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2.2 DU « PAS DE CÔTE » OU DU DETOUR PAR LE TRAVAIL DES ENSEIGNANTS

2.2.2 Le choix du protocole d’intervention

2.2.2.2 Une approche clinique de l’activité

L’approche clinique de l’activité humaine de travail se confronte aux dimensions subjectives et collectives de l’activité. Elle a pour objet les processus en jeu quand un sujet agit en situation de travail. Cette méthode d’analyse vise un développement du sujet. En effet, psychologie du développement des sujets au travail, par la prise en compte de la dimension subjective du travail, ouvre à une compréhension du sens que le sujet confère à son activité par les rapports qu’il noue en acte entre ses cognitions et ses émotions.

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La clinique de l’activité vise une transformation des situations de travail. La clinique de l’activité : « permet de faire « remonter » le point de vue du travail dans l’organisation

afin de tenter de rapprocher cette organisation du réel de l’activité. »91

Yves Clot élabore un modèle triadique de l’activité. « Elle est d’abord, au travers et

au-delà de la tâche, mouvement d’appropriation d’un milieu de vie par le sujet, libre de ce mouvement ou amputation de celui-ci. Autrement dit, d’abord développement réel ou sous- développement réel des rapports aux choses par la médiation d’autrui. L’activité est adressée, simultanément dirigée vers son objet et vers les autres activités portant sur cet objet, que ce soient celles d’autrui ou encore d’autres activités du sujet ».92

Rapprochant activité et santé, Clot citant Canguilhem93 considère que « l’activité est,

dans la réalisation effective de la tâche, par elle mais aussi parfois contre elle, production d’un milieu d’objets matériels ou symboliques et de rapports humains ou plus exactement re- création d’un milieu de vie ».

L’objet de l’activité est donc tout à la fois pratique, social et psychique : « siège

d’investissement vitaux, elle [l’activité] transforme les objets du monde en moyen de vivre ou échoue à le faire. L’activité des sujets au travail n’est pas déterminée mécaniquement par son contexte, mais le métamorphose. Elle affranchit – en risquant toujours l’échec – le sujet des dépendances de la situation concrète et se subordonne le contexte en question ».

L’activité de l’enseignant comprend à la lumière de la distinction dans l’activité réelle, de l’activité réalisée et l’activité empêchée, ce qu’il fait (ce qui est observable de ses actions), ses diagnostics, anticipation, inférences (ce qui n’est pas directement observable) et ce qu’il s’abstient de faire, ce qu’il voudrait faire et ne peut pas ou ne s’autorise pas à faire.

L’activité enseignante est adressée. Elle est médiatisée par autrui et médiatisante dans le sens où le sujet construit de nouvelles relations aux objets, de nouveaux buts, de nouveaux destinataires, d’autres manières d’être soi-même, d’autres instruments. Ce faisant le sujet se « reconstruit non pas en vivant simplement dans un monde mais en produisant un monde pour

vivre ». Le sujet est préoccupé par l’activité d’autrui. « Autrui est dans l’objet ».

Elle s’inscrit dans une généricité faite d’histoires, de traditions ou habitus qui déterminent une manière générale de procéder : un genre professionnel commun.

L’analyse de l’activité se fera au moyen d’une instruction au sosie. Cette méthode consiste par le biais d’une fiction (se faire remplacer par un sosie) à formaliser une expérience de travail. Au moyen d’un retour sur son activité et sa mise en mots, le professeur découvre par le jeu des questions du sosie une étrangeté. Le professeur revisite ainsi son activité à la lumière des questions du futur sosie, par la médiation du regard d’autrui. Il s’agit de savoir de ce qu’il fait et ce qu’il sait et les mobiles de ses choix.

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CLOT (Yves) Editorial in Clinique de l’activité et pouvoir d’agir, Education Permanente n° 146 p 8.

92 CLOT (Yves), Travail et pouvoir d’agir, Paris, PUF, Collection "Le travail humain", 2008.

93 CANGUILHEM (Georges), Ecrits sur la médecine, Le Seuil, Paris, 2002. « Je me porte bien dans la mesure

où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ».

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Pour appréhender l’activité enseignante, il m’a semblé opportun de multiplier les axes d’analyse, pressentant qu’aucune approche ne permettrait à elle seule de réduire la complexité de l’acte d’enseigner. Ce dispositif d’intervention par un regard porté sur le travail et l’activité combine quatre approches :

- Une approche sociologique qui cherche à établir des caractéristiques collectives du travail enseignant, quelles relations sociales nouent les enseignants non titulaires dans leur collectif de travail, comment ils construisent leur identité sociale et professionnelle, quel usage il est fait de la formation.

- Une approche ergonomique par un regard porté sur le contenu de l’activité, révèle des écarts entre la tâche et l’activité et permet de comprendre en partie comment le travail enseignant se fait.

- Une approche clinique par un regard centré sur l’activité repère des interactions psychiques, pratiques, sociales et symboliques entre un sujet en activité et l’objet de son activité.

- Une approche didactique professionnelle par un regard porté sur l’activité, les modalités de son déploiement qui mettent à jour une structure conceptuelle d’une situation d’enseignement afin d’identifier des processus d’apprentissage du métier transposables dans des contenus de formations

Il répond à trois enjeux :

- un enjeu de reconnaissance sociale en donnant à voir le travail méconnu ou invisible des professeurs non titulaires ;

- un enjeu de formation : concevoir des actions ou des dispositifs de formation qui préparent les délégués auxiliaires et pour ceux qui resteraient assez longtemps dans l’institution et qui seraient contractualisables, à la complexité du travail pour réunir des conditions favorables à leur titularisation ;

- un enjeu de développement personnel : pour les enseignants qui ont accepté de concourir dans ce projet, ils ont peut-être, par une mise à distance et une conscientisation de leurs activités comme des contraintes de leur environnement externe, développé un nouveau sens de leur activité, recouvré des marges de manœuvre, et s’être (re)saisi d’un pouvoir d’agir, comme de « ce rayon d’action

effectif du sujet ou des sujets dans leur milieu professionnel habituel (…) le rayonnement de l’activité, son pouvoir de recréation »94

étant entendu que « la

transformation du sens de l’action augmente le rayonnement possible de l’activité et la vitalité du sujet ».95