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La transition vers le mouvement collectif : une transition

Dans le document Physique statistique de la matière active (Page 143-146)

4.4 Sphères dures : pression et équilibre de phases

5.1.3 La transition vers le mouvement collectif : une transition

Le message central de ce chapitre est que la transition vers le mouvement

collectif gagne à être interprétée comme une transition liquide-gaz, plutôt qu’une

transition ferromagnétique. Cette affirmation fait suite à l’étude du modèle d’Ising

actif, présenté en détail dans l’article E, qui permet d’étudier la transition vers le

mouvement collectif dans un cadre plus simple que celui du modèle de Vicsek. Ce

modèle est basé sur les mêmes ingrédients que le modèle de Vicsek : l’autopro-

pulsion et une interaction d’alignement locale. La principale différence est dans la

symétrie du paramètre d’ordre : les particules du modèle d’Ising actif ont deux

directions d’autopropulsion possibles, vers la gauche ou vers la droite (et diffusent

symétriquement dans la direction verticale), contrairement aux particules du mo-

dèle de Vicsek qui peuvent se propulser dans une direction arbitraire du plan (voir

figure 5.2 pour une illustration). Le modèle d’Ising actif possède donc, comme le

modèle d’Ising standard, une symétrie rotationnelle discrète, tandis que le modèle

de Vicsek possède une symétrie rotationnelle continue, comme le modèle XY.

Quand la température, qui contrôle l’efficacité de l’interaction d’alignement,

diminue (ou que la densité augmente), on observe dans le modèle d’Ising actif le

même type de transition vers le mouvement collectif que dans le modèle de Vic-

5.1. Introduction

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sek : d’un état désordonné, on passe à un état inhomogène, où une bande ordonnée

dense se déplace dans un gaz dilué désordonné, puis à un état homogène ordonné.

Cependant, comme pour les modèles magnétiques d’équilibre, la différence de sy-

métrie entre le modèle de Vicsek et le modèle d’Ising actif entraîne des différences

qualitatives importantes, en particulier dans la phase ordonnée. Ainsi, la phase

ordonnée du modèle d’Ising actif a des corrélations à courte portée et des fluctua-

tions de densité normales, ce qui la rend plus simple à étudier que celle du modèle

de Vicsek.

La transition vers le mouvement collectif dans le modèle d’Ising actif est très

similaire à une transition liquide-gaz passive. Dans la phase inhomogène, on ob-

serve une séparation de phase entre un liquide ordonné et un gaz désordonné. Les

densités de coexistence sont contrôlées par la température et la vitesse d’auto-

propulsion mais ne dépendent pas de la densité moyenne de particules

ρ

0

. Varier

ρ

0

change donc simplement la fraction de liquide dans le système, qui est donnée

par la loi du levier comme pour une transition liquide-gaz d’équilibre. Cependant,

le diagramme des phases dans l’ensemble canonique (température, densité ; voir

figure 5.3) diffère d’un diagramme liquide-gaz classique. En effet, le liquide et le

gaz ont des symétries différentes (polaire et désordonné) ; le système ne peut donc

pas passer continûment de l’un à l’autre, si bien que le diagramme des phases ne

peut avoir de région supercritique. Cela se traduit par une asymptote à une tem-

pérature finie sur le diagramme des phases et un déplacement du point critique

à une densité infinie (voir figure 5.3). Cette interprétation de la transition vers

le mouvement collectif comme transition liquide-gaz n’explique pas simplement le

diagramme des phases du modèle. Elle prédit également un grand nombre de ca-

ractéristiques de la transition (effets de taille finie, boucles d’hystérèse, variation

de l’aimantation, etc.) sur lesquelles nous reviendrons dans l’article E.

De plus, cette image nous a permis de porter un regard nouveau sur le modèle

de Vicsek. Comme nous le montrons dans l’article G, le modèle de Vicsek présente

également une transition de type liquide-gaz et son diagramme des phases a la

même forme que celui du modèle d’Ising actif. La différence majeure entre les deux

modèles est la forme des profils de densité dans la phase inhomogène. Alors que

le modèle d’Ising actif donne lieu à une séparation de phase complète entre deux

domaines de tailles arbitraires, le modèle de Vicsek donne lieu à une séparation en

microphases : on observe dans la phase inhomogène des bandes ordonnées de taille

finie réparties périodiquement dans le système (voir figure 5.3). Nous montrerons

dans l’article F que les équations hydrodynamiques supposées décrire ces modèles

admettent, de manière équivalente, les deux types de solutions (séparation de phase

et microphases). Elles n’expliquent donc pas pourquoi un comportement ou l’autre

est observé dans les modèles microscopiques. Pour comprendre cela, nous verrons

qu’il faut impérativement tenir compte des fluctuations et donc travailler au niveau

Figure 5.3 – Haut : Diagramme des phases dans l’ensemble canonique

(température ou bruit, densité) pour différents modèles microscopiques pré-

sentant une transition vers le mouvement collectif. Les diagrammes ont la

même forme (celui des bâtonnets autopropulsés n’est pas présent dans la

littérature).

Bas : Instantané dans la phase de coexistence, qui est qualita-

tivement différente pour chaque modèle. Figures reproduites de [71] pour les

nématiques actifs et [70] pour les bâtonnets autopropulsés.

des hydrodynamiques fluctuantes.

Dans ce chapitre, nous discuterons uniquement des modèles décrivant des par-

ticules autopropulsées interagissant via un alignement ferromagnétique. Toutefois,

il semble que le scénario de transition liquide-gaz soit plus général. En particulier,

le diagramme des phases du modèle de nématiques actifs [71], décrivant des parti-

cules vibrant sur place et s’alignant avec une interaction nématique (voir figure 1.6

dans l’introduction de cette thèse), est similaire à ceux du modèle d’Ising actif et

du modèle de Vicsek (voir figure 5.3). Un modèle de bâtonnets autopropulsés qui

s’alignent nématiquement [70] montre également une séparation de phase entre

un domaine liquide ordonné et un gaz désordonné. L’image qui semble se déga-

ger, et qui reste à étayer, est que, dans tous ces modèles minimaux décrivant des

particules autopropulsées qui s’alignent localement, la transition vers le mouve-

ment collectif s’inscrit dans le cadre général des transitions liquide-gaz. Dans tous

les cas, le liquide et le gaz ont des symétries différentes, ce qui impose la forme

du diagramme des phases. Cependant, les phases liquides des différents modèles

ont des propriétés différentes (ordre polaire ou nématique, fluctuations de densité

géantes ou normales), ce qui conduit à différentes formes de coexistence de phase :

séparation de phase dans le modèle d’Ising actif, en microphases dans le modèle de

Vicsek, phase « chaotique » dans les nématiques actifs [71] ou bandes immobiles

avec un ordre nématique pour les bâtonnets autopropulsés [70] (voir figure 5.3).

Dans le document Physique statistique de la matière active (Page 143-146)