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3.2 L ES CHANGEMENTS COGNITIFS

3.2.4 Les fonctions mnésiques

3.2.4.5 La mémoire de travail

Les concepts de mémoire de travail, mémoire primaire et MCT réfèrent au même système mnésique (Ashcraft, 1989). Le concept de MT est plus approprié pour rendre compte du système à capacité limitée responsable du maintien temporaire et de la manipulation de l'information pendant la réalisation de diverses tâches cognitives. La MT est assimilable à une table de travail ou à une ardoise mentale, un espace où l'effort mental conscient prend place (on line information) (Baddeley et Hitch, 1974). L'analyse du fonctionnement de ce système chez les Pk a été faite, dans plusieurs travaux, de façon disparate. En effet, les données disponibles sur l'empan verbal et non verbal, de même que sur certaines fonctions exécutives sont issues en majorité de travaux ne se référant pas à des modèles théoriques. De plus, notre connaissance du fonctionnement de la MT des Pk est dans la grande majorité des cas inférée plutôt qu'expérimentée (Gabrieli, et al., 1996). Ainsi, la répétition passive et immédiate de chiffres (Hietanen et Teräväinen, 1988) et le BTT (Morris et al. 1988 ; Bradley, 1989 ; Sullivan et Sagar, 1989) sont généralement préservés même chez les patients qui ont une installation tardive de la maladie (Dubois et al., 1990), une réponse modérée à L-dopa (Taylor et al., 1987) ou une démence (Huber et al., 1989). De plus, les Pk montrent un effet de récence comparable à celui des sujets normaux (Cohen, 1980). Les difficultés n'apparaissent qu'avec l'introduction d'interférence.

Les Pk sont déficients dans la procédure de Brown-Peterson qui implique le maintien de l'information en présence d'interférence, exigeant ainsi plus de ressources de traitement (Tweedy et al., 1982 ; Cooper et Sagar, 1993). Cooper et Sagar (1993) administrent une procédure modifiée de Brown-Peterson avec des délais de rappel (0, 3, 6, 9, 15, et 30 sec.), des durées d'exposition des stimuli (1, 2, 4 et 8 sec.) et des soustractions de 3 comme tâche distractrice. Ils constatent que les Pk rappellent moins d'items que les Té. Leur performance s'améliore avec l'augmentation de la durée d'exposition (mais pas de façon linéaire comme les Té) et se détériore en fonction du délai de rappel. Les Pk tirent des bénéfices modestes du temps additionnel. Ceci prouve, d'après les auteurs, qu’ils font moins d'opérations d'encodage par unité de temps. L'hypothèse d'une réduction du taux de traitement de l'information n'est pas rejetée. Les performances des Pk ne sont pas associées aux difficultés motrices ni au score de dépression ou à la durée de la maladie. Le déficit de MT chez les Pk paraît, donc d'après Cooper et Sagar (1993), relever de la vitesse de traitement de l'information et de l'élaboration d'indices pertinents de récupération. Le déficit dans la procédure de Brown-Peterson est documenté aussi bien sur un matériel verbal que non verbal (Sullivan et al., 1993). Ce déficit est similaire à celui observé chez les Alzheimers (Huber et al., 1989).

Bradley et al. (1989) testent le système verbal et visuo-spatial de la MT chez les Pk dans différentes conditions d'interférence. La tâche visuo-spatiale comporte une mémorisation et une reproduction sur une feuille d'une route qui vient d'être projetée dans un film vidéo, puis d'une discrimination "droite - gauche" de différents points de cette route. Dans la tâche verbale, les auteurs demandent aux sujets d'apprendre une phrase courte et de faire ensuite des décisions lexicales. Trois conditions de TR sont notées : une condition d'interférence visuelle, une condition d'interférence verbale et une condition sans interférence. Les résultats montrent que pour les tâches visuo-spatiales les TR sont plus longs chez les Pk que chez les Té. L'interprétation de cette dissociation n'est pas facile du fait que les deux tâches n'ont pas le même niveau de difficulté : les tâches visuo-spatiales étant plus difficiles que celles verbales, même pour les Té. Les auteurs en sont conscients et suggèrent que le déficit n'est pas dû à une réduction dans la capacité du RVS, mais à une difficulté d'utiliser les informations stockées dans ce sous-système pour réaliser des tâches visuo-spatiales complexes. En effet, la nature de la tâche n'est pas le facteur principal car les Pk n'échouent que lorsqu'on leur demande de générer eux mêmes la réponse et non quand on leur donne une tâche à choix multiples (Ransmayer et al., 1987). D'autres travaux ont montré que le déficit touche indifféremment les deux modalités (Sagar, et al., 1988; Sullivan et al., 1993).

De même, les Pk paraissent avoir des difficultés manifestes de gestion des ressources attentionnelles et de contrôle superviseur de l'action. Dans une première étude, Brown et Marsden (1988) analysent l'échec des parkinsoniens dans des tâches de contrôle interne vs externe en se référant dans l'interprétation des résultats, a posteriori, au modèle de MT et à celui du SAS. Les auteurs administrent une version informatisée du Stroop avec trois conditions. Dans la condition indicée, les stimuli sont des noms de couleurs écrits dans des couleurs non congruentes (rouge écrit en vert par exemple). La tâche consiste à lire les mots en ignorant la couleur d'impression ou dénommer la couleur d'impression en ignorant le mot. Le sujet doit changer de tâche "lecture ou dénomination" après l'apparition du mot "changer" sur l'écran. L'indiçage consiste à fournir des indices externes "encre" ou "mot" avant l'apparition de chaque stimuli. Dans la condition non indicée, les stimuli et la tâche sont les mêmes sauf qu'on ne donne pas d'indices externes. Dans la condition de contrôle, le sujet est invité à lire les mots écrits en blanc sur un fond noir. En prenant en considération le retard psychomoteur, les Pk paraissent aussi efficients que les Té dans la condition indicée. Cependant, les Pk sont moins performants que les Té dans la tâche non indicée. Les auteurs suggèrent que cette difficulté est due à une défaillance de l'AC dans son rôle de contrôle superviseur de l'action.

Plus tard, Brown et Marsden (1991) ont vérifié cette hypothèse en examinant des Pk et des Té à travers des tâches doubles. La tâche principale est la condition indicée du Stroop informatisé.

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Les tâches secondaires consistent en une tâche motrice (taper du pied), une tâche de suppression articulatoire (répéter itérativement le mot "blah") et une tâche de génération de chiffres au hasard. Les deux premières tâches secondaires sont peu exigeantes en ressources attentionnelles alors que la dernière est connue, et vérifiée par les auteurs, pour être exigeante en ressources attentionnelles. Les résultats montrent une augmentation du temps de réaction dans la tâche principale uniquement lorsqu'elle est accomplie avec la tâche de la génération de chiffres au hasard. Ceci indique que les Pk ont des difficultés de réalisation d'une tâche double exigeante en ressources attentionnelles. Les auteurs suggèrent que les Pk ont une "déplétion dans les ressources du traitement central". Or, les tâches utilisées par Brown et Marsden (1991) posent des problèmes de méthode car l'union du Stroop et de la génération de chiffres au hasard dans une tâche double est en mesure d'induire une interférence structurale. Ce qui rend l'interprétation des résultats difficile surtout que les Té sont avantagés sur les Pk dés le départ comme l'attestent les auteurs eux mêmes.

Owen et al. (1993a) étudient les performances de Pk à des tâches sensibles aux dysfonctionnements frontaux en utilisant entre autres une tâche de "mémoire de travail spatiale". Il s'agit d'une tâche de fouille spatiale auto-dirigée. Le sujet voit apparaître sur un écran d'ordinateur des boites fermées qui s'ouvrent et montrent leur contenu si on les touche. La tâche consiste à fouiller pour trouver un jeton qui se trouve dans l'une des boites et à le mettre dans une colonne à l'extrémité de l'écran. À chaque essai, le sujet est invité à chercher ce jeton jusqu'à le trouver. L'instruction clé est qu'une fois la boite ouverte contient un jeton, elle ne sera plus utilisée pour cacher d'autres jetons. Le sujet doit donc retenir "on line" l'identité spatiale des boites qui contiennent les jetons et des boites qu'il vient de toucher. Deux types d'erreurs de fouille sont notées : le sujet peut revenir à une boite où il a déjà trouvé un jeton (erreur inter- fouille), le sujet peut retourner à une boite qu'il a déjà ouverte (erreur intra- fouille). Les patients frontaux sont déficients dans cette tâche (Owen et al., 1990). Les Pk traités sont déficients dans la phase "Off" de la L-dopa et moins déficients dans la phase "On" (Lange et al., 1992).

Parmi les rares travaux qui ont examiné de près le fonctionnement de la MT chez les Pk dans le cadre des modèles de Baddeley et Hitch et Norman et Shallice, il y a celui de Gabrieli et al. (1996). Ces auteurs administrent 5 types d'instruments à un groupe de Pk et un groupe de Té : 1. Deux épreuves de MT issues des travaux de Salthouse et Babcock (1991). Une tâche d'empan

verbal et une d'empan arithmétique qui exigent le maintien en mémoire des derniers mots ou chiffres, tout en effectuant respectivement une tâche de complètement de phrase et des opérations arithmétiques ;

3. Trois épreuves de "mémoire stratégique" : une tâche de pointage auto-dirigé issue des travaux de Petrides et Milner (1982). Il s’agit de 10 pages comportant chacune un certain nombre de mots. Le sujet doit toucher tous les mots à raison de 1 mot par page en adoptant une stratégie et en conservant en mémoire les mots touchés. La deuxième est une tâche de reconstitution d'un matériel verbal (mots écrits sur des cartes) dans l'ordre temporel de sa présentation. La troisième est une tâche de rappel libre, de rappel des catégories des mots puis de rappel indicé. Les sujets effectuent une tâche interférente de calcul entre la présentation et le rappel ;

4. Une tâche de "mémoire déclarative non stratégique" de reconnaissance de mots;

5. Deux épreuves de mémoire sémantique : le subtest "Vocabulaire" de la WAIS-R et des tâches de fluence phonémique et sémantique.

Les résultats montrent que les Pk sont déficients dans les tâches de MT (verbale et arithmétique) et dans les tâches de "mémoire stratégique". Leurs performances aux épreuves de "Vocabulaire", de fluence et de "mémoire déclarative non stratégique" sont comparables à celles des Té. Les auteurs concluent que le déficit mnésique dans la mP n'est pas global. Il épargne la mémoire sémantique et la "mémoire non stratégique" ; toutes les deux ne dépendent pas, d'après les auteurs de l'efficience de l'AC. Les Pk montrent pourtant un important déficit de la MT. Ils ont en effet la moitié de l'empan des Té. Cette performance est, de surcroît corrélée avec le déficit aux tâches de "mémoire stratégique" et à la vitesse psychomotrice. Les auteurs discutent de la corrélation entre les performances aux épreuves de MT et de "mémoire non stratégique" en termes de causalité. Les performances en mémoire stratégiques seraient ainsi, la conséquence de la réduction de la capacité de la MT. Cette corrélation n'a pas nécessairement cette direction. De plus, les auteurs considèrent la tâche de fluence comme non stratégique alors qu'elle est décrite dans la littérature et par Baddeley lui-même (1993), comme nécessitant un contrôle continu de la production et une mise en jeu d'une stratégie de récupération. Enfin, le groupe expérimental est restreint (N = 10) et pourtant les auteurs utilisent des statistiques paramétriques (t et Anova).

C'est surtout Fournet et al. (1996) qui ont examiné le fonctionnement de la MT en analysant ses différentes composantes. Les performances de Pk sont comparées à celles de Té dans des tâches d'empan simple (mots, pattern visuel, position spatiale) puis dans des tâches doubles qui interfèrent avec deux conditions de suppression articulatoire : une simple où le sujet doit répéter itérativement "da" et l'autre exigeante où le sujet doit compter en ajoutant à chaque fois 3 à un nombre de 1 à 9. Les résultats montrent que les patients ont des performances médiocres aux tâches d'empan simple. Il existe un effet d'interférence et de charge dans la condition verbale, visuelle et spatiale mais aucune interaction avec l'effet groupe n'est notée. Ces résultats ne permettent pas de conclure à un déficit spécifique de l'AC. Le coût en ressources attentionnelles

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est le même pour les Pk et les Té. Ce résultat est très controversé en raison de la faible sensibilité des épreuves utilisées. Par ailleurs, l'intérêt de l'étude de Fournet et al. (1996) est qu'elle analyse explicitement dans le cadre du modèle de Baddeley et Hitch les différentes composantes de la MT. Elle n'examine malheureusement au sein de l'AC que la fonction de division des ressources attentionnelles, alors que les fonctions exécutives de l'AC ne sont pas approchées.

La première remarque générale est que peu de travaux portant sur la MT chez les Pk discutent leurs résultats en se référant à un modèle théorique. Les travaux les plus intéressants sont ceux de Bradley et al. (1989) ; Brown et Marsden (1991) ; Owen et al. (1993a) ; Sullivan et al. (1993) ; Fournet et al. (1996) et Gabrieli et al. (1996). Cependant, aucun de ces travaux n'a examiné toutes les composantes de la MT et/ou toutes ses fonctions. De plus, plusieurs travaux portent sur des petits effectifs (Bradley et al., 1989 : 16 Pk - 12 Té ; Fournet et al., 1996 : 15 Pk - 15 Té ; Gabrieli et al., 1996 : 10 Pk - 10 Té) sans recourir aux méthodes non paramétriques ni effectuer de transformations pour respecter les pré-requis des analyses de variance. Les outils utilisés sont parfois peu sensibles (Fournet et al., 1996), non équilibrés entre les modalités (Bradley et al., 1989) ou ayant une interférence structurale biaisant les résultats et rendant l'interprétation moins fondée (Brown et Marsden, 1991). Enfin, les résultats sont parfois controversés, nous discutons de l'origine de ces désaccords plus loin.