Le réseau d’actants consiste en plusieurs centaines de nœuds et milliers de relations. Pour
le sociologue, il est quasi impossible de donner du sens à cette quantité de données sans
avoir recours à des outils formels. En particulier, pour comprendre la structure du réseau,
nous utilisons des méthodes de visualisation de grands graphes sur une carte de deux
dimensions. Comme nous l’avons signalé, le principe de base est le suivant : les actants
partageant des relations doivent se retrouver à proximité alors que les agents distants
topologiquement doivent être éloignés géographiquement sur la carte. Nous présenterons
succinctement les algorithmes les plus connus pour réaliser une telle spatialisation. Une
fois ce principe assimilé, il est possible d’inclure des contraintes supplémentaires pour la
spatialisation en vue de faire apparaître d’autres informations telles que les liens entre scène
et camp, notamment. Dans la littérature, peu d’algorithmes existent pour traiter ce type de
question. Nous présenterons donc la méthode que nous avons développée pour mener à
bien cette tâche.
8.5.1 Présentation des algorithmes de spatialisation
Dans cette section, nous supposons que l’étape d’agrégation des données a été effectuée. Le
résultat est un graphe de relation symétrique non pondéré de matrice d’adjacenceA =(a
ij)
oùa
ij=a
jieta
ij>0 siiet jpartagent au moins une relation.
Il existe plusieurs types d’algorithmes de spatialisation pour les graphes, chaque type
s’adaptant particulièrement bien à certains graphes et moins à d’autres. Les graphes issus
de réseaux sociaux présentent souvent des propriétés remarquables telles que la présence
de communautés (ensemble d’actants fortement connectés entre eux et peu connectés avec
le reste du réseau). Pour visualiser de tels graphes, les algorithmes basés sur les forces
(force-based layout en anglais) sont bien adaptés et par conséquent largement utilisés. Ces
algorithmes utilisent une analogie du système masses-ressorts où les nœuds du graphe sont
vus comme des masses dont le mouvement dépend des forces d’attraction ou de répulsion
agissant entre les nœuds. Ces algorithmes prennent un graphe simple, non dirigé et connexe
en entrée.
L’algorithme historique de spatialisation le plus utilisé est l’algorithme de
Fruchterman-Reingold [FR91]. Dans cet algorithme, le calcul de l’ensemble de des forces d’attraction
possède une complexité en temps deO(e) oùeest le nombre d’arrêtes. Nous avons écarté de
nos travaux l’algorithme de Kamada-Kawai[KK89] pour lequel le calcul de l’ensemble des
forces possède une complexité en temps deO(n
2) oùnest le nombre d’agents. De plus, pour
l’algorithme de Fruchterman-Reingold, une approximation de la densité permet de calculer
l’énergie de répulsion d’un nœud en temps constant, ce qui n’est pas possible dans le cas
de l’algorithme de Kamada-Kawai.
Algorithme de Fruchterman-Reingold
Dans l’algorithme de Fruchterman-Reingold, deux types de forces sont présentes.
Premiè-rement, tous les nœuds sont sujets à une force de répulsionE
repijimportante à faible distance,
inversement proportionnelle au carré de la distance. Deuxièmement, les nœuds voisins
sont sujets à une force d’attractionE
attij
proportionnelle à leur distance. L’énergie potentielle
résultante est la suivante :
E
FR=
X
i,j∈N,i,jE
repij+E
att ij,
avec
E
repij= L
2kx
i−x
jk etE
att ij=a
ijkx
i−x
jk
2L , (8.1)
oùa
ij=1 siiet jsont voisins eta
ij=0 sinon,Lreprésente la distance idéale souhaitée entre
deux voisins dans le graphe. La fonctionE
FRest non-convexe et présente des minima locaux,
de sorte qu’il est nécessaire de faire appel à des méthodes d’optimisation non-convexe pour
approcher son minimum.
Optimisation non linéaire
L’algorithme de spatialisation de Fruchterman-Reingold consiste à minimiser l’énergie
po-tentielle E
FR. Lorsque la fonction à minimiser est convexe, on utilise classiquement les
méthodes de descente de gradient qui consistent à actualiser successivement la variable
dans la direction opposée du gradient de la fonction au point courant. Comme nous l’avons
évoqué dans le paragraphe précédent, ces méthodes ont la mauvaise propriété de rester
bloquées dans les minima locaux lorsque la fonction n’est pas convexe.
Les métaheuristiques sont des algorithmes d’optimisation globale visant à résoudre
ce problème. Ces algorithmes explorent l’espace des variables de manière itérative et
semi-aléatoire, ce qui leur permet à la fois d’améliorer leur estimation de la configuration optimale
tout en échappant aux minima locaux. Il s’agit d’heuristique dans le sens où l’algorithme
ne garantit pas la convergence vers un optimum global et elles sont méta puisqu’elle ne
nécessite pas de connaissance a priori sur la fonction à optimiser. La recherche de
méta-heuristiques efficaces est un domaine actif de recherche et a donné lieu à la création d’un
grand nombre d’algorithmes distincts. Le lecteur intéressé pourra consulter [Yan11] pour
un récent aperçu de la littérature sur le sujet. Il est remarquable qu’un grand nombre de
ces algorithmes sont originellement inspirés par des phénomènes d’optimisation naturelle,
issus de processus biologiques ou physiques.
Les performances de ces algorithmes dépendent fortement de la fonction qu’ils cherchent
à optimiser. Nous utiliserons l’algorithme de Recuit Simulé. Cet algorithme s’inspire d’un
sys-tème thermodynamique. Il est donc simple d’utiliser cet algorithme en interprétant les
nœuds du graphe comme les particules du système thermodynamique. Précisément,
l’al-gorithme par Recuit Simulé (Simulated Annealingen anglais) [MRR
+53,KGV83] est un
algo-rithme simulant le processus de recuit d’un matériau. Ce processus consiste à augmenter,
stabiliser puis diminuer la température du matériau de manière graduelle afin de permettre
au système thermodynamique de préserver un état quasi-stationnaire. Ceci a pour effet de
minimiser l’énergie du matériau. La première utilisation de l’algorithme par recuit simulé
pour la spatialisation de graphe fut décrite par Davidson et Harel dans un rapport de 1989
8.5.2 Spatialisation par groupes
Une des questions de la problématique du sociologue est de comprendre ce qui fait le lien
entre les différents camps et les différentes scènes du réseau autour des loisirs motorisés
hors route. L’algorithme de spatialisation que nous avons présenté ne prend pas en compte
l’appartenance des nœuds aux camps ou aux scènes. Pour pallier à ce constat, nous allons
avoir recours aux méthodes despatialisation par groupes. Dans ce chapitre, pargroupes, nous
entendons un ensemble de nœuds déterminé a priori par l’utilisateur. La visualisation par
groupesconsiste à appliquer une méthode de spatialisation rapprochant particulièrement les
nœuds d’un même groupe. L’objectif est de faire ressortir visuellement cette appartenance.
Les groupes que nous considèrerons sont soit les scènes soit les camps. Par conséquent, les
algorithmes que nous présentons prennent en entrée une partition des nœuds en groupes :
chaque nœud appartient à un unique groupe. La littérature sur les méthodes de visualisation
par groupe est peu fournie. Nous présentons une méthode de la littérature puis une méthode
alternative que nous avons développée :
• Une première idée est de découper le plan en plusieurs régions. Chaque région va
alors accueillir un des groupes. Les travaux présentés dans [TFMP05] suivent cette
démarche. Pour déterminer l’emplacement des régions pour chaque groupe, les
au-teurs appliquent une première fois l’algorithme de spatialisation en considérant les
groupes comme des super-nœuds. Le poids de la relation entre deux super-nœuds
correspond alors à la somme des poids des relations inter-groupes. Les positions
ob-tenues seront alors utilisées comme barycentres des groupes. Pour placer les nœuds,
l’algorithme de spatialisation est appliqué une nouvelle fois à l’intérieur du groupe.
Dans ce deuxième calcul, seules les relations intra-groupes sont prises en compte. Par
conséquent, les nœuds en bordure de groupe ne sont pas nécessairement bien
connec-tés avec les autres groupes. Ainsi, cette méthode ne permet pas de visualiser les nœuds
faisant le lien entre scènes ou entre camps.
• (Fruchterman-Reingold par groupes) Pour remédier au problème de la méthode
pré-cédente, il est nécessaire d’appliquer l’algorithme à l’ensemble des nœuds
simultané-ment. Pour s’assurer que les nœuds sont géographiquement regroupés par groupe,
nous proposons une méthode alternative. Cette méthode consiste à modifier la
dis-tance idéale souhaitée entre les nœuds dans l’algorithme de Fruchterman-Reingold.
Nous remplaçons le paramètreLde l’algorithme par un jeu de paramètres (L
ij) pour
i,j∈ N distincts. Pour ce faire, nous déterminons une position idéale pour les centres
de chaque groupe. Ceci peut être fait en appliquant par exemple la méthode issue
de [TFMP05], citée dans le paragraphe précédent. Une autre possibilité est de choisir
les positions manuellement de sorte que leurs distances soient de l’ordre deL√n. Ceci
est simple lorsque le nombre de groupes est faible, comme pour notre réseau.
Nous notons C
C(i) la position du centre du groupe de l’agent i. Lorsqueiet j
appar-tiennent au même groupe, nous préservonsL
ij=L, de manière à ce que les nœuds d’un
même groupe restent proches. Dans le cas contraire, leur distance idéaleL
ijest choisie
comme la distance entreC
C(i) etC
C(j) les centres des groupes deiet jrespectivement.
Un défaut de cette méthode est qu’elle ne donne pas toujours au groupe une région
bien localisée, en particulier lorsque les nœuds d’un groupe sont peu connectés.
Les résultats de la dernière méthode de spatialisation sont présentés dans la section8.7.1.
Dans le document
Coordination et robustesse des systèmes dynamiques multi-agents
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