5.4 Séparation de phase ou microphases
5.4.2 Deux classes d’universalité pour la transition vers le mouve-
Les résultats des sections précédentes montrent que l’on peut obtenir deux
types de comportement pour la transition vers le mouvement collectif. Ceux-ci
semblent intimement liés à la présence (ou non) de fluctuations géantes de densité.
Dans le modèle d’Ising actif, comme dans les équations hydrodynamiques fluc-
tuantes avec une aimantation scalaire, les fluctuations de densité sont normales et
on observe une séparation de phase complète. Dans le modèle de Vicsek, comme
dans les équations hydrodynamiques avec aimantation vectorielle, les fluctuations
de densité sont géantes et s’accompagnent d’une séparation en microphases.
Dans cette section, nous voulons tester la généralité de ces deux classes d’uni-
versalité en étudiant d’autres modèles de spins actifs. En particulier, nous intro-
duirons un modèle XY actif, qui a la même symétrie que le modèle de Vicsek
mais une dynamique microscopique différente. Nous introduirons également un
modèle de Potts actif dans lequel chaque particule porte une « couleur » parmin.
En associant chaque couleur à une direction d’autopropulsion, on peut modifier
le nombre de directions possibles et ainsi obtenir des cas intermédiaires entre le
modèle d’Ising actif (deux directions) et le modèle XY actif (une infinité). Nous
étudierons ces modèles sur réseau, ce qui ne semble pas introduire de différences
qualitatives par rapport à des modèles similaires en espace continu (voir l’article E,
section VI.B, pour une version du modèle d’Ising actif en espace continu).
Modèle XY actif
On peut définir un modèle XY actif sur un réseau 2d d’une façon similaire
au modèle d’Ising actif. Chaque particule porte un spin continu
S
idonnant sa
direction d’autopropulsion. Elles sautent alors vers le site voisin dans la direction
u (avec u = (±1,0) ou u = (0, ± 1) pour les directions horizontales et verticales)
avec un taux
D(1 + εu · S
i). Les particules alignent également leur direction de
déplacement avec les particules présentes sur le même site. La dynamique de l’angle
θ
i, paramétrant le spinS
ide la particule
i, est donnée par l’équation de Langevin
˙
θ
i=−
∂H
∂θ
i+√2T ξ
(5.11)
oùξ est un bruit blanc gaussien de variance unité. L’Hamiltonien
H est similaire
à celui d’un modèle XY dans lequel tous les spins sur un même sitek sont couplés
H = −
X k1
ρ
k X i6=jS
i· S
j(5.12)
où la première somme porte sur les sites du réseau et la deuxième sur les particules
présentes au site
k. Comme pour le modèle d’Ising actif, on utilise un algorithme
de mise à jour séquentielle aléatoire dans les simulations.
On retrouve dans ce modèle XY actif la phénoménologie du modèle de Vicsek.
En particulier, on mesure des fluctuations géantes de densité qui ont la même loi
d’échelle que celles du modèle de Vicsek (voir figure 5.8). De plus, l’expérience
numérique de l’article 5.4 (figure 5) donne le même résultat que dans le modèle
de Vicsek : une large bande ordonnée de haute densité est métastable. Aux temps
longs, celle-ci se casse en bandes de taille finie, réparties périodiquement dans
l’espace (voir figure 5.7). Cela n’est au contraire jamais observé dans le modèle
d’Ising actif, dans lequel un domaine liquide de taille arbitraire est stable.
5.4. Séparation de phase ou microphases
197
Figure 5.7 – Modèle XY actif. Un grand domaine liquide ordonné est méta-
stable. Aux temps longs il se brise pour former plusieurs bandes. Paramètres :
T = 0.3, ρ
0= 0.6, D = 1, ε = 0.9, taille de système 2000× 100.
Introduisons maintenant un modèle de Potts qui va nous permettre d’interpoler
entre le comportement du modèle d’Ising actif (deux directions d’autopropulsion)
et celui du modèle XY actif (une continuité de directions). Dans celui-ci,
n « cou-
leurs », portées par les particules, sont couplées à
n directions d’autopropulsion
possibles. L’Hamiltonien contrôlant l’alignement des particules s’écrit
H = −
X k1
ρ
k X i6=jδ
c(i)c(j)(5.13)
oùc(i) est la couleur de la particule i. Une particule change alors sa couleur de c
1en
c
2avec une probabilité
W (c
1→ c
2) = exp
−β∆H
2
!
(5.14)
Notons que ce type d’alignement est légèrement différent de l’alignement ferro-
magnétique considéré précédemment : deux particules ayant des couleurs (i.e. di-
rections) différentes contribuent à
H de la même façon, qu’elles que soient leurs
couleurs (qu’elles correspondent à des directions proches ou opposées).
Nous avons considéré les deux cas les plus évidents sur réseau : les modèles de
Potts à quatre et huit couleurs. Dans le modèle à quatre couleurs, quatre directions
(haut, bas, gauche et droite) sont possibles. Avec huit couleurs, nous rajoutons les
diagonales. Une particule saute alors dans la direction donnée par sa couleur avec
un taux
D(1 + ε) et dans toutes les autres directions avec un taux D(1− ε).
Les comportements des modèles à quatre et huit couleurs sont qualitativement
différents. En particulier, les fluctuations de densité dans la phase ordonnée sont
normales pour le cas
n = 4 et géantes, avec la loi d’échelle des modèles de Vicsek
et XY, pour
n = 8 (voir figure 5.8). De plus, le modèle à quatre couleurs montre
une séparation de phase entre un domaine gazeux et un domaine liquide stable
arbitrairement grand, un comportement similaire à celui du modèle d’Ising actif
(voir figure 5.9).
Notons que ces résultats sont préliminaires. Les modèles de Potts sont gour-
mands en temps de calcul (qui est proportionnel au nombre de couleurs) et leurs
10
310
410
510
610
110
210
310
4∆n
n
0.5
0.8
Ising
Potts 4c
Vicsek
XY
Potts 8c
Figure 5.8 – Fluctuations de densité dans les modèles microscopiques étu-
diés. On distingue deux comportements : des fluctuations normales dans les
modèles d’Ising actif et de Potts actif à quatre couleurs, des fluctuations
anormales données par le même exposant
α = 0.8 pour les modèles de Vic-
sek, XY actif et Potts actif à huit couleurs.
Figure 5.9 – Séparation de phase dans le modèle de Potts actif à quatre
couleurs. Paramètres :
β = 4.5, ρ
0= 5.5, ε = 0.9, D = 1, taille du système
600× 200.
propriétés restent à étudier plus en détail, en particulier la coexistence de phase
dans le modèle à huit couleurs.
Classes d’universalité
La conclusion qui semble se dégager de ces résultats est qu’on peut organiser
les modèles de particules autopropulsées avec alignement ferromagnétique en deux
classes d’universalité, qui correspondent à deux types de coexistence de phase.
La forme de la coexistence de phase est contrôlée par les propriétés de la phase
ordonnée. En particulier, la présence ou non de fluctuations anormales de densité
semble cruciale. Des fluctuations normales dans la phase liquide donnent lieu à
une séparation de phase complète dans la région de coexistence. Au contraire, des
fluctuations géantes entraînent une séparation en microphases.
La présence de ces fluctuations géantes de densité est liée à la symétrie ro-
tationnelle du système. Lorsqu’un faible nombre de directions d’autopropulsion
5.5. Mouvement collectif en dimension 1
199
Dans le document
Physique statistique de la matière active
(Page 196-200)