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Les moustiques (Diptera : Culicidae) capables de transmettre les Plasmodium sont tous du genre Anopheles dont nous présentons aux paragraphes 1.2.1 à 1.2.3 les cycles de vie et les traits comportementaux associés.

D’après Hambach (2004), le genre Anopheles comprend 484 espèces sur la planète dont une soixantaine est vectrice de Plasmodium. Il y a en Afrique sub-saharienne environ 150 espèces d’anophèles dont une trentaine est vectrice de Plasmodium. La classification taxinomique des anophèles, basée d’abord sur des critères morphologiques puis complétée d’observations étho-écologiques, biogéographiques et de données génétiques s'organise sur des complexes et des groupes d’espèces. Les espèces appartenant à un même groupe sont très proches morphologiquement et présentent des différences à au moins un stade de leur développement tandis que les espèces appartenant à un même complexe sont morphologiquement identiques à tous les stades de leur développement. En Afrique sub-saharienne, les principales espèces vectrices se répartissent en 3 groupes ou complexes qui sont décris dans les paragraphes 1.2.4 à 1.2.6.

1.2.1 Cycle biologique des anophèles

Les anophèles sont des insectes holométaboles1 (ou endoptérygotes) dont le développement se déroule en quatre stades : zygotique (œuf), larvaire et nymphal qui sont aquatiques et le stade adulte (ou imaginal) qui est aérien et ailé (Figure 5). La femelle d'anophèle pond entre 40 et 100 œufs à la surface de l'eau. L'œuf éclos après 24 à 48 h (en fonction de la température) donnant naissance à une larve qui se maintient juste en dessous de la surface de l'eau. Comme elle a une respiration aérienne et qu'elle est dépourvue de siphon (contrairement aux autres culicidae), la larve d'anophèles se maintient dans une position horizontale caractéristique. La croissance larvaire comprend quatre stades qui aboutissent après une dernière mue à une nymphe mobile qui ne s'alimente pas. La métamorphose permet finalement l'émergence d'un adulte ailé. La phase aquatique des anophèles peut durer, en zone tropicale, de une à trois semaines en fonction de l'espèce et de la température.

L'anophèle adulte qui vient d'émerger reste immobile pendant 24 à 48 h le temps que sa cuticule sèche, que ses ailes se déploient et que son appareil reproducteur soit fonctionnel. Les adultes mâles ne vivent que 7 à 10 jours tandis que les femelles peuvent vivre jusqu'à 4 semaines.

L'allocation des ressources chez les anophèles est dédiée à deux activités : la recherche d'alimentation sucrée (qui procure l'énergie nécessaire au vol) et la reproduction. Pour les mâles, la reproduction se limite à l'accouplement qui se produit quelques jours après l'éclosion et qui peut être précédé de la formation d'essaims dans le but probable d'attirer les femelles. Les femelles ne copulent en principe qu'une seule fois et stockent les spermatozoïdes dans une spermathèque jusqu'à leur mort. Pour ces dernières, l'activité de reproduction est accompagnée de la recherche successive d'un repas sanguin, d'un site de repos et d'un site d'oviposition. Le repas de sang est nécessaire à la maturation des follicules ovariens qui pourront alors être fécondés, au moment de la ponte, par les spermatozoïdes stockés. Après la ponte, la femelle cherche à prendre un nouveau repas sanguin afin d'effectuer une nouvelle oviposition : ce cycle est appelé cycle gonotrophique (ou trophogonique) dont les trois phases peuvent être résumées ainsi (Beklemishev 1940 in (Detinova 1962)) :

- La femelle à jeun recherche un hôte sur lequel prendre son repas de sang et le pique. - La femelle ingère le sang et digère en situation de repos, la maturation des follicules ovariens s'effectue.

Figure 5 : Cycle biologique des anophèles (d'après (Carnevale et al. 2009))

La durée du cycle gonotrophique est une donnée essentielle en épidémiologie du paludisme puisqu'elle rythme la fréquence des contacts hôte-vecteur et donc le passage du parasite de l'un à l'autre. La durée de ce cycle est influencé par un certain nombre de facteurs environnementaux (disponibilité des hôtes, des lieux de repos, des sites d'oviposition, conditions météorologiques et microclimatiques, etc.) et intrinsèques aux anophèles (cycle d'activité, comportement...). Le premier cycle est systématiquement plus long que les suivants qui durent entre 48 et 72h. Les femelles qui n'ont jamais pondu sont dites "nullipares" tandis que celles ayant déjà effectué au moins une oviposition sont dites "pares".

1.2.2 Comportement trophique

L'étude du comportement trophique des anophèles est essentielle pour déterminer leurs rôles dans la transmission du Plasmodium et développer ou appliquer des méthodes de lutte adaptées.

La préférence trophique n'est cependant pas l'unique facteur dirigeant le choix d'une femelle à la recherche d'un hôte, son comportement préférentiel pourra en effet être contraint par des facteurs exogènes tels que la disponibilité des hôtes, les conditions climatiques ou le biotope.

La majorité des vecteurs de paludisme piquent de nuit (Figure 6). La distribution de l'agressivité varie selon les espèces, l'âge physiologique, le lieu et la saison. Par ailleurs, certains vecteurs piquent préférentiellement à l'intérieur des maisons (endophagie) tandis que d'autres piquent préférentiellement à l'extérieur (exophagie).

Figure 6 : Cycles d'agressivité de plusieurs espèces d'anophèles africains (d'après Hamon (1963))

Après le repas sanguin, certains vecteurs restent dans la maison durant toute la phase de repos du cycle gonotrophique ; on parle alors de vecteurs "endophiles". A l'inverse, d'autres vecteurs quittent la maison où ils ont pris le repas sanguin pour trouver un lieu de repos à l'extérieur, ceux-ci sont dits "exophiles".

Il y a plusieurs évidences d'un changement de comportement des vecteurs en cas d'infection par des Plasmodium (Cator et al. 2012). Par exemple, l'infection par P. falciparum ou P. vivax pourrait induire des changements dans le cycle nocturne d'agressivité d'An.

punctulatus en Papouasie-Nouvelle-Guinée (Bockarie and Dagoro 2006). En Afrique, Les

individus infectés de An. gambiae semblent multiplier le nombre d'hôtes dans une même nuit leur permettant d'achever plus souvent leur repas sanguin (Koella et al. 1998, Lindsay et al. 1990).

1.2.3 Vol et dispersion

Si l’on excepte les dispersions passives (vent, transport anthropique) ou les migrations, qui permettent parfois des déplacements de plusieurs dizaines de kilomètres (Bailey and Baerg 1967, Garrett-Jones 1962, Silver 2008), il y a 5 raisons qui motivent la dispersion des moustiques : l’accouplement, les repas de nectar, les repas sanguins, la phase de repos après un repas sanguin et l’oviposition (Service 1997). Les distances parcourues lors de ces déplacements sont plutôt courtes. Ces déplacements locaux sont cependant influencés par différents facteurs, tels que le vent ou la densité d’habitation (Gillies 1961). Les études sur la dispersion des anophèles vecteurs du Plasmodium sont peu nombreuses en Afrique, elles s’accordent néanmoins pour dire que ces vecteurs sont capables de parcourir entre 4 et 6 kilomètres (Costantini et al. 1996, Gillies 1961, Thomson et al. 1995). Cependant, les études utilisant la méthode "capture-marquage-recapture" montrent que plus de 50% des insectes marqués sont re-capturés à moins d’un kilomètre du site de lâcher (Gillies 1961, Silver 2008, Takken et al. 1998) (Cf. Figure 7). Il a été montré en Tanzanie, une tendance d'un vecteur à retourner piquer là où il avait déjà prit un repas sanguin (McCall et al. 2001) ce qui confirme la thèse des déplacements courts. En Gambie, il a été montré une forte diminution du nombre de vecteurs au-delà de 2 km d’un gîte larvaire (Clarke et al. 2002). Il est donc recommandé de considérer cette limite des 2 km comme la distance de vol maximum des anophèles. Selon Service (1997), dans les programmes de contrôle du paludisme, les gîtes situés au-delà de cette barrière peuvent être considérés comme ayant un impact négligeable sur la transmission. Cependant, on remarque que toutes ces études sur la dispersion des anophèles réalisées en Afrique l’ont été dans des milieux relativement ouverts (savanes), or ces milieux pourraient

Figure 7 : Pourcentage de moustiques An. gambiae s.l. recapturés en fonction de la distance au point de lâcher, en Tanzanie (d'après Gillies (1961))

1.2.4 Le complexe Gambiae

Le complexe Gambiae compte huit espèces (An. gambiae stricto sensu Giles, 1902 ;

An. arabiensis Patton, 1905 ; An. melas Theobald, 1903 ; An. merus Donitz, 1902 ; An. bwambae White, 1985 ; An. quadriannulatus A Theobald, 1911 ; An. quadriannulatus B

Hunt, 1998; An. comorensis Bruhnes, 1997).

Anopheles gambiae s.s. et An. arabiensis sont des vecteurs majeurs de paludisme à

larges aires de répartition (Figure 8). Anopheles arabiensis est présent dans toute la zone afro-tropicale excepté les zones de forêts. Il est parfaitement adapté au climat sec du Sahel et est réputé plus zoophile que An. gambiae s.s. considéré lui, comme très anthropophile. Anopheles

gambiae s.s. est généralement présent dans toute la zone afro-tropicale excepté la corne de

l’Afrique et les zones les plus sèches (< 500 mm de précipitations).

Au niveau infra-spécifiques, 5 formes chromosomiques de An. gambiae s.s. ont été décrites sur la base de critères cytogénétiques2 (polymorphisme d'une inversion paracentrique3

2

La cytogénétique est l'étude de la structure des chromosomes et des variations de cette structure. 3

sur le chromosome 2) : « Bamako », « Savane », « Forêt », « Mopti » et « Bissau » (Coluzzi et

al. 1985, Coluzzi et al. 2002) . Ces variations non-aléatoires des inversions sur le

chromosome 2 correspondent à des zones géographiques et à des caractéristiques des gîtes larvaires, elles constituent des indicateurs d'adaptations à différents habitats.

En 2001, Della-Torre et al. (2001) ont décrit deux formes moléculaires (M et S) chez

An. gambiae s.s. dont la correspondance avec les formes chromosomiques varie en fonction

de l'espace géographique et écologique. En raison d’un isolement reproductif entre les deux formes (c.-à-d. avec de rares d'hybrides, peu viables) et de flux de gènes apparemment très restreints même en zone de sympatrie, il est admis que les divergences observées entre ces deux formes correspondent à un début de spéciation. Les préférences écologiques de ces deux formes moléculaires divergent fortement (Costantini et al. 2009, Gimonneau et al. 2011, Simard et al. 2009). La forme S est plus fréquemment observée dans les zones plus sèches, en milieux ouverts, qui favorisent les gîtes larvaires temporaires avec peu de prédateurs. La forme M, dont le développement larvaire est plus long (Diabate et al. 2008, Diabate et al. 2005) et qui est moins sensible à la prédation (Gimonneau et al. 2010, Gimonneau et al. 2012), préfère les milieux aquatiques permanents ou semi-permanents.

Au sein de ce complexe, deux autres espèces sont d'excellents vecteurs de

Plasmodium, An. melas Theobald, 1903 et An. merus Donitz, 1902. Elles sont caractérisées

par leurs gîtes larvaires en eaux saumâtres. Leurs distributions spatiales sont donc restreintes respectivement aux bandes côtières des Océans Atlantique et Indien de l’Afrique tropicales.

Anopheles bwambae est un bon vecteur mais d'importance très localisée

puisqu'uniquement observé dans la forêt de Semkili en Ouganda (Carnevale et al. 2009, White 1985). Les autres espèces du complexe sont considérées comme de faible importance médicale puisque An. quadriannulatus A et B sont principalement zoophiles (Fettene et al. 2004, Prior and Torr 2002), qu'un seul individu de An. comorensis a été observé jusqu'à présent (Brunhes et al. 1997) et que leur rôle en tant que vecteur n'a pas été montré.

1.2.5 Le groupe Funestus

Le groupe Funestus contient 10 espèces vectrices ou potentiellement vectrices en Afrique, réparties dans 3 sous-groupes (Funestus, Rivulorum et Minimus). Au sein de ce

souvent zoophiles et donc de moindre importance médicale (Coetzee and Fontenille 2004). Un important polymorphisme génétique a été observé au Sénégal et au Burkina Faso où deux formes chromosomiques ont été identifiées : Folonzo et Kiribina (Costantini et al. 1999, Dia

et al. 2000). Folonzo semble être favorisée dans les zones présentant des réservoirs avec une

végétation aquatique naturelle tandis que Kiribina était plus souvent capturée dans les zones rizicoles. D’une manière générale, le développement larvaire de An. funestus est inféodé aux milieux aquatiques permanents et semi-permanents (Hamon 1955).

1.2.6 Les autres vecteurs de Plasmodium en Afrique

Au sein du complexe Nili, au moins 3 espèces sont des vecteurs confirmés (Mouchet

et al. 2004) : An. nili s.s. Theobald, 1904, An. carnevalei (Brunhes et al. 1999) et An. ovengensis (Awono-Ambene et al. 2004). Ces espèces sont rencontrées le long des cours

d'eau à débit rapide.

Parmi les autres vecteurs de Plasmodium confirmés, peuvent être cités :

- Anopheles moucheti Evans, 1925 qui est un vecteur des bordures des cours d'eau lents très végétalisés de l'Afrique centrale, particulièrement au Cameroun (Mouchet and Gariou 1966, Njan Nloga et al. 1993).

- Anopheles pharoensis Theobald, 1901 qui fût un vecteur important de paludisme en Egypte (Morsy et al. 1995). Il a été retrouvé infecté par recherche des protéines circumsporozoïtaires au Sénégal et au Cameroun (Antonio-Nkondjio et al. 2006, Carrara et al. 1990, Dia et al. 2008). La forme soudano-sahélienne dont l'aire de répartition s'étend de la côté atlantique à la vallée du Nil et au Moyen-Orient, présente un comportement de piqûre assez opportuniste en termes de préférences trophiques. La forme présente en Afrique de l'Est et du Sud est quant à elle très zoophile (Mouchet et al. 2004).

Figure 8 : Distribution spatiale des principales espèces vectrices de paludisme en Afrique. D’après Sinka (2012)

Les échanges de Plasmodium entre ces vecteurs et les populations humaines qui contrôlent l'intensité de la transmission sont directement liés à l'intensité des contacts entre ceux-ci. Nous exposons dans les paragraphes suivants les méthodes utilisées pour mesurer ce contact.