• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 LA MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

4.5 La collecte de données

4.5.2 Le visionnement

Le visionnement des films et des scènes de toit de la liste des films à analyser s’est déroulé en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le film en entier a été visionné afin de bien saisir le déroulement du récit et la situation de la ou des scènes de toit à l’intérieur de ce récit.

À l’étape suivante, la scène de toit du film a été visionnée à plus d’une reprise, généralement deux ou trois fois, parfois plus en fonction de la complexité et de la durée de la scène. L’idée étant ici de bien s’imprégner de la scène, nous avons mis de côté la grille de visionnement pour nous contenter de prendre quelques notes dans un cahier.

Enfin, nous nous sommes attardés à étudier la scène en profondeur. Pour ce faire, nous avons concentré notre attention sur chacune des couches de la scène, ceci, dans la mesure du possible, en faisant abstraction des autres couches. Ces couches, au nombre de huit, sont : § le décor du toit (ce qu’on retrouve sur le toit et ce qui compose le toit)

§ l’environnement immédiat (comment le toit s’implante dans la trame urbaine et comment il s’insère dans son environnement immédiat; ce qu’on voit du toit à l’échelle du voisinage)

§ l’horizon (ce qu’on voit du toit à l’échelle du quartier et de la ville) § les usagers (les personnages fréquentant le toit)

§ les usages (les actions des usagers sur le toit) § les dialogues (ce qui se dit sur le toit)

87 C’est-à-dire les trois sections principales et les neuf sous-sections précédemment expliquées. 88 Voir à ce propos le schéma du visionnement et de l’analyse des contenus filmiques (figure 32).

§ le bruitage (les sons qu’on entend pendant la scène du toit) § la musique (la musique qu’on entend pendant la scène du toit)

§ l’impression générale (ambiance visuelle et impression qui se dégage de la scène) Les trois premières couches (décor, environnement, horizon) forment l’espace narratif du film et concernent plus spécifiquement le toit, son positionnement dans son environnement immédiat, de même que la vue s’offrant au regard du spectateur à partir du toit. Selon Corrigan et Barry (2012), les décors sont l’élément le plus fondamental de la mise en scène à laquelle ils contribuent tant au niveau du réalisme de la scène que de l’atmosphère qui s’en dégage. À propos du réalisme au cinéma, les auteurs soulignent que

The most prominent vehicle for cinematic realism (...) is the scenic realism of the mise-en-scène, which enables us to recognize sets and settings as accurate evocation of actual places. A combination of selection and artifice, scenic realism is most commonly associated with the physical, cultural, and historical accuracy of the backgrounds, objects, and other figures in a film. Indeed, our measure of a film’s realism is often more a product of the authenticity of this scenic realism than of the other features, such as the psychology or actions of characters. (Corrigan et Barry, 2012 : 70-71)

L’espace narratif nous renseigne également sur les personnages, leur état d’esprit et leurs aspirations. Pour Corrigan et Barry (2012), l’espace narratif, mis en conjonction avec les personnages et la trame narrative, peut devenir espace historique, idéologique, psychologique et symbolique. Les auteurs notent que « [p]sychological location in a film narrative suggests an important correlation between a character’s state of mind and the place he or she inhabits at that moment in the story. » (Corrigan et Barry, 2012 : 239)

Les deux couches suivantes (usagers, usages) nous renseignent sur le récit et les personnages qui fréquentent les toits de même que les actions qu’ils y posent et leur état psychologique. Corrigan et Barry mentionnent au sujet des personnages que « [t]hey are commonly identified and understood through aspects of their appearance, gestures and actions, dialogue, and the comment of other characters, as well as such incidental but important features as their names or clothes. » (Corrigan et Barry, 2012 : 224) Notons aussi que les costumes des personnages sont porteurs de connotations culturelles qui nous renseignent sur ces personnages et qui contribuent à révéler les tensions ainsi que l’évolution desdits personnages et du récit (Corrigan et Barry, 2012).

La bande sonore du film a été divisée en trois couches distinctes, soit les dialogues, le bruitage et la musique. Nous suivons en ce sens le précepte selon lequel on distingue traditionnellement ces trois éléments de la bande sonore (Noguez, 2010 : 53). Ces différentes couches nous renseignent, chacune à leur manière, sur l’ambiance et l’état psychologique des personnages. Ainsi, le bruitage renforce le réalisme du film en reproduisant des sons habituellement associés avec les actions et les évènements se déroulant à l’écran (Turner, 2006). Corrigan et Barry expliquent que

Much of the mimetic impression in cinema comes from the use of sound effects, although (...) viewers may not be consciously notice these effects. Dialogue in film is deliberate; it tells a story and gives information. Background music is a clear enhancement, ‘unrealistic’ if we pay attention to it. But sound effects appear unmanufactured, even accidental. (Corrigan et Barry, 2012 : 201) Cependant, les effets sonores ne sont ni fortuits ni naturels et sont généralement fabriqués en studio au moment de la postproduction par les Foley artists89. Aussi, seuls les sons jugés significatifs à chaque scène sont ajoutés à la bande sonore (Corrigan et Barry, 2012). Si les sons accompagnent l’image, la musique, de son côté, porte l’émotion du film comme l’explique Corrigan et Barry « Music is often used to carry a film’s emotion. Dialogue and action fall short in their capacity to convey not only particular feelings but also the experience of feeling itself. » (Corrigan et Barry, 2012 : 199). Citant Frith (1986 : 65), Tuner souligne que la musique amplifie l’atmosphère ou l’ambiance d’une scène tout en cherchant à transmettre son « emotional significance », c’est-à-dire les « true ‘real’ feelings” » des personnages (Turner, 2006 : 81-82). Notons que la prise en compte des trois couches de la bande sonore permet de tenir compte du caractère polysensoriel du paysage plutôt que de s’en tenir uniquement à la vue comme cela est souvent le cas lorsqu’il est question de paysage (Augoyard, 1995; Thibaud, 2002).

Enfin, la dernière couche concerne l’impression générale de la scène. Elle repose sur l’ambiance visuelle en lien avec le temps naturel, c’est-à-dire le moment de la journée, la saison et la relation aux éléments naturels, et l’impression qui se dégage de la scène. Corrigan et Barry mentionnent à ce propos que « In addition to scenic realism, the mise-en-scène of a

89 Du nom de Jack Foley pionnier des techniques de bruitage où les sons sont créés et enregistrés en temps réel

film creates atmosphere and connotations, those feelings or meanings associated with particular set or setting. » (Corrigan et Barry, 2012 : 71) Ils citent comme exemple le pont d’un navire qui peut suggérer le danger ou encore l’aventure.

L’idée derrière cette division de la scène en couches provient de la nature même du médium cinéma qui propose une expérience à la fois multisensorielle et émotionnelle. Tenter de tout capter d’un seul regard relève de l’impossible. La division par couches permet de concentrer notre attention sur des éléments spécifiques à chacune d’elles. D’ailleurs, ce processus a permis de découvrir la présence d’éléments a priori insoupçonnés ou du moins initialement sous-estimés. Notons que le mode de « visionnement » des couches varie en fonction du type. Ainsi, les couches purement visuelles (décor, environnement et horizon) ont été visionnées sans la bande-son alors que l’écoute des couches sonores (dialogues, bruitage et musique) a été faite avec les yeux clos. Cette décision a été particulièrement bénéfique pour la couche du bruitage qui s’est révélée extrêmement riche.