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ANALYSES DES DONNEES CLINIQUES

6.3. Vignette illustrative d’un cas clinique.

L’objectif ici n’est pas de produire une analyse détaillée d’un cas car ce sont les comparaisons de groupes qui ont effectué la validation de nos hypothèses. Il s’agit d’illustrer notre travail par quelques éléments de clinique individuelle allant dans le sens de nos observations statistiques.

Geoffrey est un enfant de 8 ans 4 mois, présentant une instabilité psychomotrice

sévère qui altère ses performances scolaires, les relations à ses proches et à son environnement plus large et également à lui-même (symptômes dépressifs légers mais fréquemment observés, blessures nombreuses par accidents, traits de caractère immature). L’agir est envahissant mais aussi irrégulier parce qu’il cède dans certaines situations, notamment de relation duelle (sauf celle infanto-maternelle). La mère vient à la consultation pour essayer de comprendre ce qui se passe chez cet enfant, le père dit qu’il est en accord avec ce travail mais il ne désire pas y participer activement. La mère se plaint très fortement des oppositions, des traits de caractères provocateurs et désorganisateurs de son fils. Il est enfant unique, la grossesse était très attendue par la mère sans qu’elle puisse aujourd’hui expliquer vraiment pourquoi. Cette femme se présente de façon très contrôlée, excessivement attentive et courtoise dans le contact, montrant une bonne volonté et une coopération qui amène des

discours ne montrant que peu d’affects et des idées déjà préparées avant nos rencontres. Il en ressort une faible spontanéité constituant une résistance non négligeable au début du travail psychothérapique. La relation avec sa propre mère est difficile (son père est décédé il y a 6 ans), elles semblent incapables d’échanger et de communiquer réellement ; à n’en pas douter madame aime sa mère et l’inverse est aussi vrai, c’est l’accordage affectif qui serait difficile ou perturbant. Du côté de l’enfant, le bilan de niveau à la WISC–3 donne un profil légèrement dysharmonique et les résultats sont normaux mais plutôt faibles (QIP98, QIV86, QI à 92). Il présente la particularité d’avoir sévèrement échoué au subtest SIMILITUDE. Les résultats à l’échelle d’anxiété R-CMAS (Reynolds et coll., 1985) sont plus alarmants. En effet, l’anxiété dite physiologique (évaluant les phénomènes d’allure psychosomatique) est anormale car nettement supérieure à la moyenne (score à 15). L’anxiété dite psychique (évaluant l’inquiétude et l’hypersensibilité) est aussi de niveau pathologique (score à 14). Les résultats de l’échelle d’hyperactivité de CONNERS sont très péjoratifs et illustrent bien les phénomènes cliniques observables (score d’hyperactivité sévère). On retrouve une susceptibilité aux phénomènes de somatisation (maux de ventre, fond asthmatique associé à une fragilité aux infections O.R.L.), une impulsivité importante liée à l’hyperactivité, cela témoignant des grandes difficultés de contrôle de la pulsion et de l’émotion par l’enfant. Les troubles d’apprentissage et du caractère peuvent être compris dans cette personnalité perturbée et en difficulté de développement. Geoffrey s’implique très positivement dans l’examen psychologique, disant que ceci est fait pour son bien et qu’il me trouve gentil. Ce commerce narcissique sur lequel l’enfant insistera évoque à la fois la demande maternelle (très incisive pour faire le bilan) et en même temps la position subjective de l’enfant qui est à l’aise dans ce type de relation déconflictualisée et fondée sur le soutien narcissique ; l’institutrice a relevé le même type d’attitude dominante à l’école. Lors du bilan, le contact avec l’enfant semble concentrer une relation de dépendance, il n’y a pas d’opposition ni de trouble majeur du comportement. Lors des premiers entretiens, la relation entre Geoffrey et sa mère est faite d’une soumission de l’enfant. Les questions de la mère envers Geoffrey trouvent toujours une réaction de l’enfant qui se place exactement là où la mère attendait la réponse, le contact entre eux lors de nos entretiens ne montre jamais d’opposition. A l’inverse, à l’extérieur, l’enfant est décrit insupportable par la mère, celle-ci ne supporte plus son fils dont les instabilités sont pour elle autant de provocations et de stimulations trop excitantes. Les souffrances de cette femme sont importantes et le travail psychothérapique commence par une série d’entretiens mère-enfant pour soutenir et expliciter la place de l’un et de l’autre dans leur relation, en essayant de faire intervenir le père (ceci échouera longtemps). La dimension de dépendance intersubjective se

confirmera par la suite lors de la psychothérapie avec Geoffrey où ce que pensait ou faisait l’autre était un repère de pensée et d’acte pour l’enfant ; l’espace restreint de la séance condense et fait loupe sur ce type de relation. L’évolution de ce mode relationnel ira de pair avec les évolutions positives de l’enfant et de la situation initiale.

Nous allons présenter des éléments du bilan et du suivi psychologique :

1– Notes cliniques de psychothérapie.

Le Lego plait beaucoup à Geoffrey, il essaie souvent et parvient quelquefois à créer des maisons aux formes et architectures quelque peu extravagantes. Au-delà des formes irrégulières de la maison qui rappellent les agirs et les investissements désorganisés de cet enfant, il est apparu que lors d’une séance, il a construit une telle maison qui a presque pris une allure de maison-bonhomme, sa réalisation évoquait une métaphore corporelle globale, une représentation du corps dans l’espace. Pour réaliser cette maison, l’enfant était assez stable sur sa chaise et est resté toute la séance sur cette tâche. Rapidement, je constatais que plus la construction prenait une forme de maison-corps, et plus apparaissaient des agirs parasites, des mouvements de plus en plus grands des jambes, des mises en mouvement des pièces (les faire tourner sur elles-mêmes, les lancer dans la caisse à Lego, je voyais aussi des essais et erreurs d’ajustement de plus en plus fréquents – parfois il prend les mêmes pièces mais de couleurs différentes et les essaie tour à tour sans arriver à en fixer une).

Il semble que l’apparition progressive de ces instabilités renvoie à des agirs-actions et à une RCA qui viennent s’infiltrer dans le processus de pensée de l’enfant. La représentation de la maison, de l’objet investi, prend du sens au sein de la progression du jeu (soit le sens métaphorique corporel, soit plus simplement le sens d’un objet total constitué ou en voie de constitution et pouvant recevoir des investissements). Plus cette représentation trouve un écho dans la réalité externe (la construction de la maison Lego) plus l’enfant investit son projet (la représentation de la maison) et c’est au travers de cette progression que les agirs-actions s’amplifient et viennent se poser comme un “symptôme” alors qu’ils participent au fonctionnent psychique de l’enfant. Les transformations successives de la maison qui génèrent une forme puis une autre, dans une direction puis une autre, ses aspects contenants et structurés (volumes et murs-parois), seraient des figurations d’une enveloppe somato-psychique de l’enfant, i.e. une enveloppe psychique qui délimite les sensations des transformations (du mouvement) par rapport à l’espace extérieur. L’enfant construit sous la forme d’une présentation matérielle (Lego) quelque chose de son espace psychique où le mouvement corporel tient une place particulière : à la fois comme source [maison-bonhomme distordue] et comme contenu ou produit [les instabilités émergeantes].

Les observations avec Geoffrey présentent l’émergence d’une tension (somatique et aussi psychique) qui prend son origine et se confond dans le fonctionnement imaginaire de l’enfant, imaginaire qui se met en liaison avec un objet externe ; le protocole de Rorschach montre bien cela également. Les agirs apparaissant être le “fil” de cette liaison. On constate ici que la question n’est pas vraiment celle d’un manque imaginaire mais celle du mode d’expression de l’espace imaginaire. Donc, à partir d’un objet (son image puis sa réalisation) mais aussi à partir du halo sensoriel des contacts sujet–objet, et enfin à partir des gestes (transformations et désirs moteurs), on constate que les agirs-actions s’infiltrent et participent au fonctionnement psychique de l’enfant alors qu’il s’agit pour l’observateur de l’apparition de l’hyperactivité. En tant qu’image de soi et du soi mobile face à l’autre, la RCA traduit aussi la façon dont l’enfant s’est approprié son propre corps, il s’agit ainsi d’un produit tout à fait intime et paradoxalement tout à fait lié aux caractéristiques réelles et fantasmatiques sur le versant maternel qui ont marqué ou imprégné le corps infantile.

La lecture de ces faits cliniques nous amène à évoquer « le corps propre qui ne cesse de fonctionner,

au niveau inconscient qui caractérise toute projection, comme schéma fondamental de représentation » (Sami-Ali, 1998, p.76). La “maison lego–objet–image du corps” se délimite dans le

temps de la séance grâce ou avec les agirs instables, l’image globale qui doit en résulter finalement du point de vue de l’enfant évoque une représentation de soi assez originale, plutôt atypique mais unitaire et symbolisante.

2– Extraits du test des Contes de Geoffrey et analyses.

Nous présentons ici seulement des contes particulièrement informatifs, ceux directement liés à la problématique de dépendance et à celle de l’agir corporel infantile dans le tissu de la relation à la mère. Ces deux dimensions sont centrales dans les discussions théorico-cliniques de notre travail de recherche.