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En 1984, l’ISPTM est fusionné avec le CNEXO pour former l’IFREMER car on estimait que l’ISPTM restait « cantonnée aux missions de contrôle des pêche et de conchyliculture, au détriment de ses activités de recherche » (IFREMER & ENA, 1988). De plus, le CNEXO était critiqué « du fait qu'il donnait la priorité à ses propres programmes en négligeant son rôle d'agence de moyens au service de la communauté scientifique » (p315, IFREMER & ENA, 1988). L’Ifremer est un EPIC (Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial) qui détient davantage de moyens en mer que les 3 autres opérateurs français (IRD, IPEV, CNRS-INSU).

À partir de 1985, la coordination des programmes scientifiques qui recourent aux moyens navals des quatre opérateurs français est assurée par l’Ifremer, en tant qu’agence de moyens « au service » de la communauté scientifique (IFREMER & ENA, 1988). Les navires hauturiers de l’ORSTOM – le Vauban puis l’Alis (Roederer & Bless Burclé, 2005), qui sont les principaux bateaux utilisés par le programme MUSORSTOM-TDSB – ne seront inclus dans cet ensemble que tardivement (après les années 2000).

Au sein de la flotte océanographique française, le CNEXO (puis IFREMER) a un double rôle en tant qu’opérateur et en tant que coordinateur de la programmation des campagnes. Les écarts de moyens et le poids des partenariats avec les industriels dans les campagnes d’Ifremer introduisent une différence importante par rapport aux autres opérateurs. Dans un ouvrage co-édité par l’IFREMER et l’ENA sur les enjeux et les richesses de la mer, la recherche océanographique est définie selon son rapport à la ressource. « Tout d'abord, le terme recherche en mer a un double sens : la recherche du produit (exploration pétrolière, pêche), la recherche pour améliorer l'accès au produit ou le rendement (aquaculture, technologie). Dans le premier cas, les contraintes de la recherche sont principalement techniques. La recherche en mer s'exerce en effet dans un milieu hostile qui rend les conditions d'exploitation particulièrement difficiles. Dans le second cas, les caractéristiques de la recherche en mer se rapprochent davantage de celles de la recherche en général. » (p298, IFREMER & ENA, 1988). Cette conception de la recherche est tournée vers les appliations.

Le passage suivant, tiré d’un rapport ministériel sur la flotte océanographique française, insiste aussi sur l’implication d’IFREMER par rapport à la recherche appliquée par rapport aux autres opérateurs. « Le modèle d’IFREMER est très différent des autres opérateurs à plusieurs égards. Tout d’abord, son rôle d’opérateur de flotte (…). Deuxième différence importante, ses missions ne sont pas seulement de recherche, mais aussi d’expertise et de développement technologique, en sorte qu’une partie notable des activités qui mobilisent sa flotte, ne bénéficie pas à la seule sphère de la recherche publique. Enfin, il s’agit d’un EPIC : l’activité doit être, structurellement, financée par des ressources propres, qui viennent compléter sa subvention pour charges de service public, allouée par le ministère chargé de la recherche. » p36 (Bellec, Girardet-Maillard, Imbert, & Bonaccorsi, 2015)

Un des sujets de tension pour les usagers scientifiques de la flotte vient du déséquilibre de la mise à disposition des moyens navals d’IFREMER entre les industriels et les scientifiques. D’après Françoise Gaill, dans les années 1990, les chercheurs ne disposaient pas de beaucoup d’opportunités pour bénéficier des bateaux IFREMER (4 campagnes maximum par an) et étaient limités pour les zones à explorer. « La compétition pour avoir accès aux navires d’IFREMER était rude. Dans les années 1990, il fallait attendre jusqu’à 5 ans pour pouvoir réaliser une campagne avec les moyens d’IFREMER. » (entretien avec Françoise Gaill). Marqué par les partenariats d’IFREMER, le choix et la cadence des sites des sources hydrothermales explorées sont orientés par les choix des industriels. Comme Nadine Le Bris le souligne dans son entretien, pendant les campagnes IFREMER des sources hydrothermales, « Le choix des sites explorés n’était pas forcément en accord avec des stratégies de recherche en fondamentale mais liée aux besoins industriels. »

Les justifications applicatives de l’exploration des sources hydrothermales sont très présentes lorsque les chercheurs d’IFREMER sont interrogés et dans les rapports annuels du CNEXO et d’IFREMER. Cet extrait issu de l’entretien avec Daniel Desbruyères souligne cette particularité : « Le programme MUSORSTOM-TDSB est avant tout un programme faunistique, je trouve que c’est difficile à présenter, on arrive difficilement à passionner les gens avec un inventaire. Mais je pense que pour les gens qui travaillent là-dessus, c’est passionnant. Au CNEXO et IFREMER, il ne fallait jamais dire qu’on faisait des inventaires, même si on en faisait. » Ainsi, il semble que malgré des pratiques communes, la différence s‘exprime dans la manière de les justifier. Une campagne IFREMER ne semble pas pouvoir avoir uniquement des motivations fondamentales.

Lorsque Philippe Bouchet est interrogé sur les raisons de son implication dans le programme, il explique qu’il avait un intérêt scientifique pour aller explorer le domaine bathyal mais qui était décalé par rapport à ceux de son époque, tournés vers l’exploration de l’extrême - qu’il soit hydrothermale ou abyssale - et le déploiement technique des moyens navals « Je me rappelle d’être conscient qu’à l’époque on cherchait toujours à aller au minimum à 3 000 ou 4 000 m de profondeur parce qu’on a des bateaux pour le faire, et on portait aucun intérêt à aller voir ce qui se passait pour les « petites profondeurs ». J’ai voulu influencer le CNEXO sur ces « petites profondeurs ». Mais il n’y avait rien à faire. « (Entretien Philippe Bouchet) Par la suite, des actions de structuration de la flotte océanographique française sont engagées afin de répartir au mieux les moyens de la flotte. A partir de 2008, une Très Grande Infrastructure de recherche (TGIR) de services « utilisées par différentes communautés scientifiques et technologiques, et éventuellement des industriels » est mise en place (Bellec et al., 2015). Elle est suivie en 2011 de la mise en place d’une Unité Mixte de Service (UMS) flotte par convention entre le CNRS-INSU, l’IFREMER, l’IPEV et l’IRD. Cette UMS est une unité de gestion de la flotte qui cherche aussi à préserver l’autonomie des opérateurs dans la gestion de ses navires. Le rôle principal de l’UMS est d’assurer la coordination des programmations des navires océanographiques effectuées par chacun des organismes. L’instance dirigeante (CODIR) de cette UMS est composée des quatre représentants des opérateurs et des représentants de la structure d’évaluation des campagnes scientifiques. L’objectif du CODIR est « d’assurer une gestion coordonnée de la TGIR FOF, prioritairement au service de la communauté scientifique » (Bellec et al., 2015). A partir de 2012, un conseil d'orientation stratégique et scientifique (COSS) de la flotte océanographique française est chargé de la coordination de la TGIR. Toutes ces réorganisations visent à harmoniser au mieux les programmes de recherche. Plusieurs types de demandes sont prises en compte par le TGIR FOF : les missions de service public, de partenariat avec d’autres organisations publiques (comme la Marine Nationale), les conventions de recherche – industrie, les projets de recherche et les activités de formation.

Une évolution marquante de l’organisation de la flotte océanographique française est la mise en place d’un système d’évaluation scientifique des campagnes qui ont recours à ces moyens. Si les moyens navals de l’IRD ont fini par intégrer la commission flotte, c’est aussi pour la reconnaissance apportée par le processus d’évaluation des campagnes. Cette évaluation s’est mise en place progressivement à partir des années 1990.

Elle s’appuie sur les résultats scientifiques obtenus plusieurs années après le retour de mission. L’indicateur d’évaluation est celui des publications scientifiques, ouvrages ou articles. « L’évaluation nationale des demandes de campagnes scientifiques sur le hauturier était réalisée, jusqu’en 2008, par trois commissions thématiques inter˜ organismes, initialement coordonnées par l’IFREMER. À la demande du ministère, elles fusionnent, à compter de 2009, en une seule commission « interdisciplinaire », la CNFE (commission nationale flotte et engins) » (Bellec et al., 2015). Anne-Marie Alayse détaille dans le passage ci-dessous le processus d’évaluation des campagnes à la mer : « Pour accéder à ces équipements qui sont des équipements nationaux, les équipes scientifiques doivent préparer des dossiers de proposition de campagne à la mer qui sont évalués par des experts puis par des commissions. Pour la flotte hauturière et les deux navires de façade de l’IRD, les dossiers sont analysés dans la même commission. Chaque scientifique qui souhaite obtenir une campagne prépare un dossier qui sera examiné par trois experts (dont un si possible étranger) puis par une des commissions thématiques. À partir des évaluations et des classements effectués par ces commissions, des projets de calendriers sont élaborés par les gestionnaires des flottes Ifremer, IRD et IPEV, projets qui sont soumis à la Commission nationale « Flotte et Engins » pour validation. »

Différents chercheurs du programme MUSORSTOM-TDSB sont sollicités par la commission flotte pour évaluer scientifiquement des campagnes. Depuis 2015, Philippe Bouchet a intégré le COSS. Ces évaluations s’appliquent uniquement aux campagnes de service public, ce qui soulève des tensions au sein de la commission flotte (Bellec et al., 2015). En effet, une grande partie des campagnes, notamment celles en partenariat avec les industriels, n’est pas soumise à l’évaluation.

4.4 – La place de la taxonomie dans les approches