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3.2 L ES CHANGEMENTS COGNITIFS

3.2.1 La vitesse de traitement

La question de la relation entre efficience des opérations intellectuelles et vitesse de traitement a attiré l'attention de plusieurs chercheurs. Salthouse et Babcock (1991), Salthouse (1992) et Salthouse et Meinz (1995) pensent que la vitesse de traitement est une variable intermédiaire qui explique la majorité des différences observées dans l'efficience cognitive des sujets âgés. Selon

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Fehereisen (1994, cité par Van der Linden et Hupet, 1994) la vitesse d'exécution des opérations cognitives conditionne la qualité et la quantité de la performance.

La question de vitesse a été étudiée depuis longtemps chez les Pk et a été étiquetée sous le terme de "bradyphrénie". Nous traitons dans ce qui suit de la vitesse de traitement en termes cliniques (bradyphrénie) puis en termes expérimentaux comme un paramètre physiologique quantifiable expérimentalement.

3.2.1.1 La notion de bradyphrénie

Étymologiquement, la bradyphrénie réfère à une lenteur (brady) des processus de la pensée (phrénie). C'est un terme conçu par Naville (1922 ; cité par Brown et Marsden, 1990) pour désigner la diminution de l'attention volontaire, de l'initiative, de la capacité d'effectuer des efforts avec une fatigabilité et un léger affaiblissement de la mémoire.

Selon certains auteurs (Rogers, 1986 ; Gibb, 1989), la bradyphrénie est assimilable à la notion de "démence sous-corticale". Il s'agit d'une entité clinique qui inclue une série de symptômes très présents dans la mP : apathie, inertie mentale, lenteur d’utilisation de notions acquises antérieurement (akinésie psychique) et même des troubles de l’attention. Pate et Margolin (1994) distinguent entre bradyphrénie et lenteur cognitive non spécifique. Ils proposent de réserver le terme bradyphrénie chez les Pk à la co-présence de la lenteur et de la démence. Sur le plan moteur, les Pk déments ne sont pas plus lents que les non déments, alors qu'ils présentent une lenteur cognitive. Les Pk bradyphrénes ont le même niveau de performance cognitive générale que les malades d'Alzheimer débutants, mais sont plus déficients dans les tests d'attention (Mayeux et al., 1987).

3.2.1.2 Vitesse de traitement, dépression et akinésie (lenteur motrice)

L’un des problèmes méthodologiques rencontrés au cours de l’évaluation est de pouvoir différencier la lenteur cognitive de la dépression et de la lenteur motrice souvent présentes dans la mP. Les patients qui ont une lenteur cognitive sont souvent très déprimés et / ou très akinétiques.

En effet, la lenteur psychomotrice est une composante importante de la dépression. Elle figure même dans les critères diagnostiques de la dépression du DSM III-R (1989). Cependant, la relation entre lenteur motrice et dépression est controversée. Rogers et al. (1987) constatent que la lenteur cognitive est améliorée après un traitement par des agonistes dopaminergiques qui améliorent en même temps la dépression. Ceci indiquerait selon les auteurs, l’existence d’une relation étroite entre lenteur cognitive et dépression, celle-ci pouvant être basée sur un mécanisme dopaminergique. En revanche, Mayeux et al. (1987) suggèrent que la vitesse cognitive est plus liée à la démence qu'à la dépression. Les composantes N2 et P3 des réponses cérébrales évoquées par des stimuli auditifs sont prolongées chez les Pk déments contrairement aux Pk non déments.

Mayeux et al. (1987) notent que les performances des Pk déprimés (5 parmi les 15 Pk examinés, plus un dysthymique) ne diffèrent pas de ceux des patients non déprimés dans des épreuves de TR simple ou de choix. De plus, ils n'obtiennent pas de corrélation significative entre le score à l'échelle de dépression de Hamilton et la vitesse cognitive. Ces résultats sont compatibles avec ceux de Cooper et al. (1991) qui remarquent que les performances à des tâches cognitives ne sont pas influencées par la sévérité de la dépression telle qu’évaluée par la Beck. Toutefois, les Pk déprimés ont un déficit moteur plus important.

Comme la dépression, la lenteur motrice peut influencer la vitesse cognitive. En effet, la plupart des opérations mentales exigent une réponse motrice. L’akinésie est un symptôme de base dans la mP, elle est directement liée à la dénervation dopaminergique nigrostriatale. Les études physiologiques confirment la prolongation dans la mP, aussi bien le temps d'exécution du mouvement que le temps de réaction (Evarts et al., 1981). Cependant, Cooper et al. (1991) suggèrent que la composante cognitive est indépendante de la déficience dopaminergique qui sous-tend les difficultés motrices. Rafal et al. (1984) examinent l'analogie entre bradyphrénie et bradykinésie, e montrent que la lenteur de la pensée n'est pas affectée par la dopa-thérapie et n'accompagne pas la bradykinésie.

3.2.1.3 Étude de la vitesse de traitement par la chronométrie mentale

Les études portant sur la vitesse de traitement se basent sur les techniques de chronométrie mentale. Ce sont des méthodes de mesure temporelle du flux d'informations dans le système nerveux humain (Posner, 1986). La méthode de chronométrie mentale la plus simple est l'utilisation des TR comme variables dépendantes. Ces procédures expérimentales servent à mesurer la vitesse de traitement et permettent ainsi de comprendre la nature des déficits attentionnels associés. Deux variétés de procédures sont à distinguer : les TR simples (TRS) et les TR de choix (TRC).

• Dans une tâche de TRS, le sujet est invité à donner une réponse unique (appuyer sur un bouton) dés l'apparition d'un stimulus. Le TRS est le temps qui sépare le moment d'apparition du stimulus de l'émission de la réponse. La procédure de TRS est un cas particulier de détection sans incertitude sur la présence ou l'absence du stimulus, ni sur le choix de la réponse ;

• Dans une tâche de TRC, le sujet doit donner une réponse spécifique (appuyer sur un bouton) dés l'apparition d'un stimulus donné parmi d'autres. Le TRC est un cas particulier de détection avec incertitude sur la présence ou l'absence du stimulus et / ou sur le choix de la réponse. Les procédures de TRS peuvent être utilisées pour examiner le niveau d'alerte lorsque les stimuli sont précédés par un signal avertisseur. Elles sont plus utiles dans l'examen de la vitesse du circuit sensori-moteur que dans l'analyse de la vitesse des opérations cognitives en soi. Elles exigent en effet moins de traitement cognitif que les procédures de TRC.

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Dans les TRC, les sujets sont invités à faire des choix. Ainsi, la prolongation du TR en fonction de la complexité de la tâche refléterait des différences dans le traitement central associées à l’identification des différents stimuli et à la sélection des stratégies de réponse. Pour faire des inférences sur la vitesse de traitement, on diminue expérimentalement la demande motrice de la tâche et on varie la composante cognitive.

Les travaux expérimentaux utilisant des procédures de TR chez des Pk, fournissent peu d'arguments empiriques en faveur d'une lenteur de traitement cognitif. Wilson et al. (1980) utilisent la procédure de Sternberg et ne notent de lenteur cognitive que chez des Pk âgés au delà de 65 ans. Toutefois, dans cette étude, les auteurs ne spécifient pas la durée de la maladie, sa sévérité ni la présence éventuelle d'une dépression. Ce manque de précision peut également être relevé à travers le travail de Zimmerman et al. (1992) qui rapportent une lenteur cognitive chez les Pk débutants et non traités, sans pour autant donner d'informations sur la présence ou non d'une dépression ou d’une démence chez leurs sujets. Howard et al. (1990) mettent l'accent sur les failles méthodologiques de l'étude de Wilson et al. (1980). Ils répliquent l'expérimentation en contrôlant les facteurs âge, QI, dépression, durée et sévérité de maladie, mais ne constatent pas de différence significative entre les Pk et les Té même âgés.

L'examen des performances des Pk rapportés dans les travaux sur les TRS et les TRC permet de relever trois types de résultats :

 Evarts et al. (1981) ; Bloxham et al. (1984) ; Sheridan et al. (1987) et Pullman et al. (1988) notent que les Pk sont déficients dans les tâches de TRS mais pas dans les tâches de TRC. Ces résultats sont interprétés en termes d'un déficit de pré-programmation puisque dans les TRS, la réponse est la même dans tous les essais et les sujets peuvent pré-programmer la réponse avant l'apparition de la cible.

 À l'opposé, Lichter et al. (1988) constatent un déficit sélectif dans les TRC et non dans les TRS. Ceci suggère selon les auteurs des difficultés de programmation, c'est à dire, de sélection et de formulation de programmes centraux de réponses.

 Enfin, d'autres auteurs ne rapportent pas de différences entre les performances dans les TRS et les TRC. Soit que les deux sont normaux (Talland, 1963) ou que les deux sont déficients (Mayeux et al., 1987).

Ces résultats sont discordants, mais il y a de plus en plus d'arguments en faveur de l'absence de ralentissement cognitif chez les Pk dans les tâches de TR (Howard et al., 1994). Gibb (1989) pense que ceci serait dû à la facilité de ces tâches.

Aussi, plusieurs chercheurs ont essayé une autre piste d'examen de la lenteur du traitement cognitif en l’explorant par des tâches plus complexes que celles des TR. Ainsi, Morris et al. (1988) observent une augmentation du temps de réponse dans une tâche informatisée de la Tour de Londres. Brown et Marsden (1988) de leur côté enregistrent une prolongation du temps de réponse dans une tâche informatisée du Stroop. Enfin, Taylor et al. (1987) attestent d'un allongement du temps de réflexion dans le Trail Making Test, même si la vitesse motrice est contrôlée (différence de temps B-A). Or, dans ces tâches complexes, la lenteur des Pk peut indiquer un trouble de stratégie cognitive plutôt qu'une véritable lenteur de traitement cognitif central. En effet, cette dernière hypothèse est confirmée par Pillon et al. (1989). Ces auteurs analysent les performances des Pk à travers le test des 15 objets et une tâche de discrimination de 15 dessins d’objets superposés. Ils constatent que dans le test des 15 objets, à mesure que la tâche devient difficile, la lenteur augmente du 1er

au 12ème

objet identifié. De plus, la réussite dans cette tâche dépend de l'efficience de plusieurs fonctions exécutives comme l'élaboration de stratégies et l'inhibition. La lenteur du traitement cognitif démontrée dans cette étude parait donc être due, plus au type de tâche en question qu'à une lenteur de vitesse de traitement cognitif per se.