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LA VIBRATION INITIALE

Dans le document Astronomie et Sciences Humaines" n 6 (Page 69-76)

ASTRONOMIQUES DANS LES TRAVAUX DE L'ECOLE FRANCAISE D'ETHNOLOGIE DANS LA BOUCLE DU

LA VIBRATION INITIALE

Dans son E s s a i s u r l a r e l i g i o n b a m b a r a (1951), et dans

"Signes d 'écriture bambara" (in : S i g n e s g r a p h i q u e s s o u d a n a i s , 1951), G e r m a i n e Dieterlen fait longuement état de cette idée d ' u n e vibration originelle. Nous suivrons ici de près son texte.

Les Bambara connaissent divers systèmes de signes qui représentent un classement par catégories de tout ce que contient l'univers.

11 y a d'abord le système appelé dyê s i r a g a l e , "le premier chemin du monde".

Vient ensuite le système glâ glâ zo, composé de 266 (ou 226) idéogrammes f o r m a n t une nomenclature de toutes choses. Ces signes ont précédé la création des choses qu'ils désignent :

"Les choses, conçues dans l'invisible, c'est-à-dire le non réalisé, ont reçu un nom et un signe connotant ce nom, avant d'avoir existé. L'idée à l'état pur et statique a précédé l'acte de création : c'est lorsque s'est manifesté

le "penser" conçu comme un mouvement interne imprimé aux idées qu'a été réalisé l'univers. De plus, les choses elles-mêmes une fois nommées et "signées", n'ont pu exister que grâce à l'homme, principe, base et cause de l'univers.

L'homme en ayant eu conscience aux origines, en acquit plus tard la connaissance et, dans une certaine mesure, la possession."

La connaissance relative au glâ glâ 20 se rapporte au stade primordial et intemporel qui précède les d i f f é r e n t e s étapes de la création.

"Le mot g l â , qui désigne le vide originel, le néant, connote en même temps les idées de mouvement, d'éveil, de réveil, de résurrection : g l â est le principe du mouvement universel interne du cosmos et de tout ce qui le compose.

D'autre part, le terme implique l'idée que la création est continue dès le moment de son élaboration et perpétuellement e n t r e t e n u e dans toutes choses en même temps que dans l'univers considéré comme un tout.

"Glâ "plein de son vide et son vide plein de lui-même"

étendait partout sa puissance. Il émit une "voix de vide"

qui créa d'abord son double, dya ; g l â fut deux, marquant ainsi le caractère primordial de la gémelléité, principe existentiel. Du couple émanait une substance humide, z o s u m a l e , "rouille froide" qui sortait à l'état de buée liquide, invisible et formait des corps durs, brillants.

"Quand tout fut plein de ces corps glacés, g l â émit une force z o n a m l , qui, montant et descendant en elle-même, produisit un souffle interne dit f y e t a s u m a , "feu de vent".

Les deux g l â traversèrent ce vaste contenu et ce feu fondit les substances... Lors de cette première fusion "le vaste g l â a donné place à toutes choses dans le secret et l'invisibilité.

"Les deux g l â alors s'immobilisèrent, "reprenant en eux-mêmes leur énergie" et tout à nouveau se figea, se glaça. Puis une seconde fois ils fondirent les substances, comme pour défaire et refaire une ébauche. Ces mouvements, dits g l â g l â , témoignent de l'essence même du g l â qui est éternelle résurrection des choses et la répétition du mot exprime la gémelléité, base de la création. Lors de ces deux fusions s u c c e s s i v e s , les g l â déterminèrent "quatre points", l'un au moment de la première fonte, les trois autres lors de la seconde, lesquels furent mis "en action immobile". (L'informateur compare cette étape de la création à une main tenant un crayon dont la pointe repose

sur le papier, en position d'écrire, mais immobilisée. Les quatre points sont la prémonition des points cardinaux, en commençant par l'Est).

"Puis g l â déclencha en lui-même un va-et-vient qui, se répercutant sur les éléments de l'univers en puissance, leur donna une âme. Ce mouvement eut également pour effet de les situer et de les maintenir par l'attraction ( m a n a ) ;

" g l â a remué les choses, elles ont pris leur place, la chaleur les a maintenues". (L'informateur compare ce mouvement horizontal à celui qui serait imprimé à une surface creusée de cupules : les choses d'abord déposées en désordre, viendraient, sous l'effet de ce va-et-vient, s'insérer chacune dans un trou).

"Dans le même temps le contact établi entre les deux g l â produisit une sorte d'explosion dont fut éjectée une

"matière dure et puissante" qui descendit en vibrant. De cette vibration sortirent un à un des signes qui, attirés par les choses encore incréées, mais en instance, qu'ils désignaient, allèrent se placer sur elles. Chaque chose eut ainsi son signe et son mot ; et "se conformant au mouvement du g l â " , chacune se mit à vibrer faiblement à l'intérieur d'elle-même et dans sa propre place.

"Quand toutes les choses eurent été situées et désignées en puissance, un autre élément se détacha de g l â et se posa sur elles pour les connaître : c'était le "pied de l'homme" (ou "grain du pied"), symbole de la conscience humaine. En même temps qu'il acquérait la connaissance, cet élément la communiquait aux choses qui prirent ainsi conscience d ' elles - mêmes. C'est dire que les choses ont été désignées et nommées silencieusement avant d'avoir existé et qu'elles ont été appelées à être par leur nom et par leur signe. Mais elles ne se sont connues comme telles que dans la conscience de l'homme, "grain" ou principe de l'univers.

"Tout alors se rassembla et se mit à bruire pour accomplir l'univers. Les g l â se maintinrent à l'intérieur d ' eux-mêmes et donnèrent à zo l a responsabilité de la future libération des choses situées et animées qu'ils contenaient et dont ils avaient créé l'essence. Zo en prit possession et attira leurs principes en une vaste boule, k u r u , dite yo y e b a l l , " y o invisible" : " z o a donné le principe du grain à yo et a mis en lui l'attraction et le pouvoir." Yo était l'esprit, plus exactement "le premier et

l'agir" qui, utilisant les "choses signées" déterminées par glâ, allait élaborer la création." ( E s s a i s u r l a r e l i g i o n b a m a b a r a , pp 2 - 4 )

Ce texte d i f f i c i l e traduit le plus f i d è l e m e n t possible les dire d ' i n f o r m a t e u r s souvent cités en bambara en bas de page.

Malheureusement, on n'a pas d'indications quant à la qualité de ces informateurs et quant à leur représentativité. Il est dit que glâ, désignant le principe de l'éternelle résurrection des choses, appartient à la langue ancienne, et que toute cette connaissance vient aux Bambara des K e i t a du Mandé.

Bien entendu, le mythe se poursuit encore longuement. La création de l'univers sensible est conçue comme une progression du "penser" en trois étapes :

- yo, parole interne, esprit invisible, voix inaudible et secrète, contenant en puissance toute la création, "connu par l u i - m ê m e , sorti de l u i - m ê m e , du rien qui est lui-même" ;

- o, passage de l'audible au bruissant ; - yereyereli, vibration créatrice.

"Lorsqu'il se manifesta en tournoyant sur lui-même, y o alla cinq fois aux quatre "angles de sa pensée", une fois

"au ciel de sa pensée", une fois "à la terre de sa pensée", leur communiqua ainsi sa puissance. La réalisation de cet univers qui détermina "l'espace de yo dans sa pensée" est exprimée par le chiffre 22" ( p . 6 ) .

Voici une prière récitée en l'honneur de yo quand on constate la grossesse d'une f e m m e ou au moment des éclipses du soleil :

"Yo, obscurité de la création, au sein de l'espace secret de la nuit, maître de l'assise des 22 tournoiements, grand porteur de la vibration, grand constructeur de la moelle des os".

Dans l'oeuvre de Marcel Griaule, on trouve de multiples présentations de la manière dont Dieu a "créé" le monde selon les Dogon.

En voici une qui met aussi l'accent sur une onde vibratoire originelle :

Avant la création a existé un mouvement hélicoloïdal ; celui-ci s'est matérialisé en une minuscule graine cultivée, celle de f o n i o ( d i g i t a r i a

e x i l i s ) qui, avant toute chose, y compris le créateur, r e n f e r m a i t en puissance tout ce qui devait se dilater en univers. Cette graine contenait sept vibrations initiales correspondant à sept segments de longueur croissante. 11 s'en est échappé des germes ou des signes, p r é f i g u r a t i o n s de ce que deviendra le cosmos. On est donc là en présence d ' u n e conception mécaniciste, qui repose sur l'idée d'un mouvement impersonnel, gouverné par des lois qui lui sont propres et relèvent de son dynamisme interne, conception qui ne laisse guère de place à l'action divine, à moins qu'on n ' i d e n t i f i e Dieu aussi bien à l'atome initial qu'au m o u v e m e n t spiralant. Voici comment, dans un des nombreux textes où il essaie de rendre compte de la pensée dogon, M. Griaule s'exprime :

"Dans l'infiniment petit initial symbolisé par la graine de digitaria exilis , s'étaient développées, à partir du noyau, sept vibrations internes connotées par sept segments de taille croissante disposés en éventail de 360 degrés.

"Les extrémités de ces segments étaient situées sur une spirale figurant l'amorce du mouvement d'extension qui allait continuer à l'extérieur l'oeuvre de création. Car l'extrémité du septième segment touchait l'enveloppe, y ouvrant le passage nécessaire. Par cette fissure sortit, entre autres, un prolongement du segment, qui, en une certaine manière, représentait une huitième vibration émanant de la précédente.

"Si l'on considère le symbolisme de cette figuration, on voit d'abord apparaître dans les sept traits inégaux, une silhouette humaine, le premier et le sixième étant les Jambes, les deuxième et cinquième les bras, les troisième et quatrième la tête, le septième étant le sexe, placé entre le sixième et le premier.

"Cette silhouette, sous son aspect géométrique, connote l'homme dans sa qualité de "grain du monde", aduno dene."

Certains signes graphiques dogons occupent une position-clé du f a i t de la multiplicité des domaines où ils sont significatifs. Ils sont à envisager comme des espèces d'algorithmes qui inventorient un grand nombre de phénomènes variés, a p p a r e m m e n t disparates, en les réduisant à une série unique qui, de ce fait, manifeste une certaine unité de signification.

Il en est ainsi, par exemple, des signes qui se présentent comme des lignes de chevrons, si f r é q u e n t s dans les motifs décoratifs africains :

Voici ce que dit M. Griaule :

"Comme chez les Bambara, la vibration est (chez les Dogon) le fondement des choses. Son expression la plus simple et le plus fréquente est une ligne de chevrons avec laquelle on orne la façade des sanctuaires, les masques et de nombreux objets rituels ou d'usage profane...

"Mais le but de ces peintures n'est pas seulement d'exhiber la vibration ; le double registre en dents de scie reproduit, en les plaçant verticalement, les dents d'un moniteur universel qui est venu enseigner aux hommes une parole nouvelle. C'est pour commémorer cet événement que les hommes et les femmes ont les canines et les incisives limées en pointes. Ainsi la parole peut-elle passer facilement et n' est-elle pas coupée, comme l'eau d'ailleurs, qui assure la vie des humains et qui est ainsi respectée.

"Mais de plus, la ligne de la peinture placée entre les deux registres rappelle le fil de coton que le moniteur tendit entre ses dents pour enseigner le tissage, technique

diurne associée au mouvement du soleil, c'est-à-dire à la lumière."

La ligne de chevrons est également la projection géométrique du mouvement hélicoloïdal qui symbolise toute mise en action de forces, tout mouvement dynamique :

"La force - n y a m a - est un élément métaphysique. Selon la conception des Dogon, il se déplace sur un "chemin" o d u -en hélice qui, sur un plan, se projette -en une ligne de chevrons - o d u t o n n o l o - Ce "chemin" est matérialisé, pour les yeux de l'homme, par le mouvement de l'eau, support par excellence du n y a m a , nyama elle-même, en un sens. Car l'eau suit les voies tourbillonnaires ainsi que le montrent les torrents, les méandres, les ruissellements, les tornades.

L'eau sort de la bouche en buée tournante, en même temps que la parole, laquelle poursuit le même "chemin". Eau et parole sont des expressions visibles et audibles du n y a m a . Elles sont plus que comparables, elles sont identiques ; elles ont pour maître (non créateur) le couple de fils de Dieu que les Dogon appellent Nommo et dont le rôle est la régénération et l'organisation du monde."

Les lignes de chevrons représentent donc ensemble tout une série de phénomènes se rapportant les uns aux autres :

- la vibration originelle, - le chemin de l'eau, - le chemin de la lumière,

- la propagation du son, de l'odeur, de la chaleur, - les dents du Moniteur primordial,

- la descente tournoyante de l'Arche primordiale, - la trame du tissu en cours de fabrication, - les danses exécutées en zig-zag,

- le mouvement qui anime la houe du cultivateur, etc...

donc autant d'éléments qui indiquent un c o m m e n c e m e n t , une chose en train de se faire, un stade initial, un état inchoatif.

L ' O E U F DU MONDE

Le thème de la graine initiale est évidemment proche de ceux de l'oeuf du monde et de la matrice originelle. On en trouve dans l'oeuvre de Griaule plusieurs versions, parfois difficiles à harmoniser entre elles.

"Une autre figure, plus explicite encore, montre l'oeuf initial, -l'oeuf du monde- d'où surgit un premier germe qui se développe selon un segment droit.

"Il est suivi d'un second qui se place en travers du premier, donnant ainsi les quatre directions cardinales, c'est-à-dire l'espace, la scène du monde.

"Un troisième germe, poussant le premier, se substitue à lui, l'oblige à se courber et à prendre une position symétrique de l'ovale initial par rapport aux bras

transversaux.

"Nous retombons là encore sur l'image de l'homme production directe des travaux de création, et homologue de l'univers lui-même."

Dans sa f o r m e classique, le mythe cosmogonique dogon parle d ' u n oeuf ou d ' u n e matrice contenant deux couples de j u m e a u x . Mais la croissance normale s'en trouva perturbée par la sortie avant terme d ' u n des j u m e a u x mâles, arrachant un morceau de placenta devenu la terre et pénétrant incestueusement cet élément maternel. La création se trouve restaurée et réordonnée par le sacrifice du second j u m e a u mâle, qui meurt et ressuscite, et qui représente le règne de la vie, de la lumière, de l'eau, de la fécondité, par opposition au règne de la mort, de la s o u f f r a n c e , de la sécheresse, de la stérilité incarné par le premier.

L'univers et l'histoire sont comme structurés autour de cette dualité et de la lutte qui en découle.

Dans le document Astronomie et Sciences Humaines" n 6 (Page 69-76)

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