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Une visite d’inspection très anxiogène et une incompréhension de la gestion

2.2 DU « PAS DE CÔTE » OU DU DETOUR PAR LE TRAVAIL DES ENSEIGNANTS

2.2.4 Interprétations des entretiens exploratoires

2.2.4.1 Un relatif sentiment d’appartenance au corps enseignant et à la communauté

2.2.4.1.3 Une visite d’inspection très anxiogène et une incompréhension de la gestion

La visite d’inspection est une observation en situation de travail afin d’évaluer des compétences professionnelles. Cette observation est complétée d’un entretien car toutes les compétences professionnelles de l’enseignant ne sont pas observables en classe. L’évaluation qui en ressort est un jugement institutionnel porté sur le travail accompli qui mesure qualitativement à la fois sur les processus mobilisés, les modes opératoires pour enseigner, et les résultats des actions engagées.

Les enseignants pour la moitié ont vécu l’expérience d’une inspection.102 Cependant, l’inspection génère beaucoup d’angoisses103

, de projections, voire de fantasmes et de peurs irrationnelles. Les enseignants rapportent que les critères d’évaluation diffèreraient d’une discipline à une autre, voire pour une discipline donnée d’un inspecteur à un autre selon la conception qu’il a de son métier ou de ce que serait un "enseignant efficace".

La crainte de ne pas être titularisé se comprend par des enjeux sociaux d’emploi et des enjeux de validation des compétences. Une crainte de ne pas être reconnu compétent parce que professeur du privé ou non lauréat de concours s’exprime aussi.104

« Un inspecteur dit une chose. Un autre inspecteur dit autre chose. Chacun a sa pratique, ses attentes, ses demandes. (…) On a eu un échange de formateur à apprenant. « Pourriez-vous mener ça autrement » me demandait-il. Donc pour moi, ça va au-delà de la contractualisation. On réfléchissait comment améliorer les choses. (…)L’inspecteur est un

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En 2011 2012, sur la base des trente deux enquêtes retournées par les quarante-huit cdisables, depuis leur recrutement, 62,5 % ont travaillé dans deux établissements au plus, et un peu plus du 1/3 (37,5%) sont mobiles et ont exercé dans trois à cinq établissements.

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Selon les fiches enquêtes retournées par les cdisables de 2009-2010, 30 enseignants sur 52 (58%) avaient été au moins une fois inspectés avant l’année de contractualisation.11 (21%) n’avaient jamais inspectés et (21%) non pas répondu ou renvoyé leur enquête. Du groupe des 32 enseignants contractualisables en 2010-2011, 12 (soit 38 %) avaient été inspectés au moins une fois, 10 n’avaient jamais été inspectés (31%) et 10 autres n’ont pas communiqué cette information.

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Chaque promotion, le premier jour de leur formation lors de la réunion d’information collective que j’anime avec le formateur, les enseignants demandent la présence d’un inspecteur académique pour préciser les modalités et finalités d’une inspection de titularisation. « Ce serait bien aussi que l’inspecteur intervienne dans la

formation pour dire ses attentes ». (Madame Q)

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Comme pour Monsieur V qui inspecté favorablement les années précédentes devra renouveler son contrat provisoire et qui reste perplexe : « L’an dernier, pour la 1ere inspection, il m’a dit qu’il ne me donnerait pas de

blanc-seing. Il n’a pas voulu me valider car je n’avais pas suivi un cursus classique.(…) J’ai un doute sur le blanc-seing de l’an dernier. Je pense que c’est une question politique et institutionnelle. »

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formateur. Il ne taille pas. Il forme. On a pu discuter. Ca n’a pas été le lynchage. (…) Il m’a confirmé que j’étais dans les clous. C’était déjà ça d’acquis. Il m’a dit que ce n’était pas parce que je n’avais pas le concours que je n’avais aucune valeur. » (Madame Q)

« L’an dernier l’inspecteur m’avait mâché le travail. Il ne me donnait pas la parole. (…) Il faut entrer dans le jeu de la dialectique pédagogique. C’est important d’avoir la réponse au cours de l’entretien, d’avoir de la répartie. Cette année j’ai répliqué. J’étais prêt à la controverse. J’avais réfléchi à ma progression. J’avais mis en parallèle 2 techniques. (…) Il faut à la fois maîtriser le discours pédagogique et le discours de la matière. (…) C’était ma 1ere inspection en 10 ans. (…) L’inspecteur n’a plus de pouvoir réel après ».

(Monsieur V)

« A la 1ere inspection, je débarquais sur le terrain. J’ai été rassurée par l’inspecteur. Il m’a donné des conseils. C’était un inspecteur réaliste. On a échangé. L’inspecteur pointait les bonnes choses et m’invitait à procéder différemment sur les points qui n’allaient pas. Il ne me donnait pas la réponse quand il me posait des questions. C’était un inspecteur réaliste. Dans l’idéal, il y a ça à faire mais sur le terrain, voilà ce qu’il faut faire ». (Madame B)

Un entretien informel avec un inspecteur académique que je connais a précisé les trois fonctions d’une visite d’inspection :

- une fonction de contrôle : mesurer l’écart entre ce qui est fait et ce qui est attendu par l’institution (conformité aux textes officiels, respect des programmes…). Vérifier que le service attendu est rendu.

- une fonction de conseil : mettre en place des remédiations en cas de difficultés repérées (stages en établissement, formations…)

- une fonction ressource humaine et conseil auprès du recteur : repérer les personnes qui pourraient prendre des responsabilités par la suite.

Une inspection est différente selon le profil de l’enseignant, l’inspection n’a pas la même fonction : s’il est en formation initiale et qu’il débute dans le métier l’inspection est alors une adaptation au poste dans un temps contraint d’environ 6 mois. S’il est en formation continue l’inspection est alors un contrôle institutionnel.

La dimension professionnelle de l’enseignant est facile à cerner rapidement. « Sur ce

point je n’ai aucun d’état d’âme. Je suis métal. Le service attendu est rendu ou pas. »

Institutionnellement, l’intérêt des élèves prime, et l’inspection vise à vérifier qu’ils sont en situation de travail.

La visite repose sur l’utilisation d’un protocole d’inspection. Cet outil n’existerait pas dans toutes les disciplines d’enseignement. Il n’est pas communiqué aux enseignants. Pour compenser ce fait, le formateur en charge de la formation des délégués auxiliaires dans l’académie P distribue à tous les stagiaires une grille d’analyse de cours et une grille recensant les critères d’inspection.

L’acte d’inspecter s’organise selon les trois temps de la décision : recueillir des éléments sur la situation (acte collectif, logique participative), prendre une décision (acte solitaire, non partagé), appliquer la décision (acte de délégation).

Le plus difficile dans l’acte d’inspecter est d’articuler l’évaluation de la dimension professionnelle et l’aspect humain, de faire comprendre à une personne que la situation

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d’enseignement difficile qu’elle rencontre ne relève pas d’une problématique professionnelle qui pourrait être surmontée par de la formation ou un changement d’établissement mais davantage d’une problématique plus personnelle pour laquelle il n’a pas de moyens à mobiliser. « Je suis métal » exprimerait ainsi la nécessité pour un inspecteur qui représente une institution d’être intransigeant et exigent, et la nécessité d’avoir à se protéger derrière sa fonction d’inspecteur de situations individuelles subjectives compliquées pour pouvoir contrôler et poser une décision.

Il reste que cet inspecteur confiera qu’une visite d’inspection ne permet d’évaluer avec assurance les compétences d’un enseignant, d’une part parce que ces visites sont trop espacées dans le temps et trop courtes dans la durée, d’autres part parce qu’un enseignant sachant qu’il sera inspecté peut adopter momentanément les pratiques attendues.