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La représentation corporelle d’action comme faille de symbolisation.

1.2. Le processus de symbolisation dans l’agir de l’instabilité.

1.2.2. La représentation corporelle d’action comme faille de symbolisation.

S’appuyer sur des avancées théorico-cliniques de R. Roussillon permet de faire intervenir la notion de RCA et d’agir-action dans une explication de l’agir du point de vue de l’élaboration psychique. L’auteur donne une formule freudienne : « rien n’est dans la pensée qui ne fut d’abord dans les sens » (1995, p.1481). On voit alors l’importance des proprioceptions associées aux agirs dans l’instabilité lorsqu’on se place du point de vue du processus de symbolisation.

♦ La symbolisation dans l’agir instable.

La représentation d’action dont il est question dans nos propos ne constitue pas une mentalisation mais il s’agit d’un certain travail d’élaboration psychique lié à l’agir et au comportement de l’enfant. Nous avons proposé (supra p.31) qu’un certain matériel psychique ne peut être pensé ou ne serait pas assez pensé car il est pris dans un désaccordage relationnel avec la mère. Ce trouble de symbolisation se situerait dans le modèle de R. Roussillon (1995, 1997) au niveau du passage de la symbolisation primaire à la symbolisation secondaire. La première est d’abord non-représentative puis représentative-de-chose : chose issue de l’éprouvé sensoriel et appelée indice perceptif. Dans notre point de vue sur l’IPM, il s’agit à l’origine de la représentation corporelle d’action : d’essence corporelle, elle contient les indices perceptifs cœnesthésiques inhérents aux mouvements du corps. À ce niveau primaire et d’après l’auteur (ibid.), la représentation-chose de l’indice perceptif est intégrée au Moi

pour y être subjectivée car elle est mise en relation avec certaines représentations internes activées ; elle est insérée dans un contexte d’organisation narcissique et pulsionnelle signifiant pour le Moi. Dans notre réflexion, les représentations activées qui donnent un sens contextuel subjectif à l’excitation sensorio-motrice proprioceptive sont du registre du lien rigide à l’objet maternel altérant l’usage de la motricité : le matériel psychique «non pensé ou pas assez pensé» s’inscrirait essentiellement dans ce registre relationnel et narcissique pathogène pour le Moi (cf. chap.2). La symbolisation primaire s’élaborerait rarement ou difficilement vers la secondaire ; cette dernière est représentative-de-mot, dégagée de la trace corporelle, le mot pouvant s’intégrer au préconscient/conscient en réalisant une mentalisation de la perception et de l’imaginaire.

L’agir-action s’établit ainsi dans une sorte de court-circuit du processus de symbolisation secondaire et cela de façon privilégiée et répétée. Ce court-circuit s’entretient surtout par le rapport étroit existant entre d’une part la représentation corporelle des indices proprioceptifs de l’agir et d’autre part des expériences motrices constituant le contexte relationnel mère-enfant pathogène déjà évoqué. La symbolisation

des limites de soi et de l’objet, des limites du geste sont difficiles pour l’enfant : qui influe sur qui, sur quoi, où se trouvent ses espaces et ceux de l’autre ? Au final, le trouble de symbolisation conduirait à une difficulté de mentalisation14 qui s’exprime cliniquement en partie par la voie comportementale, laquelle contient alors suffisamment les énergies pulsionnelles et affectives en jeu.

La représentation corporelle d’action porte un rôle de représentation de soi. Cette notion se distingue et recouvre celles de schéma corporel et d’image du corps (Sanglade, 1983 ; Chabert, 1998). Cliniquement indissociables, ces trois termes sont théoriquement imbriqués, depuis le corporel (schéma), en passant par des traces du vécu de soi (l’image), vers le sentiment de soi en relation dans le monde (représentation) : « la représentation de soi se trouve ainsi au carrefour de l’éprouvé narcissique et de la vie relationnelle » (Sanglade, ibid., p.106). La représentation de soi est évolutive, elle se construit et se modifie au cours du développement de l’enfant en fonction des expériences corporelles, émotionnelles, sociales du sujet : cette représentation est une figure de l’insertion du sujet dans le monde, elle a directement à voir

avec son identité. Ce concept est intéressant pour sonder les développements du corps et de

14. Au sens de J. Bergeret et C. de Tychey : « pour Bergeret la mentalisation correspond à l’utilisation

mentale qu’on va faire de l’imaginaire […] : la mentalisation est une attitude où l’imaginaire est traité, élaboré, utilisé en tant qu’imaginaire ; c’est à dire sur le plan de représentations qui restent dans le domaine mental […] le comportement est là pour utiliser l’imaginaire dans un modèle relationnel qui n’est pas mentalisé, qui passe par des actes au lieu d’être mentalisé » (de Tychey, 1994a, p.244-245).

l’identité dans le lien à la mère (d’autant plus qu’au plan méthodologique l’usage de la méthode projective est particulièrement pertinent pour étudier cette notion).

Nous proposons une quatrième hypothèse théorique.

L’agir émergerait d’une représentation motrice. Cette représentation corporelle d’action s’inscrit dans une symbolisation primaire des excitations internes et externes (représentation primaire, représentation-chose) et contribue à la représentation de soi. Cela entraînerait des agirs-actions qui constituent la source de l’instabilité motrice dans une dynamique interne circulaire et répétitive.

♦ L’agir comme ancrage aux sensations corporelles.

La RCA a été présentée comme témoignant au final d’une faille d’élaboration symbolique. Faille ne veut pas dire faillite. Si l’on suit le modèle de R. Roussillon (1995), l’acte est une forme primaire de symbolisation. La difficulté de mentalisation concerne la liaison intrapsychique des excitations et des affects ; ces objets trouvent difficilement une issue pour se dégager du système corporel de base, et ils ne peuvent pas alors évoluer dans le domaine mental et s’inscrire dans l’appareil psychique comme des expériences subjectives signifiantes. Il y a un attachement particulier d’une partie de la psyché de l’enfant aux sensations kinesthésiques et aux mouvements corporels. L’instabilité montre un certain “désaccordage” du sujet avec ses expériences et plus loin avec son monde interne, ses espaces propres.

Des théorisations de M. Berger (1992), s’appuyant sur celles de B. Gibello (1984), rappellent que dans le développement normal les débuts de l’activité de représentation sont fondés sur le fait que « la perception des mouvements des muscles et des articulations lors de la répétition de schèmes moteurs est la première ébauche de la représentation psychique » (p.78). Selon M. Berger, les individus qui ne peuvent faire l’expérience d’un environnement leur permettant d’élaborer des schèmes moteurs cohérents vont répéter de façon inlassable certains gestes de la première année de leur vie. B. Gibello (ibid.) montrait que les schèmes d’activité musculaire chez le jeune enfant ont l’importance d’un contenant de pensée capable d’engendrer ultérieurement des représentations. M. Berger (ibid., p.77) rappelle aussi que « l’observation directe des enfants montre que l’activité exploratoire est d’abord manipulatrice ». L’auteur propose alors que le sujet “pense” d’abord avec ses muscles, et que les premières façons plus ou moins organisées d’entrer en contact avec le monde sont musculaires ; A. Green (1985) évoque la main psychique. On comprend qu’être en relation par

l’intermédiaire de l’agir serait une partie intégrante du développement. Chez l’enfant, la mise en action du corps n’est pas seulement une régression pathologique d’un niveau mental à un niveau comportemental car au plan ontogénétique elle est d’abord une forme d’expression d’images et d’affects. L’agir infantile est une dimension développementale qui implique le corps, le psychisme et les contacts avec l’environnement. Ainsi, l’instabilité psychomotrice

apparaît comme une difficulté du développement, difficulté à intégrer ou organiser l’agir le long du développement moteur et de l’évolution intersubjective. Le mouvement

peut être étudié alors comme la marque d’un développement problématique de la motricité corporelle et des images que la psyché s’en fait au-delà de la première année de vie.

En suivant les pistes de M. Berger (1992, 1999), S. Tisseron (1994) et D. Anzieu (1987, 1994b), il semblerait que l’agir instable constitue une forme de fixation, non pas libidinale (au sens freudien) mais plutôt un statu quo, un ancrage sensoriel de l’appareil psychique en cours de développement, ancrage aux sensations typiques des grandes motricités et aussi à une enveloppe somato-psychique du mouvement ; cela évoque une perturbation d’une fonction en voie de constitution (Sami-Ali, 1987, 1998) ou en latence d’agencement (Berger, 1992). Une pathologie infantile tel que l’IPM serait corrélative d’une organisation psychique profonde et spécifique, le travail psychologique avec ces enfants le montre bien. Si l’instabilité revêt une allure de désorganisation, il s’agit de son allure symptomatique donnée à voir à l’observateur. Les mécanismes spécifiques et la nature du symptôme seraient à l’inverse très organisés et pèseraient lourdement sur les dynamiques psychiques développementales de l’enfant.

Nous proposons une cinquième hypothèse théorique qui découle de la quatrième.

L’organisation profonde et durable des agirs de l’instabilité constituerait en temps normal un système suffisant pour traiter les excitations intra et intersubjectives, et dans ces conditions la voie comportementale dominante et privilégiée ne serait pas complétée par le recours à la voie somatique. Cela renverrait à un trouble de mentalisation ponctuel mais répété et portant sur les affects de déplaisirs et les sources pulsionnelles.

♦ Remarques sur la notion d’agir-action.

Le terme d’agir-action utilisé conjointement à celui de représentation corporelle d’action nous aide à préciser ce que l’agir de l’instabilité a de particulier parmi la catégorie plus générale du comportement chez l’enfant. L’agir-action serait un agir comportemental (motricité fine ou globale) qui ne présente pas de but en soi mais demande à se présenter dans

l’action du corps. Les agirs-actions peuvent être mis au service de la pulsion (en particulier la dynamique dite anale) selon le but et l’objet hic et nunc de celle-ci ; ils peuvent aussi servir plus directement à une décharge d’énergie interne ou de tension psychique. Il s’agit d’un agir d’origine non consciente, inséré dans la continuité du tonus corporel et directement lié à la cœnesthésie proprioceptive ; il est inhérent à la représentation de soi, au vécu de continuité de soi. Ce serait une “brique élémentaire”, une unité minimale de l’agir instable qui, lui, se présente cliniquement comme un flux de comportements et d’actions. C’est ce flux d’agirs mêlé aux relations globales de l’enfant que le clinicien appelle instabilité psychomotrice. L’agir-action n’est donc pas directement l’agir instable, ce dernier est clinique et symptomatique, complexe et probablement surdéterminé. Les instabilités motrices sont à la fois la source et aussi le produit de grandes quantités de proprioceptions, en contingence peu ou prou avec des ressentis émotionnels : il y aurait ainsi en continu le potentiel ou la possibilité pour l’appareil psychique de l’enfant de générer une représentation corporelle d’action. Tous ces arguments nous amènent à comprendre l’instabilité comme un symptôme, un écueil, une conséquence d’un développement troublé.

Le premier chapitre est maintenant achevé. Nous allons maintenant étudier la problématique de séparation progressive mère-enfant au cours des déambulations dans le développement moteur infantile, ainsi que le rôle des représentations motrices de soi dans cette séparation.

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La notion de représentation corporelle d’action s’inscrit totalement dans ce second chapitre où sont étudiées certaines relations entre la mère et l’enfant devenant instable, avec leurs répercussions sur l’entourage au fur et à mesure du développement. S’il est nécessaire de prendre en compte les premiers temps du développement somatique et psychique de l’enfant, il s’avère que l’hypothèse de dépression maternelle ou de défense contre les angoisses primitives, prise isolément, ne fait pas l’unanimité chez les cliniciens. Le poids des développements des relations d’objet et de leurs avatars paraît important. Les théorisations liées à la dépression maternelle seront prises en compte car celle-ci à une importance au plan clinique mais ce sera fait dans une optique différente. Dans les réflexions qui vont suivre, le repère central devient la période d’apprentissage de la marche avec ses corollaires d’individuation infantile, il s’agit là du cadre d’expression symptomatique spécifique de l’instabilité psychomotrice. La période entre la naissance et le moment où la pathologie est bien établie recouvre une multitude d’expériences narcissiques pour l’enfant et déjà une infinité d’expériences relationnelles au travers desquelles vont être éprouvées les premières enveloppes psychiques ; les parents et la mère en particulier ont interagi avec l’enfant en imprégnant constamment la relation de leurs fantasmes, défenses, plaisirs et angoisses. Il existe ainsi un large espace (temporel, spatial, interactif) entre la naissance et l’autonomie motrice de l’enfant où s’instaure la parentalité par le jeu identificatoire et les effets générationnels sur le système relationnel infanto-parental.

Proposer qu’il existe des déterminants qui seraient plus tardifs que ceux touchant précocement les enveloppes psychiques mais plus actifs dans le temps permettrait donc d’approcher « l’impact de la problématique parentale sur l’organisation à plus long terme du psychisme de l’enfant » (Golse, 1994, p.90). Chez l’enfant devenant instable, avant trois ans et dès le début de sa motricité véhiculant un désir d’agir dans le monde ou sur soi15, se poserait

15. Il y a ici le cadre plus large des déambulations, les actions autonomisantes conscientes ou non, l’expérimentation par l’enfant de sa force et les effets de cette force sur les objets du monde mais aussi sur le corps propre et celui de l’autre.

une problématique singulière induite par des enjeux relationnels maternels. Il pourrait s’établir une contrainte pesant sur le lien mère-enfant et plus précisément sur l’autonomisation des actions et des représentations d’actions infantiles. La question concernerait alors les espaces psychiques du corps propre infantile dans le tissu relationnel.