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CHAPITRE III : RESTITUTION DES RESULTATS

A. Analyse du sens donné aux concepts clés

III. La violence institutionnelle

La notion de violence institutionnelle a souvent interpellé mes interlocuteurs : il m’a été plusieurs fois demandé d’en donner une définition précise au cours des entretiens. Si le mot « violence » pouvait paraître excessif au prime abord, articulé à l’adjectif « institutionnel », selon la définition de Tomkiewicz cité plus haut, il semblait systématiquement évoquer des faits vécus qui constituent autant de situations aussi surprenantes qu’inattendues à gérer, quoiqu’il en soit, dans l’urgence.

Ainsi, l’animateur de la résidence service n’hésite pas à utiliser tous les moyens de communication à sa disposition pour signaler des faits de violence à sa hiérarchie : « : Mais la plupart du temps quand c’est quelque chose comme ça, je le laisse pas le temps de le lire, […] je vais directement la voir et je lui dis ce qui s’est passé, ou je l’appelle. Quelque chose comme ça, oui. Et après, ben… elle agit, le jour d’après quoi .Mais au moins elle le sait. […] je le dis tout de suite. »

La compétence du professionnel réside dans sa capacité à gérer l’événement, le débordement inattendu, avec sa subjectivité, son intelligence pratique et son système de valeurs, la relation de service étant par essence

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imprévisible. Le même professionnel, en relatant un conflit qui dégénère entre usagers explique : « Ça fait bizarre, la violence entre personnes déficients intellectuels… on ne sait pas comment ils vont réagir. On ne sait pas comment nous on peut réagir. Et donc, après… C’est… Comment dire ça ?... C’est… essayer que les autres résidents ne voient pas cette violence… »

Selon le directeur de l’IME « Le Landais », la violence institutionnelle peut être appréhendée comme une pression que ressentent les usagers à cause de leur handicap, ce que met en exergue un management par la qualité : « Je ne sais pas si elle (la qualité) contribue au recul de la violence. En tout cas, elle contribue à l’éclairer, à l’éclaircir, à la rendre transparente, à ne plus la nier, à ne pas la taire, à la partager avec les familles aussi, à la partager entre professionnels… » Elle est considérée par une monitrice éducatrice comme une prise de conscience : «Jusqu’au moment, ou progressivement, je ne sais pas, on a commencé à parler de bientraitance, et je pense que ça a cheminé dans certains esprits. Mais voilà : je pense que des actes qui semblaient anodins, sont devenus, avec de la réflexion, de se dire : « ben zut : comment j’ai pu faire ça ? mais je l’ai fait quand même… »

Le psychomotricien donne un exemple de cette incapacité à communiquer génératrice de souffrance institutionnelle : «…mais comment ça se fait qu’à ce moment-là cet enfant a réagi de cette manière-là alors que des dizaines d’autres fois ça ne s’est pas passé comme ça ?[…] Essayer de comprendre, enfin si tant est qu’on puisse comprendre parce qu’il y a quand même beaucoup de difficultés ici dont on ne comprend pas forcément l’origine, et, l’enfant qui a réagi de cette manière-là est bien en difficultés lui-même pour l’exprimer, pour le mettre en mots ou, d’une manière ou d’une autre, nous le faire comprendre ». Ces propos sont corroborés par une monitrice éducatrice qui reconnaît parfois avoir été démunie. « Moi je sais que quand je travaillais au sein du foyer « habitat », ça faisait quoi, ça ne faisait qu’un an que j’étais là-bas, et j’ai eu un enfant qui essayait de nous dire plein de choses, mais il n’avait pas accès au langage verbal, et donc il voulait à chaque fois nous raconter énormément de choses, mais donc on avait beaucoup de m… On essayait de comprendre, mais on avait beaucoup de difficultés à le comprendre. Et donc lui, il perdait patience à force qu’on essayait de le faire répéter, d’essayer de tâtonner pour comprendre et il s’énervait, il prenait sur lui et après il s’énervait et, et c’est arrivé à de nombreuses reprises qu’on se faisait pincer, qu’on se faisait mordre… Et, du

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coup, les premières fois : étonnée, j’avais mal, j’étais un peu démunie, je ne savais pas ».

Aussi, l’apprentissage expérientiel permet de mieux appréhender les situations de violence institutionnelle. C’est ce que la maîtresse de maison explique lorsqu’elle dit : « …quand je vois que ça commence à monter, et bien j’essaye de le distraire par autre chose pour qu’il ne pense plus à… ».

La violence institutionnelle se distingue de la violence exercée par les professionnels, appréhendée quant à elle comme une enfreinte au règlement intérieur et donc traitée dans le cadre de la faute professionnelle du droit du travail. A cette occasion, le directeur précise que «…si la question est à partir des professionnels, c’est-à-dire les professionnels comme commettant des actes de violence […] là on est dans un autre registre quand même, puisqu’on a établi des règles, on a établi des principes de bientraitance. Si on est en écart avec ses pratiques-là,… Voilà : après on rentre dans un autre cadre, un cadre plus disciplinaire. ».Néanmoins certaines comportements professionnels avec les usagers, même s’ils respectent le cadre de la bientraitance, posent question et peuvent être perçus, à certains degrés comme des faits de violence institutionnelle. L’enseignant de la classe de l’IME s’interroge lorsqu’il évoque le cas de Florian : «…donc il ne sort pas de la classe, il crie, il tape et puis il fait… Enfin des gestes […] Comment je fais ? Eh bien, je le contrains physiquement. J’en suis, ces fois-là, à le prendre dans mes bras, à le tenir, à lui bloquer les mains pour qu’il… à lui demander de ne pas crier… euh, voilà. Donc là, est-ce que… ? C’est un peu une limite… ! […] Par ce que je le contrains à un moment physiquement. Bon. Voilà, là par exemple. Après, je trouve qu’il y a une violence, en tout cas, de ma part, et j’essaie de faire attention, mais des fois c’est quand on baisse la garde avec des jeunes, et notamment les jeunes polyhandicapés, quand on est plusieurs adultes avec plusieurs jeunes et où tout se passe bien, tout va bien, on a des discussions croisées entre adultes, où là, le jeune est un peu oublié. Et ça, je trouve que c’est aussi… maltraitant. ». Dans le même sens, le psychomotricien parle de la possibilité d’une forme de violence institutionnelle lors de la concertation entre professionnels sur des temps informels : «… des temps informels ont leur place et sont reconnus dans la mesure où chacun prend bien soin de ne pas empiéter sur le temps des autres enfants.[…] Le bon soin vis-à-vis de l’un, il ne faut pas que ce soit au détriment de tous les autres ou d’un autre. »

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La violence institutionnelle est parfois inhérente à la réalité de l’activité de travail et génère une prise en charge particulière de la souffrance qu’elle génère. Dans ce cadre, le directeur précise : « Concrètement, ça veut dire qu’on peut, pour certains enfants, être sur des soins pédiatriques palliatifs : sur des accompagnements de fin de vie, brutaux ou attendus. Dans les 5 derniers mois, on a vécu 6 décès d’enfants. Il faut recevoir ça. […] Ben, on a mis en place de l’accompagnement par la psychologue, on a travaillé avec une équipe ressource qui s’appelle « Irénée », qui dépend de Jeanne de Flandre, qui est une équipe régionale ressource en soins palliatifs pédiatriques, qui intervient ici ; on a proposé des temps de parole aux professionnels, on a proposé s’ils le souhaitaient, de changer de groupe pour partir vers un public plus autonome s’ils estiment, et c’est leur droit, que c’est un petit peu difficile ou délicat.[…] Après, ça reste et ça restera un travail difficile que le travail ici, voilà. […] le changement de publics et qui est le nôtre, s’effectue dans le cadre d’un accompagnement qui est, de mon point de vue, relativement positif… ! On a des incidents, voilà c’est évident, c’est inhérent on le disait tout à l’heure. Mais globalement aujourd’hui, moi je défends : on a une certaine qualité d’accompagnement.». La question du décès des enfants revient régulièrement dans les propos des professionnels comme une violence liée à l’activité de travail : ainsi la maîtresse de maison explique : « … Le petit il est décédé. C’était un petit de six ans, donc : il était sourd, il était muet, il était aveugle… Et là, vraiment, quand je le voyais, ça me faisait vraiment mal… », La monitrice éducatrice évoque : « en tant que professionnel, on était beaucoup à être en souffrance de par le nombre de décès. C’est toujours difficile de faire face à un décès, mais là il y en a eu vraiment plusieurs, en plus dans des cours délais, donc euh… »

Il se peut que la violence institutionnelle ne soit pas directement observable, qu’elle soit induite ou qu’on soit obligé de la décoder. C’est ce qu’explique le psychomotricien lorsqu’il dit que la violence institutionnelle : «… n’est pas forcément physique, n’est pas forcément matérielle, elle peut être induite par des locaux qui sont exigus, qui résonnent, et qui sont abominables à vivre. Ça peut être aussi par la manière d’être ou d’imposer les fonctionnements, et tout ce qui peut nous arriver comme directives, qui peuvent être parfois vécues comme violentes, hein, ça peut être tout ça. Donc, la violence, elle peut prendre des formes très très très variées.[…] Lorsque certains enfants, dans le groupe de vie, ne sont pas vraiment leur place, et que le fonctionnement du groupe amène cet enfant à réagir, de manière excessive…

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Et quand on parle violence dans ce cas-là, on prend cette expression de l’enfant en termes d’extériorisation, mais ça peut être aussi sur lui-même, concernant des enfants qui se replient, dont on parle un petit peu moins spontanément et moins rapidement, ou des enfants qui quelque part, je disais, se replient ou dépriment. »

Les négligences, la routine peuvent être vécus comme constitutifs de la violence institutionnelle : « … je me trompe peut-être, mais je pense qu’on peut être maltraitant par négligence », de même que l’impuissance du professionnel face à une situation où il ne peut agir : « Oui. Ben c’est une situation qui est là. Qui est en cours là actuellement, c’est la liberté d’un résident dans ses choix de vie, face au poids de la famille, face au poids de l’institution, qui est une association de parents. On ne peut pas dire… si : c’est une situation de violence, mais qui n’est pas de notre initiative, mais on est spectateurs de ça et presque impuissants pour l’instant »

Pour gérer des faits de violence institutionnelle, la coopération de l’équipe reste un facteur incontournable : ainsi le psychomotricien explique que : « c’est ré- évalué (les situations de violence) c’est remis sur de la table, c’est discuté et rediscuté et bien mis en avant par l’équipe éducative, qui est très, dont les différents professionnels, toutes professions confondues, sont très attentifs […] le plus important, c’est le partage qu’on peut avoir avec nos collègues […]quand on quitte l’établissement et qu’on rentre chez soi, on ne part pas avec des valises : il y a moyen de mettre en mots sur place et de laisser sur place. » . Ces propos sont confirmés par l’AMP : « …après on donne le relais un peu ben pour qu’on puisse souffler aussi. Avec certains enfants on donne beaucoup de relais pour ne pas craquer non plus quoi en fait. » Aussi, un désaccord ou la mésentente au sein de l’équipe peut générer de la violence institutionnelle vécue comme de la souffrance au travail par les professionnels. De nombreux exemples sont relatés au cours des entretiens, celui d’une monitrice éducatrice l’IME, bien qu’en apparence banal est révélateur de l’ampleur du mal être généré : «…Après, en autre violence, je me dis que, après ce qui me vient en tête ça peut être même d’adulte à adulte, je me dis, ben voilà on a une structure où on est nombreux , donc des fois les commérages comme j’appelle ça, ça peut être difficile. Les bla-bla qui n’ont aucun sens et qui nous font perdre notre temps, ben je me dis que ça peut aussi jouer sur le moral de certaines personnes, qui peuvent être difficile au quotidien : « un tel a dit ceci, un tel a dit cela ». En plus ça n’a pas de sens parce qu’on perd notre temps et on n’est pas là pour ça, mais je me dis que ça, ça peut être une certaine forme de violence, pas

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physique mais morale, dans le sens où la personne elle vient un peu avec un boulet au pied on va dire, en se disant, c’est pas facile »

L’animation de l’équipe et le management dans le cadre d’une démarche qualité, outre la politique mise en œuvre et les procédures spécifiques qui découlent directement de la loi 2002-2 du 2 janvier 2002, passe donc par la prévention des risques possibles (tant au niveau des usagers qu’à celui des professionnels) et par la nécessaire coopération de l’équipe pluridisciplinaire dans une perspective d’interdisciplinarité au service de la bientraitance de l’usager.