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Chapitre 3 PRÉPOSITION versus PARTICULE

II. Vers une définition préalable

Puisque nous nous plaçons ouvertement dans une optique formelle, la première tâche qui nous incombe est d’isoler les entités formelles qui seront l’objet de notre attention.

Autrement dit, avant même de pouvoir définir ce que sont les prépositions impliquées dans la rection des verbes98, il faut commencer par savoir où regarder dans la chaîne. Sur quelles séquences graphiques s’arrêter ?

L’expression « rection des verbes » nous fournit une première indication : nous allons nous focaliser sur ce qui apparaît dans le voisinage droit du verbe, sur ces éléments qui sont régis par le verbe. Autrement dit, les séquences graphiques qui nous intéressent ici seront du type

V + X.

X peut être de nature tellement variée qu’il convient de préciser l’observation.

98 Dans notre travail, nous considérons « rection » en ce qu’elle s’oppose à

« circonstanciel », i.e. nous neutralisons l’opposition rection / valence, comme le suggère P. Cadiot dans les critères qu’il développe pour traiter des prépositions : « « rectionnel » (incolores) vs. « circonstanciel » (colorées) » (Cadiot 1997 : 37).

Une première discrimination peut se faire en fonction de la dichotomie que l’on établit classiquement entre mots lexicaux et mots grammaticaux, dichotomie qui repose sur la distinction classes ouvertes – classes fermées. R. Quirk et S. Greenbaum en donnent la définition suivante :

The structures realizing sentence elements are composed of units which can be referred to as parts of speech. These can be exemplified for English as follows:

(a) noun – John, room, answer, play

adjective – happy, steady, new, large, round adverb – steadily, completely, really, very, then verb – search, grow, play, be, have, do and this introduces a distinction of very great significance. Set (b) comprises what are called ‘closed system’ items. That is, the sets of items are closed in the sense that they cannot normally be extended by the creation of additional members.

. . . By contrast, set (a) comprises ‘open classes’. Items belong to a class in that they have the same grammatical properties and structural possibilities as other members of the class . . ., but the class is ‘open’ in the sense that it is indefinitely extendable.

(Quirk & Greenbaum 1973: 18-19)99

Cette distinction n’est pas sans poser problème : dans le même paragraphe, les auteurs mettent en garde contre l’aspect sans doute trop simplificateur des notions d’ouverture et de fermeture (simplification « excessive » que nous avons

99 Les éléments manifestant les constituants de la phrase consistent en unités que l’on appelle des parties du discours. En anglais, on recense (a) nom / adjectif / adverbe / verbe et (b) article / démonstratif / pronom / préposition / conjonction / interjection . . . Ces parties du discours sont regroupées en deux ensembles, ce qui introduit une distinction d’une grande importance. L’ensemble (b) regroupe ce que l’on appelle des unités en système clos. C’est-à-dire que ces ensembles ne sont normalement pas susceptibles d’être augmentés par l’addition de nouveaux éléments . . . En revanche, (a) est composé de classes ouvertes. Les éléments appartiennent à une classe parce qu’ils partagent les mêmes propriétés grammaticales et combinatoires, mais cette classe est ouverte dans la mesure où elle peut indéfiniment accueillir de nouvelles unités.

déjà évoquée lorsque nous avons justifié notre exclusion des prépositions complexes de notre champ d’investigation. Se reporter aux pages 106 et suivantes) :

The distinction between ‘open’ and ‘closed’ parts of speech must be treated cautiously, however. On the one hand, we must not exaggerate the ease with which we create new words: we certainly do not make up new nouns as a necessary part of speaking in the way that making up new sentences is necessary.

On the other hand, we must not exaggerate the extent to which parts of speech in set (b) . . . are ‘closed’: new prepositions (usually in the form ‘prep + noun + prep’ like by way of) are by no means impossible. (Quirk & Greenbaum 1973: 20)100

Cependant, malgré cette réserve, la dichotomie classe ouverte – classe fermée n’en reste pas moins une dichotomie importante et opératoire : elle trouve d’ailleurs une confirmation prosodique dans la mesure où le partage mot lexical / mot grammatical se projette terme à terme sur l’opposition forme forte (accentuée) / forme faible (inaccentuée). Aussi avons-nous décidé d’en faire usage en respectant le regroupement établi par R. Quirk et S. Greenbaum.

Ainsi parmi les énoncés suivants :

(48) I phoned friends yesterday.

(49) I phoned my friends yesterday.

(50) I phoned all my friends yesterday.

(51) I talked to Mary yesterday.

100 La distinction entre classes ouvertes et fermées de parties du discours doit être maniée avec précaution, cependant. D’une part, il ne faut pas exagérer la facilité avec laquelle de nouveaux mots sont créés : nous ne créons pas de nouveaux noms au gré des besoins communicationnels de la même manière que nous créons de nouvelles phrases. D’autre part, il ne faut pas non plus exagérer le caractère fermé des listes de parties du discours (b) : la création de nouvelles prépositions (souvent formées sur le modèle prép + nom + prép) n’a rien d’impossible.

nous pouvons éliminer les énoncés du type (48) I phoned friends yesterday, puisque V est suivi d’un élément lexical.

Mais comment faire le partage entre les trois autres énoncés? Tous illustrent la séquence V + Mot Grammatical + X.101 Mais on remarque que les exemples (49) et (50) se distinguent de l’exemple (51) car, pour ces deux énoncés, l’ensemble Mot Grammatical + X est susceptible d’apparaître en position sujet.

(52) My friends phoned me yesterday.

(53) All my friends phoned me yesterday.

alors que pour (51) la manipulation est irrecevable102 :

(54) * To Mary came.

Parmi les mots grammaticaux, certains relèvent clairement de la sphère du nom, tels all, my, etc. ; d’autres se trouvent à la jointure entre V et N – to, up, in front of, etc.– ils indiquent un lien médiatisé entre le verbe et les éléments lexicaux qu’il régit.103 C’est à ces derniers que nous nous intéresserons.

Nous venons ainsi de réduire le champ d’investigation de notre étude : notre corpus se limitera à ce que nous appellerons les MO, les Marqueurs d’Oblicité. Il nous a semblé intéressant de forger un terme nouveau afin de

101 Sauf indication contraire, la nature de « X » n’est pas maintenue d’une notation à l’autre.

102 Il faut cependant préciser notre propos en ajoutant que l’ensemble Mot Grammatical + X ne peut apparaître en position sujet d’un verbe à un forme finie, et à une forme finie uniquement. Pour une discussion succincte de ce point, se reporter aux notes 9 et 12 de Pauchard 2003. Pour une analyse générativiste du problème de for se reporter à Culicover 1999 : 56-61.

103 Ce test exclut les conjonctions dans la mesure où celles-ci sont suivies d’un X phrastique et non lexical et que l’ensemble « conj + proposition » peut apparaître en position sujet : that he should refuse upset me.

faciliter « l’oubli » de « l’intuition prépositionnelle » que nous préconisions en conclusion du paragraphe précédent (voir page 169).

Le terme d’oblicité, s’il mérite quelque commentaire, n’est cependant pas totalement inédit : nous l’avons dérivé de l’adjectif « oblique », couramment utilisé dans les grammaires des langues à cas pour référer aux phénomènes de complémentation indirecte des verbes. Ainsi, dans son Lexique de la terminologie linguistique, J. Marouzeau donne la définition suivante du terme de cas :

Cas :

Chacun des aspects d’un mot fléchi, considérés par les grammairiens anciens comme des déviations (lat. casus = gr.

ptôsis, chute) par rapport au nominatif, forme de base.

Conformément à cette conception, on a appelé cas direct (lat.

casus rectus, trad. du gr. orthê ptôsis) le nominatif, et cas obliques (gr. plagiai, lat. obliqui) les autres cas, par exemple en latin le génitif, le datif, l’ablatif. . . . L’accusatif a été appelé aussi cas direct dans la dérivation des langues romanes, du fait qu’il y est apparu comme le cas du complément ou régime direct.

(Marouzeau 1961 : 42)

La définition « étendue », apparue à la suite de l’apparition des langues romanes, a été adoptée par les anglicistes diachroniciens. Dans le glossaire de son ouvrage consacré aux prépositions et aux particules anglaises à travers le temps, P. Gettliffe fait apparaître l’entrée suivante : « Cas oblique : cas qui concerne les fonctions autres que celles de sujet et d’objet » (Gettliffe 1999 : 133), qui le confirme tout à fait. Le terme ainsi introduit se voit désormais totalement intégré au vocabulaire linguistique (hors des cercles diachroniciens) : nous en voulons pour preuve son utilisation dans l’ouvrage de B. Levin qui traite de sémantique lexicale :

“Oblique” Subject Alternations :

. . . These alternations involve verbs that have “agent” subjects, but that alternatively may take as subjects noun phrases that can be expressed in some type of prepositional phrase when the verb takes its canonical “agent” subject. Such subjects have been referred to as “oblique” subjects because certain prepositional phrases, particularly those expressing nonsubcategorized arguments, are sometimes referred to as oblique phrases. [e.g.

The world saw the beginning of a new era in 1492. / 1492 saw the beginning of a new era.] (Levin 1993: 79)104

Créer une terminologie ne résoud rien en soi : cette démarche ne se justifie qu’à condition d’assortir les nouveaux termes de définitions claires qui lèvent les ambiguïtés qu’ont pu accumuler au fil du temps les étiquettes anciennes. Les Marqueurs d’Oblicité répondent aux critères suivants : ce sont des

1) mots grammaticaux,

2) susceptibles d’apparaître dans le voisinage droit d’un verbe, 3) marquant un lien médiatisé entre le verbe et le X qui suit.

D’autre part, parmi les Marqueurs d’Oblicité mis en lumière selon cette méthode, nous évacuerons ceux qui comportent des blancs graphiques intérieurs (ex : in front of). Nous avons développé dans un précédent chapitre (se reporter au Chapitre 2, paragraphe II.3, aux pages 101 et suivantes) les raisons qui peuvent justifier cette prise de position initialement arbitraire.

104 Alternances sujet « oblique » : . . . Ces alternances impliquent des verbes à sujet canoniquement « agent », mais qui acceptent également comme sujet des syntagmes nominaux qui apparaissent sous la forme de syntagmes prépositionnels dans le cas où le sujet « agent » canonique est exprimé. De tels sujets sont appelés « sujets obliques » car certains syntagmes prépositionnels, particulièrement ceux exprimant des compléments non sous-catégorisés par le verbe, sont parfois appelés « compléments obliques ». [ex : Le monde a vu s’ouvrir une nouvelle ère en 1492. / 1492 a vu s’ouvrir une nouvelle ère.]

Nous ne retiendrons pas ici la distinction entre complément sous-catégorisé et complément non sous-catégorisé telle que l’évoque B. Levin.

La définition assortie de la restriction ci-dessus, nous permet d’isoler dans la langue un ensemble fini d’unités de la langue, graphiquement continues, qui correspond à la liste donnée en Annexe 3 (ce travail, volume II, page 3).

Ces unités doivent ensuite être recensées dans la totalité de leurs emplois possibles, ce qui nous amène à prendre en considération les séquences correspondant à la formule générale suivante : V + (X) + MO + (X).

Prenons un exemple pour illustrer cette dernière affirmation. Les exemples (51) et (54) ont montré que le mot grammatical to est pertinent à notre étude. Il convient alors de relever dans la langue tous les énoncés dans lesquels apparaît to.

Or, rien ne prédispose tous ces emplois de to à être homogènes : on peut (doit ?) faire l’hypothèse que l’ensemble des énoncés recensés illustre en fait des to différents. Il est donc nécessaire de leur faire subir le test « séquence mot grammatical + X susceptible d’apparaître en position sujet ». Celui-ci permet de faire le partage entre un to Marqueur d’Oblicité – comme en (51) – et un to traditionnellement appelé opérateur de prédication dans les grammaires anglaises.

Paradise Lost (Livre 1, l.261) fournit une confirmation remarquable de ce phénomène :

Here we may reign secure, and in my choice To reign is worth ambition though in hell:

Better to reign in hell, than serve in heaven.

(Nous soulignons.)

Cependant, si ce test permet d’éliminer les emplois de to opérateur, il retient deux types de structures pour le MO to : les phrases telles (51) – I talked to Mary yesterday – répondant au schéma V + MO + X ; mais également d’autres où

un X doit venir s’intercaler entre le V et le MO comme dans Mary gave a present to her brother. D’où l’intérêt de prendre en compte un éventuel X dans la formule générale : V + (X) + MO + (X).

Néanmoins, comme nous l’avons développé longuement précédemment, cet ensemble pose problème car il regroupe des éléments qui peuvent adopter une multitude de comportements syntaxiques différents (se reporter à la discussion de la dichotomie préposition / particule aux paragraphes III.1 du Chapitre 2, pages 114 et suivantes ; et I.1 de ce chapitre, pages 141 et suivantes).

Ainsi, dans les exemples sur lesquels nous allons travailler (voir page 196), up apparaît dans plusieurs types d’énoncés – (55), (56), (66), (71), (72) – où, compte tenu des transformations avec lesquelles il est compatible, il relève de natures différentes. Cette remarque s’applique aux autres MO dans leur grande majorité.

(55) He threw up that night.

(56) He sped up the street.105

(66) The symphony conjured up a vision of a bucolic scenery.

(71) The dissatisfied customer threw up the plates.

(72) The customer threw his plate up that night.106

Le fait que la plupart des MO puissent relever de natures différentes dans différents énoncés a depuis longtemps été reconnu par les grammairiens et lexicographes. C’est même cette reconnaissance qui sous-tend les étiquetages des MO dans les dictionnaires ou les corpus.

105 Exemple emprunté à O’Dowd 1998.

106 La numérotation des trois derniers exemples renvoie au panorama des natures des MO qui apparaît à la page 196 de ce chapitre.

Nous l’avons vu, dans l’O.A.L.D., les rédacteurs reconnaissent deux grands types de MO : les prépositions et les particules. Les grammaires descriptives sont encore plus fines puisqu’elles isolent dans l’ensemble des MO six types différents, repris par Gettliffe (1999) : Adverbes, Particules Séparables, Particules Inséparables, Prépositions, Prepositional Adverbs et Adprep.

Si ces six statuts sont peut-être justifiables, ils ont, à notre avis, pour défaut majeur d’être mal justifiés : en comparant différents dictionnaires, il apparaît qu’un même MO en contexte identique pourra être étiqueté de diverses façons. De plus, même si prépositions et particules sont différenciées dans la plupart des cas, les critères utilisés ne sont pas accessibles et laissent même le lecteur perplexe puisqu’ils permettent des regroupements qui choquent l’intuition.

Par exemple, les dictionnaires classent belong to dans He has never belonged to a trade union et go to dans He goes to church every Sunday dans deux classes différentes (phrasal verb pour belong to et verbe prépositionnel pour go to) alors que la comparaison de ces deux emplois de to révèle des similitudes bien plus profondes que celles qui peuvent lier le to de belong to et le up de burn up dans burn up calories ou le to de come to qui, pourtant, sont eux aussi étiquetés comme des phrasal verbs.

Il convient donc de clarifier cette situation. Dans le cadre que nous nous sommes fixée, à savoir extraire les prépositions impliquées dans la rection verbale, cela passe par

(A) une définition explicite de “Préposition dans la rection verbale”

(B) l’élaboration, à partir de cette définition, d’une méthode qui permette de délimiter clairement les frontières entre les différentes natures dont peuvent relever les MO dans différents contextes (ou à tout le moins de déterminer clairement quand et pourquoi tel MO est préposition, ou non-préposition dans tel énoncé).

Dans les paragraphes qui suivent nous nous proposons donc de décrire la mise au point de cette méthode, associée à une définition préalable et appliquée à l’extraction des prépositions parmi les MO tels que nous les avons définis au paragraphe précédent (mots grammaticaux ne comportant pas de blancs graphiques, susceptibles d’apparaître à droite d’un verbe et marquant un lien médiatisé entre le verbe et le X qui suit).

Le programme annoncé en (A) et (B) passe par les quatre étapes suivantes:

a. élaborer une définition naïve et la moins contraignante possible de

« préposition impliquée dans la rection des verbes », ce que nous appellerons désormais Marqueur d’Oblicité Prépositionnel, MOP ;

b. traduire cette définition naïve en définition formelle par l’utilisation de tous les tests empruntés à la littérature ;

c. observer la réaction d’énoncés divers

i. noter la réaction d’énoncés type à ces tests,

ii. déterminer parmi ces exemples ceux qui répondent à la définition posée en b. ;

d. en déduire une méthode d’extraction des MOP.

III. RÉALISATION DU PROGRAMME PROPOSÉ :