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COSMOLOGIE ET ASTRONOMIE TRADITIONNELLES

Dans le document Astronomie et Sciences Humaines" n 6 (Page 63-69)

ASTRONOMIQUES DANS LES TRAVAUX DE L'ECOLE FRANCAISE D'ETHNOLOGIE DANS LA BOUCLE DU

COSMOLOGIE ET ASTRONOMIE TRADITIONNELLES

En parcourant les travaux de ces auteurs, on se rendra très vite compte de l'abondance des notations concernant l'ethno-astronomie.

Certains travaux sont même explicitement consacrés à ces questions. Par

exemple : de Marcel Griaule : "La conception du monde et de la matière au Soudan", "Un système soudanais de Sirius" (avec

G. Dieterlen), "Mythe de l'organisation du monde chez les Dogon du Soudan", "L'image du monde au Soudan" ; de D. Zahan

"La notion d'écliptique chez les Dogon et les Bambara du S o u d a n français" ; G. Dieterlen : "Les correspondances cosmo-biologiques chez les Soudanais" ; etc... U n e grande partie

du travail mené autant chez les Dogon que chez les Bambara a consisté à collecter cosmogonies et mythes de création du monde, où bien entendu on parle de la graine et du placenta primordiaux, de l'apparition des astres, de la formation de la terre, etc... Viviana Pâques a étudié les systèmes mythiques des deux rives du Sahara dans L'arbre cosmique dans la pensée populaire et la vie quotidienne du NordOuest africain (1964), ouvrage qui fourmille de notations e t h n o -astronomiques.

Dans Signes graphiques soudanais, publié en 1951 c o n j o i n t e m e n t par M. Griaule et G. Dieterlen, ces auteurs ont présenté sous une f o r m e systématique des dessins dont ils f o n t mention tout au long de leurs travaux, et que chez les Dogon, par exemple, on trouve exécutés sur les parois de cavernes ou d'abris sous roche, sur la f a ç a d e des sanctuaires totémiques, mais aussi sur les objets les plus courants.

Ces figures et ces schémas qui explicitent souvent des épisodes ou des représentations mythiques ont pris une importance croissante à mesure que l'enquête avançait. Or de quoi est-il principalement question ? De Vénus, du bouclier d'Orion, de Jupiter, des Pléiades, de la G r a n d e Ourse, de la Polaire, de la terre, du ciel, de la pluie, du monde et de ses d i f f é r e n t s états, des points cardinaux, de l ' h o m m e - p r i n c i p e du monde, de l ' a r c - e n - c i e l , de la vibration originelle, de l'oeuf du monde, de l'espace, de la lune, du chemin de l'eau du haut vers le bas, etc... Pour le détail, je ne puis évidemment que renvoyer à cette publication.

Voici ce que dit Jean Servier à propos de ces signes dans L'homme et l'invisible (1964) :

"Dans les civilisations traditionnelles, il existe un certain nombre de procédés à conserver la pensée et à la transmettre, qui ne répondent pas exactement à notre conception de l'écriture. Nous pouvons ranger dans cette catégorie le système idéogrammatique découvert par Marcel Griaule chez les Dogon, par Germaine Dieterlen chez les Bambara et les Bozo... Ces signes constituent surtout un registre de symboles permettant d'exprimer les différents états des vingt-deux catégories d'êtres composant la création.

"Les Dogon font correspondre Crois systèmes de représentations graphiques de plus en plus compliqués aux trois organisations successives du monde. Les signes du premier monde représentent les constellations, les signes du deuxième monde expliquent ceux du premier, les signes du troisième monde, qui sont la base du système graphique, au nombre de quarante-quatre, sont descendus du ciel. Les choses et les êtres ont reçu un signe avant même que d'être actualisés sur terre.

"Il est étrange de trouver dans cette pensée la base même de ce qui fut appelé la Kabbale. Une tradition nous apprend, en effet, que lorsque le Saint, béni soit-il, créa le monde, il inscrivit dans le monde inintelligible des lettres qui représentent les mystères de la foi : Yod, Hé, Vav, Hé, qui forment le nom divin et résument tous les mondes d'En-Haut et d'En-Bas. Les vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque sont nées du B e t h , principe femelle, et du A l e p h , principe mâle : l'ensemble de ces lettres est résumé dans le mot h a - s h a m a ï m -les deux- qui figure dans le premier verset de la Genèse. Chaque lettre a eu son rôle dans la création du monde, ainsi le Hé donna naissance au ciel et le pourvut de vie, le Vav donna naissance à la terre et la pourvut de nourriture.

"Peut-être faut-il réviser le point de vue

"historiciste" qui fait de la Kabbale une découverte, une invention attribuée à Siméon Bar Yochaï, en admettant, à la lumière des faits dogon, qu'elle est, comme son nom l'indique, une tradition dont l'origine remonte au-delà de la mémoire des hommes (p.199).

La thèse qui sous-tend l'ouvrage de Servier se trouve toute entière en cette dernière phrase. L ' h o m m e sait des choses sans que ce savoir puisse s'expliquer par les voies ordinaires de l'investigation. U n autre exemple qu'il en donne est astronomiquement à la fois plus précis et plus énigmatique ; il l'emprunte à l'article de Marcel Griaule et de G e r m a i n e Dieterlen : "Un système soudanais de Sirius", 1950. Voici la présentation qu'en fait Servier (pp. 225 - 227) :

"Les Dogon considèrent que notre monde terrestre est sorti du système de Sirius, plus exactement d'une étoile de couleur blanche bien distincte puisque Sirius est rouge.

"Cette étoile blanche est appelée par les Dogon "Etoile du Mil" parce qu'elle est, disent-ils, la plus petite du

ciel mais aussi "la plus pleine". D'après eux, la terre y est remplacée par un métal nommé s a g o l u , un peu plus brillant que le fer et d'un poids tel que tous les êtres terrestres réunis ne pourraient la soulever. Une graine de cette matière serait aussi lourde que 480 charges d'âne de mil.

" L ' "Etoile du Mil" n'est pas le seul satellite de Sirius. Il y a aussi dans le même système l'étoile emme y a ou "sorgho-femelle", plus volumineuse et quatre fois plus légère, qui parcourt une trajectoire plus étendue dans le même sens et dans le même temps. Les positions respectives de ces deux satellites sont telles que l'angle de leurs rayons serait droit. Leurs aspects déterminent des rites divers. "Sorgho-femelle" est aussi appelé "Soleil des femmes". Elle a un satellite : 1' "Etoile des femmes".

"Le système de Sirius est lié aux pratiques de renouvellement de la personne et, par conséquent, aux cérémonies de renouvellement du monde. La période de l'orbite est comptée double en raison du principe de gémelléité, important dans la philosophie africaine.

Symboliquement elle est de cent ans, en réalité elle est de cinquante ans. (M. G r i a u l e )

"Il est intéressant de comparer ce système de Sirius connu des Dogon à notre astronomie."

J. Servier cite à ce propos le N o r t o n ' s s t a r A t l a s a n d T e l e s c o p i c Handbook :

"Sirius : la plus brillante des étoiles. Entre 1834 et 1844, Bessel nota dans son mouvement des irrégularités et arriva à la conclusion que l'étoile visible devait tourner autour de son centre de gravité et d'un satellite invisible en cinquante ans environ.

"Ce satellite appelé "Compagnon" fut découvert par Clark en 1862 presque à l'endroit prévu. Si les conditions atmosphériques ne sont pas très bonnes, il est difficile ou même impossible de voir le Compagnon, même lorsqu'il est dans sa meilleure phase. On peut l'apercevoir à l'aide d'un télescope d'environ six pouces.

"Le Compagnon est une naine blanche de huitième grandeur, dix mille fois moins brillante que l'étoile principale, mais d'une masse plus grande. Sa densité est de 36 000 fois celle du soleil, 50 000 fois celle de l'eau.

Son diamètre n'est que de 26 000 miles, pourtant elle renferme autant de matière que le soleil dont le diamètre est de 864 000 miles."

Voici e n f i n le commentaire que fait J. Servier de ces données (p.

227) :

" L'article de M. Griaule et de G. Dieterlen a été publié par le J o u r n a l de l a S o c i é t é d e s A f r i c a n i s t e s en 1950, c'est-à-dire qu'il a été rédigé au plus tard en 1949.

Les auteurs ne donnent pour référence scientifique qu'un seul article de P. Boèze : "Le Compagnon de Sirius", paru dans l ' A s t r o n o m i e en septembre 1931 (p. 385).

"Une nouvelle observation a eu lieu en mars 1957 à l'aide d'un télescope de 320 mm permettant un grossissement de 350 diamètres. Le Compagnon a été vu avec netteté bien qu'étant écarté de Sirius de 11" seulement.

"Les astronomes pensent aujourd'hui qu'outre Sirius, qu'ils appellent Sirius A, et le Compagnon, qu'ils appellent Sirius B, il y aurait dans le système un autre satellite : Sirius C. Ils sont donc loin, pour le moment, de pouvoir en donner la densité même approximative, comme l'ont fait les Dogon, loin aussi d'avoir découvert le satellite de ce "Soleil des femmes". Ils ne sauront jamais sans doute si le "métal" dont sont formées les étoiles de ce système est réellement "plus brillant que le fer".

"La densité du Compagnon a été mesurée : elle est de 50 000 fois celle de l'eau. Une boite d'allumettes pleine de cette substance pèserait une tonne, précise un panneau du Palais de la Découverte à Paris : le rapport d'une graine de mil à 480 charges d'âne suivant l'exemple dogon.

"Mais les Dogon ne semblent pas connaître l'origine de leur vieille gnose, qui est pourtant, dans ce cas précis, à l'avant-garde des sciences exactes de l'Occident...

"Nous ne pouvons pas étudier la genèse de cette connaissance. Nous sommes en présence d'un donné. Les études d'astronomie comparée font défaut, parce que les ethnologues ont généralement de médiocres connaissances en astronomie, et parce qu'un astronome emploiera à la rigueur un "indigène" pour porter sa lunette sans penser pour autant à lui demander son avis.

"Le cas des Dogon n'est probablement pas unique. M.

Griaule et G. Dieterlen ont constaté que le compagnon de Sirius, invisible à l'oeil nu, est connu également des Bozo du Niger et des Bambara. Les Hottentots appellent Sirius 1'

"Etoile à-côté" ( S c h u l z e : Aus N a m a l a n d u n d K a l a h a r i , p .

le nom et d'en recueillir la légende sans s'étonner de trouver, d'une civilisation à l'autre, des constellations si semblables, sans chercher à voir dans ces traditions autre chose qu'un "animisme" grossier.

"En astronomie, la légende est, comme pour les plantes et les animaux, un moyen mnémotechnique, une explication populaire facile à retenir et à transmettre, mais non un élément de la gnose réservée aux initiés.

"Pour l'homme des civilisations traditionnelles, la science est un donné non vérifiable, non modifiable, un élément de l'attitude de l'homme devant le monde.

"Ni les Dogons, ni les Hottentots ne possèdent de télescope leur permettant de distinguer les deux satellites de Sirius. Il n'y a pas dans les falaises de Bandiagara de spectroscope pour analyser la substance dont sont composées ces étoiles. Bien des faits du même genre pourraient être retrouvés dans d'autres civilisations si nous avions la patience de les y chercher...

"Les informations recueillies par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen sur le système de Sirius tel que le conçoivent les Dogon auraient dû faire réfléchir les spécialistes des sciences humaines. Mais nos savants se

souviendront-ils des Dogon le Jour où ils arriveront à découvrir avec leurs télescopes le satellite de Sirius C : 1' "Etoile des femmes" qu'ils ignorent encore ?"

Le lecteur trouvera dans L'Homme e t l ' I n v i s i b l e de Jean Servier d'autres exemples d'interférences entre ethnologie et astronomie.

Le cas du système de Sirius chez les Dogon est devenue classique.

Mais il est intéressant de voir ainsi le discours qui est tenu du côté des ethnologues.

Parmi le matériel de toute sorte recueilli dans la boucle du Niger par Griaule et ses successeurs, il me paraît intéressant de relever encore trois séries de données, l'une concernant la vibration initiale, l'autre l'oeuf primordial, la troisième l'anthropocentrisme de l'univers.

Dans le document Astronomie et Sciences Humaines" n 6 (Page 63-69)

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