de l’intérêt scientifique, biologique et géologique que permettait une telle avancée technique, c’est aussi une course à la performance technique pour conquérir les profondeurs qui s’engage. Les bathyscaphes sont des submersibles conçus pour que des hommes puissent aller explorer au plus profond. Depuis le premier bathyscaphe – baptisé FNRS II - réalisé par Auguste Piccard en 1939, dont la première mise à l’eau en 1948 se fait avec Théodore Monod à bord et permettra d’atteindre 25 mètres de profondeur, on ateindra en 1960 les 10 916m de profondeur (Figure ChapI-1).

Suite à la première mise à l’eau du FNRS II, le commandant Jean-Yves Cousteau et Philippe Tailliez entreprirent d’améliorer la conception du bathyscaphe en construisant le FNRS III, avec le soutien du FNRS (Fond national de la recherche scientifique belge), de la Marine national Française et du CNRS.

      FigureChapI-1 Frise sur les techniques et gran des ex plora tions et hypo th èse s scie ntifiques

De vives tensions entre Auguste Piccard et les institutions françaises apparurent rapidement après la signature de la convention franco-belge, si bien qu’Auguste Piccard confia aux chantiers navals de Trieste la construction du nouveau bathyscaphe, le Trieste. C’est finalement le FNRS III qui fut terminé en premier, en 1953, suivi du Trieste, quelques mois plus tard. La convention franco-belge stipulait que si l’engin dépassait les 2000 m de profondeur, il deviendrait propriété de la France. Ce fut une véritable compétition qui s’engagea entre les deux submersibles à celui qui irait le plus profond, assistée par les médias. Le FNRS III atteignit rapidement les 2100 m de profondeur, alors que le Trieste en était encore à 40 m de profondeur, bien que, très peu de temps après, ce dernier attegnit les 3150 m. Le FNRS III fut remis à la France, et en 1954, ce dernier atteint son record de 4 050m, qu’il ne dépassa jamais par la suite. Une nouvelle quête franco-américaine s’engagea par la suite : le projet B 11 000 fut concrétisé par une convention FNRS, CNRS, Marine nationale Française pour que le FNRS III rebaptisé l’Archimède atteigne les plus grandes profondeurs (au moins 10 000 m de profondeur) alors qu’Auguste Piccard, avec l’appui financier de la marine Américaine, continua à perfectionner le Trieste pour dépasser lui aussi les 10 000 m de profondeur. Dans nouvelle cette course à la profondeur, le Trieste se posa le 23 Janvier 1960 à 10 916 m, dans la fosse du Challenger (Figure ChapI-1).

A partir des années 1950, les observations in situ grâce aux submersibles modifient les représentations de la diversité marine. Ces observations mettent en évidence que la faune abyssale abrite des organismes communs. Cette idée est illustrée dans cet extrait de Jacques Piccard, écrit à la suite de sa plongée record à 10 910 mètres dans la fosse des Mariannes, le 23 janvier 1960 :

Au moment où nous arrivâmes sur le fond, après quatre heures et trente minutes, nous eûmes la chance immense de voir, juste au milieu du cercle de lumière apportée par un de nos projecteurs, un poisson. Ainsi donc, en une seconde, mais après des années de préparation, nous pouvions répondre à la question que des milliers d’océanographes s’étaient posée. La vie, sous forme supérieurement organisée, était donc possible quelle que soit la profondeur (IFREMER, s. d.)

Les plus grandes profondeurs s’offrent alors à l’œil des scientifiques, comme la fosse de Porto-Rico en 1964, qui descend jusqu’à 8 400m de profondeur, la fosse de Matapan (Grèce) en 1965, les fonds volcaniques au large de Madère (1966), les Fosses du Japon (1967) et la région orientale des Açores entre Sao Miguel et Santa Maria (1969).

Ces bathyscaphes permirent d’observer notamment la neige marine, filaments divers en suspension dans l’eau, et d’appréhender aussi l’importance de ce flux organique vers les milieux profonds. Ils sont conçus pour atteindre de grandes profondeurs. Pour résister aux fortes pressions, ils sont fabriqués en acier, ce qui les rend très lourds, peu mobiles et difficilement embarquables.

Le premier submersible léger grande profondeur est l’Alvin, financé par la Marine américaine et mis à l’eau en 1964. Il atteint jusqu’à 4 500 mètres de profondeur et permet d’embarquer un pilote et deux scientifiques. En France, c’est en 1969 qu’est mis à l’eau le premier submersible léger, baptisé soucoupe Cyana, pouvant aller jusqu’à 3000 mètres de profondeur avec un pilote et un scientifique. Ces submersibles sont équipés de paniers de prélèvement et d’un bras télémanipulateur qui permet de saisir des objets et de manier des instruments. Cela permet de complèter les images prises à bord par les appareils photo avec quelques prélevements.

Le Nautile est le submersible français de troisième génération, mis en service en 1984, qui permet d’aller jusqu’à 6000 mètres de profondeur (Figure ChapI-1). Ses moyens de prise de vue et de prélèvement sont perfectionnés par rapport à Ses prédesseurs. Il est aussi équipé de capteurs qui permettent d’obtenir des mesures chimiques variées (depuis la température jusqu’à la conductivité de l’eau de mer). De plus, le Nautile peut être relié par un câble à un robot (Remotely Operated Vehicule -ROV) qui permet d’aller dans des zones inaccessibles pour le Nautile.

L’Epaulard est le premier engin français d’observation autonome inhabité (Autonomous Underwater Vehicule - AUV) et peut atteindre jusqu’à 6000 mètres de profondeur. Le navire support lui transmet son trajet par voie acoustique. L’engin est équipé d’un appareil photo puis, à partir de 1983, il est doté d’un système de transmission d’image télévisuelle par voie acoustique.

Dans cette course internationale à la conquête des profondeurs, les moyens navals de la recherche française – surtout du CNEXO – comptent parmi les plus développés et les seuls en Europe.

Comme on le verra en détail dans la section suivante, les sources hydrothermales sont découvertes par les Américains en 1977 à 2 500 m de profondeur au niveau de la dorsale des Galapagos (Lonsdale, 1977; Corliss et al., 1979). Les campagnes françaises d’exploration des sources hydrothermales ont par la suite recours aux moyens navals de haute technologie,

subsmersibles et robots. L’exploration de ces sites requiert en effet de disposer de submersibles et d’adapter les outils de prélèvements à ces conditions physico-chimiques extrêmes. Tous les pays ne disposaient pas des moyens navals nécessaires à une telle exploration et la France était le seul pays européen à pouvoir le faire, fin des années 1970. « Les pays qui ont développé des programmes d’exploration des sources hydrothermales sont ceux qui disposaient des moyens nécessaires, submersibles et navire de recherche. Les pays qui en disposaient sont les Américains, les Russes, les Canadiens et les Français. La France était le seul pays européen qui pouvait avoir les moyens d’une telle exploration. » (Entretien Daniel Desbruyères)

Les sections 2 et 3 cherchent à caractériser le contexte scientifique commun au programme d’exploration des sources hydrothermales et au programme MUSORSTOM-TDSB afin d’identifier leurs différences ainsi que l’impact du premier sur le second.

2 - La découverte des sources hydrothermales et