• Aucun résultat trouvé

Gauthier nous enseignent que du point de vue du sujet l’espace a par essence des

propriétés corporelles et psychiques. Au travers de l’apprentissage à la propreté, à la

déambulation, aux actes, c’est bien du corps relationnel et de l’appropriation du corps dont il s’agit entre l’enfant et l’autre.

La notion de “rencontre avec l’objet” paraît se trouver au centre de la problématique (ceci est effectivement d’une grande importance clinique au point de vue comportemental et symptomatique). Les images dynamiques du corps, les gestes vers quelque chose ou quelqu’un, les regards d’autrui sur soi, la désignation du symptôme, tous ces aspects de l’instabilité mettent en exergue la “place de l’autre” autour et à partir du corps de l’enfant ; (on pourrait d’ailleurs se demander si l’enfant est instable lorsqu’il est absolument seul). Il existe un fait clinique soutenant ces réflexions sur la place de l’autre : il s’agit pour le psychothérapeute de la nécessité de dépenser une grande quantité d’énergie pour rester

23. Ces deux-là sont une autre forme (plus “psychique” que les rythmes biologiques) de repère interne et personnel qui participe à organiser une continuité temporelle et identitaire du sujet.

concentré, rester avec ou près de l’enfant instable lors des séances24. Nous avons souvent le sentiment auprès de lui de ne pas avoir de réelle place, d’importance. La concentration du clinicien pour être présent en séance participe souvent à l’implication et à la capacité à jouer de l’enfant.

Observations cliniques Le cas de Maxime (7 ans et demi) donne l’exemple d’une forme de relation spéculaire avec l’autre via le(s) corps. L’enfant est très instable et très impulsif, à l’école surtout et moins à la maison, il ne l’est que peu en séance. Son travail psychologique a comme support médiateur unique le dessin, avec cette particularité qu’il ne peut dessiner que si je dessine avec lui et comme lui ; dessiner le même objet, la même histoire, tous les deux assis face à face de chaque côté du bureau, chacun avec sa feuille. Au début d’une “séance dessin”, Maxime a souvent besoin de me prendre une idée ou de me faire choisir le thème, mais ensuite l’enfant individualise rapidement sa création et prend le rôle de diriger le dessin-miroir. Ce faisant, il exige de moi de le suivre sinon il s’arrête et n’est plus intéressé par la séance. Durant le dessin, il scrute constamment mes réalisations et les compare aux siennes ; quand je traîne, il me stimule « dessine, dessine ! », et quand je fais mieux que lui, il rompt le jeu ou exige de l’aide. Les capacités de mentalisation, la confiance de l’enfant en ces capacités, la confiance en moi, l’importance du lien à l’objet pour le fonctionnement intrapsychique, sont des dimensions fondamentales que le travail avec Maxime a pu en partie éclairer ; j’ai pratiqué 33 séances de ce type avant que Maxime puisse jouer avec la pâte à modeler, laquelle fut utilisée de façon unique assez longtemps.

Le travail psychologique avec cet enfant a montré le besoin d’une sorte de reflet narcissique pour pouvoir représenter et penser des objets dans l’espace de la séance. Pour Maxime, le corps de l’autre fonctionnerait comme une sorte de créateur de l’espace de son propre corps dans lequel est possible l’émergence de la pensée (ici les projections dans le dessin qui témoignent d’un processus de pensée efférent). La position ou relation spéculaire sujet/autrui qu’exige l’enfant est associée à l’absence d’instabilité. Dans les séances de Maxime, les proprioceptions de l’agir sont complétées ou peut-être même remplacées par une image visuelle du corps de l’autre qui ouvre un repérage corporel, un étayage corporel à l’activité de la pensée. Cette situation concerne aussi ce que M. Berger (1999) appelle l’utilisation de

l’objet comme miroir visuel où l’entité corporelle passe pour l’enfant du SENTI au VU, le

corps de l’autre est pour l’enfant instable un corps VU qui soutient l’unification du corps propre. O. Moyano (2002) décrit également le rapport de spécularité pathologique entre le sujet et l’objet avec la notion d’identification bijective, laquelle rend compte de la psyché qui devient le reflet de l’image de l’autre dans un écueil des identifications primaires : « elle se

réduit à n’être qu’une identification en surface (ou de surface) à une image ». En outre, quand

l’image du corps et de ses proprioceptions est possible à constituer et à intégrer comme telle, il apparaît que l’agir est moins émergent, la représentation corporelle d’action peut alors laisser

24. Ce fait est aussi relaté par M. Berger (2002) : « le thérapeute se trouve confronté à un effort surmoïque

la place à une image du corps plus entier et dont la dimension imaginaire est plus large. Le dessin de Maxime et l’acte de pensée qui le détermine adviennent grâce à la présence en miroir du corps de l’autre, comme du point de vue historique, lors du début des mouvements globaux et toniques où un enfant vit, ressent et se représente son corps et ses désirs moteurs à travers les renvois (le miroir) des paroles, des affects et des actes de sa mère (ou un de ses représentants).

Le cas de Maxime montre que le “corps” est recherché pour “contenir” l’enfant, comme si cet enveloppement n’allait pas de soi et devait être activement recherché dans l’autre. L’autre est alors repère, tuteur, voire format de son propre corps, une forme corporelle. Le SENTI et le VU impliquent autant l’espace relationnel que l’intimité, ils concernent le lien intersubjectif.

Pour résumer le second chapitre théorique : L’instabilité psychomotrice infantile serait une expression de la motricité qui n’a pas assez de valeur industrieuse et socialisante pour la personnalité de l’enfant. En tant que dysharmonie développementale, elle renvoie à une relation de dépendance à l’objet maternel et une organisation psychique de niveau préœdipien. Les troubles d’autonomisation motrice et la difficulté à élaborer les motions anales chez l’enfant s’entravent dans un autre travail de symbolisation qui est celui de penser la distance entre le soi et l’objet maternel. Du point de vue de l’interaction de l’enfant avec la mère, c’est la constitution d’un espace somato-psychique propre, d’un “corps relationnel moteur”, qui serait en jeu. Ainsi, ce que nous appelons la représentation corporelle d’action évoque en grande partie la façon dont l’enfant s’est approprié son corps mobile. Il s’agit d’une trace et d’un repère existentiel pour l’enfant, une image de soi dominante/surinvestie dans la continuité du vécu subjectif, fonctionnant comme une représentation de soi.