3.3 Pression et bilan détaillé
4.1.1 Vitesse dépendant de la densité v(ρ)
La manière la plus évidente est d’imposer explicitement une vitesse d’auto-
propulsion
v(ρ) aux particules. C’est une bonne description des interactions entre
certaines bactéries ou cellules qui interagissent par quorum sensing, en adaptant
leur motilité à la concentration d’une molécule qu’elles sécrètent. Ces molécules
diffusent dans le milieu et se dégradent, chaque individu mesurant ainsi une concen-
tration d’autant plus grande qu’il est entouré de nombreux congénères. Une telle
interaction peut également être induite chez des bactéries par ingénierie géné-
tique [26].
La question se pose alors de savoir comment les particules mesurent la densité
locale. Dans ce chapitre, nous étudierons successivement trois cas, schématisés à la
figure 4.1 : unv(ρ) purement local, un v(˜ρ) où ˜ρ est la densité moyennée de façon
isotrope dans un certain rayon d’interaction, et unv(˜ρ) où la moyenne est faite de
façon asymétrique par rapport à la direction d’autopropulsion d’une particule.
v(ρ) local
C’est en étudiant des particules actives dont la vitessev(ρ) dépend explicitement de
la densitéρ que la MIPS fut décrite pour la première fois par Tailleur et Cates [57,
101] (voir aussi [52] pour une revue récente). En particulier, ils ont pu montrer
4.1. Introduction
87
Figure 4.1 – Les trois façons de calculer la densité au voisinage d’une
particule que nous considérerons : une mesure de la densité purement lo-
cale (gauche), une moyenne isotrope dans un rayon d’interaction fini et une
moyenne anisotrope effectuée à une distance
εu de la particule.
que pour des systèmes d’ABP ou RTP autopropulsées à une vitesse
v [ρ(r)], la
probabilité d’observer un certain champ de densitéρ(r) est donnée par une énergie
libre de Landau
P[ρ] ∝ e
−F[ρ]. Le système satisfait alors le bilan détaillé par
rapport à cette distribution stationnaire. Comme pour la théorie de champ moyen
de la séparation liquide-gaz à l’équilibre, l’énergie libre de Landau peut s’écrire sous
la forme
F[ρ] =
Rdrf[ρ(r)]. Lorsque f(ρ) a une forme non-convexe, on observe
une séparation de phase. On peut alors utiliser
f (ρ) pour prédire (toujours au
niveau champ moyen) des densités de coexistence, par la construction de tangente
commune.
Dans la théorie de Tailleur et Cates, l’interaction est purement locale. En effet,
le champ de densité considéré est microscopique, défini formellement par
ρ(r) =
Xi
δ(r − r
i)
(4.2)
où
r
iest la position de la particule
i. Au niveau des équations hydrodynamiques,
le rayon d’interaction nul se traduit par une absence de tension de surface. En
pratique, on n’observe donc pas de coarsening et donc pas de séparation de phase
avec ce modèle. L’interaction purement locale est donc une approximation utile
dans une description continue mais ne permet pas d’observer réellement la MIPS.
De plus, il n’est pas possible d’implémenter une interaction de portée nulle dans
des simulations de particules en espace continu, comme le schéma de la figure 4.1 le
laisse apparaître. On peut toutefois l’implémenter sur réseau. Une particule au site
k se déplace dans ce cas avec une vitesse v(ρ
k), oùρ
kest le nombre de particules au
sitek. Le problème peut alors être résolu exactement pour des RTP [114]. L’énergie
libre effective est factorisée
F({ρ
k}) =
Pkf (ρ
k) et l’on observe une coexistence
entre des sites de faible et haute densité prédite par l’énergie libre mais pas de
coarsening, et donc pas de séparation de phase, comme illustré à la figure 4.2.
0 10 20 30 40 50 60 70 Occupation 10 20 30 Free Ene rgy 0 25 50 75 100 125 150 175 200 Lattice Position 0 20 40 60 Occup ati on
Figure 4.2 – RTP sur un réseau 1d. Une particule au site k se déplace à
une vitesse
v(ρ
k) où
ρ
kdénote le nombre de particules au site
k.
Gauche :
Énergie libre effective donnant de façon exacte la probabilité d’observer une
certaine occupation
ρ
ksur chaque site.Droite : Instantané d’un système de
200 sites avec 2400 particules. Figure reproduite de [114].
Pour observer la MIPS, il faut inclure des corrélations spatiales pouvant mener à
un coarsening et une séparation de phase. Ceci arrive naturellement lorsque l’on
considère un rayon d’interaction non nul. Nous montrerons comment ceci induit
l’apparition d’une tension de surface effective au niveau de l’hydrodynamique fluc-
tuante.
Dans un premier temps, nous considérerons une densité ˜ρ mesurée de façon
isotrope dans un rayon d’interaction
r
0. On utilise pour ce faire une convolution
entre un noyau
K(r), qui s’annule pour |r| > r
0, et la densité microscopique
ρ(r)
˜
ρ(r) =
Zdr
0K(r
0− r)ρ(r
0) =
X iK(r
i− r)
(4.3)
où la dernière égalité est obtenue en utilisant la définition de la densité microsco-
pique, équation (4.2). Une particule à la position
r se déplace alors à une vitesse
v(˜ρ).
Concrètement, pour des bactéries interagissant par quorum sensing, le rôle du
moyennage par le noyau
K est joué par la diffusion dans le milieu extérieur de la
molécule qui sert d’intermédiaire pour la mesure de densité. Le rayon d’interaction
est alors fixé par le coefficient de diffusion et le temps de vie de cette molécule.
Nous verrons que, par rapport au cas
v(ρ) local, le moyennage isotrope se
traduit par une tension de surface dépendant de la densité. À l’équilibre, la tension
de surface apparaît comme une contribution à l’énergie libreF
s=
R(c/2)|∇ρ|
2dr.
Elle contrôle alors la forme des interfaces pour un système séparé en deux phases,
mais ne joue pas de rôle dans la sélection des densités de coexistence. Au contraire,
nous verrons que dans notre cas la tension de surface ne peut pas être écrite comme
un terme supplémentaire dans l’énergie libre, et nous devrons donc étudier ses effets
sur la coexistence de phase.
4.1. Introduction
89
v(˜ρ) asymétrique
Nous étudierons finalement le cas où la mesure de la densité est anisotrope, dé-
pendant de la direction de déplacement des particules. Plus particulièrement, nous
considérerons que la moyenne est effectuée à une distance
εu de la particule (où u
est la direction d’autopropulsion). Les particules se déplacent alors à une vitesse
v(˜ρ(r + εu)) (voir figure 4.1).
Il est assez naturel de considérer cette situation pour des particules actives. Par
exemple, pour mesurer la densité d’une molécule dans le milieu, une bactérie réalise
une moyenne temporelle le long de sa trajectoire. En première approximation, on
peut donc considérer qu’une bactérie mesure la densité « derrière elle », la densité
à l’avant n’ayant pas encore été échantillonnée. Au contraire, les sphères dures
autopropulsées, que nous abordons au prochain paragraphe, interagissent par des
collisions qui sont en majorité frontales. On peut donc essayer de modéliser cette
situation par une densité mesurée à l’avant des particules.
Dans le document
Physique statistique de la matière active
(Page 87-90)