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III. CONTREFAÇONS, CONTREBANDE ET SAISIES : L’ÉCLAIRAGE DE

2. ÉDITION PROVINCIALE ET CONTREFAÇONS

2.3. D’autres villes de Province

2.3.1 Orléans

Le dépouillement de certains recueils regroupant les papiers du commissaire Delamare nous a permis de découvrir que Lyon n’était pas la seule ville de province à produire des contrefaçons de la Bible de Port-Royal.

Un procès verbal120 daté du 9 octobre 1705 nous a permis de découvrir l’existence de contrefaçons imprimées à Orléans. Un dénommé Rouzeau, libraire à Orléans est arrêté à la Porte Saint Jacques. Il est trouvé en possession de « vingt une mains des commencements et des fins de quatre cents exemplaires d’une traduction française du Nouveau Testament. ». Interrogé par le commissaire et le syndic des libraires, il révèle l’endroit où il cache ses livres contrefaits. Il s’agit du moulin de Montsouris. On y découvre deux cents exemplaires non achevés du même livre. La suite de l’interrogatoire permet de découvrir la complicité d’un déchargeur et de sa femme qui avouent avoir fait passer six paquets de parties de livres et les avoir

déposés dans une auberge. La perquisition faite à l’auberge permet de trouver les six paquets qui forment cent cinquante exemplaires du Nouveau Testament non reliés.

La conclusion du commissaire Delamare donne des renseignements précis sur le Nouveau Testament en question : « Rouzeau a commis dans cette occasion [des] contraventions manifestes : 1° d’avoir imprimé ce livre sans approbation ni privilège. Il y a cela de particulier que dans cette édition, Rouzeau n’a suivi aucune des autres versions du Nouveau Testament uno contextu, mais qu’il l’a compilé de plusieurs morceaux de toutes les autres versions et cela sans doute par un mauvais artifice pour se mettre à couvert des interventions de ceux qui ont les privilèges.

2° qu’il a supposé ce livre imprimé par Broncart à Liège, au lieu d’y mettre son nom et la ville d’Orléans où l’impression a été faite. » Rouzeau a donc réalisé une compilation de plusieurs versions du texte. On peut supposer que c’est l’édition de Broncart (qui est elle-même fondée sur la traduction de Lemaistre de Sacy) à Liège qui a servi de base à sa propre contrefaçon. Rouzeau connaissait déjà la contrefaçon de Broncart, et a réalisé « une contrefaçon de contrefaçon », pensant sans doute se mettre à l’abri des poursuites en les dirigeant vers Broncart. Cet exemple soulève une question importante : combien d’autres petits imprimeurs de Paris et surtout de province se sont ainsi cachés derrière des imprimeurs dont il était de notoriété publique qu’ils avaient contrefait des ouvrages ? La bibliographie matérielle pourra peut-être répondre en partie à la question, mais l’étude des sources judiciaires et des papiers d’imprimeurs encore conservés s’avèrera indispensable.

2.3.2 Rouen

Rouen, considéré comme le deuxième centre typographique du royaume, après Paris, bien entendu, mais devant Lyon, ne pouvait guère rester à l’écart dans cette étude. Là encore, ce sont les papiers du commissaire Delamare qui nous ont permis d’avoir une preuve de l’existence des contrefaçons rouennaises de la Bible de Port- Royal.

Un rapport121 fait état de la découverte, dans un ballot de tapisserie que Dubosc, marchand tapissier de Rouen, avait fait venir par bateau à Paris « d’une Bible de Sacy in folio en un volume, relié en veau, impression de Rouen et néanmoins sous le nom de Broncart à Liège, (…) l’un et l’autre de ces livres contrefaits sur les éditions de Paris dont le Sieur Desprez a le privilège ». Une déclaration du syndic de la chambre des libraires et imprimeurs de Paris indique précisément les références portées par cette Bible en page de titre : « Un livre intitulé : La Sainte Bible contenant l’Ancien et le Nouveau Testament, traduits en français sur la Vulgate par Mons. Lemaistre de Sacy, à Liège, chez François Broncart, 1702 en un volume in folio relié en veau. » Dubosc n’est assurément chargé que du transport du livre de Rouen à Paris, et le nom de l’imprimeur qui a réalisé la contrefaçon n’est pas connu. Dans cette affaire encore, l’imprimeur de province s’est caché derrière l’adresse de Broncart. Toutefois on pourrait supposer aussi que l’identification du livre par les commissaires du Châtelet et les autorités représentant les libraires de Paris comme étant une édition rouennaise est peut-être fausse.

Une autre affaire122, postérieure de trois ans à la précédente (le rapport porte la date du 14 juin 1708), nous donne peut-être une piste de recherche chez les imprimeurs de Rouen. Un nommé Louis Couvent est arrêté à Paris. On trouve sur lui plusieurs livres contrefaits. La perquisition faite dans l’auberge où il loge s’avère fructueuse : un grand nombre de contrefaçons est saisi. Parmi celles-ci : « dans l’une desdites mallettes huit exemplaires de la Bible in folio par M. Le Maistre de Sacy, à Liège, chez François Broncart, 1702. ». Quatre autres titres saisis portent des adresses en Angleterre ou aux Pays-Bas : « chez Touson, à Londres », « Amsterdam, chez Pierre Brunel », « A Bruxelles chez Georges de Backer », Mais la majorité d’entre eux portent l’adresse d’un imprimeur rouennais, Jean- Baptiste Besogne (vingt titres sur vingt-huit). Une édition porte une autre adresse à Rouen, chez Guillaume Machuol. Parmi les livres portant l’adresse de Besogne on relève un « Nouveau Testament, à Rouen, chez Jean Baptiste Besogne, 1708. Huit exemplaires reliés en parchemin in 12. », malheureusement sans indication

121 BnF Mns. Fr. 21 746, f° 94. 122 BnF Mns. Fr. 21746, f° 352.

complémentaire qui nous permettrait de garantir qu’il s’agit de la traduction de Lemaistre de Sacy.

Il est bien connu que de nombreuses contrefaçons hollandaises entraient en France par le port de Rouen. Toutefois, il serait intéressant de travailler sur la production de Besogne et dans une moindre mesure sur celle de Machuol. On peut raisonnablement penser qu’ils ont produit des contrefaçons, peut–être en se cachant eux aussi derrière les adresses d’éditions déjà contrefaites.

3. L’exemple d’un réseau de contrebande : les activités