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D.2.c Les variations interindividuelles du métabolisme des médicaments et leurs conséquences

CHAPITRE I : Introduction

I. D.2.c Les variations interindividuelles du métabolisme des médicaments et leurs conséquences

Des facteurs endogènes (polymorphisme génétique) ou exogènes (induction, inhibition) tendent à moduler l’activité et le niveau d’expression des P450. Or, les variations de métabolisme qui en résultent peuvent avoir des conséquences pharmaco-toxicologiques importantes.

Polymorphisme génétique

Le polymorphisme génétique est l’une des causes principales des variations interindividuelles de l’effet des médicaments. Un polymorphisme génétique désigne une variation allélique présente à une fréquence d’au moins 1% dans une population. Ces modifications génétiques génèrent des enzymes absentes ou inactives, des P450 à activité catalytique diminuée ou altérée ou des P450 à activité accrue. Un polymorphisme divise une population en au moins deux phénotypes en fonction de la capacité métabolique des individus envers un médicament donné (métaboliseurs lents ou rapides). Si le médicament est inactivé par le P450, le phénotype métaboliseur lent se traduit par une amplification souvent néfaste de l’effet pharmacologique du médicament et des effets toxiques associés. Chez un métaboliseur rapide, le médicament est éliminé plus rapidement ce qui diminue son efficacité thérapeutique. Prenons l’exemple du CYP 2D6, P450 polymorphique le mieux étudié. De

métabolisme de l’antihypertenseur débrisoquine : les métaboliseurs lents (homozygotes mutés), les métaboliseurs rapides (hétérozygotes ou homozygotes sauvages) et les métaboliseurs ultrarapides qui possèdent plusieurs copies fonctionnelles du P450. Chez les métaboliseurs lents, la débrisoquine administrée à dose normale peut créer des accidents d’hypotension.

Les différents polymorphismes associés aux P450 et leur nomenclature sont répertoriés sur internet (http://www.imm.ki.se/CYPalleles/). Quelques exemples sont indiqués dans le tableau ci-dessous.

Enzyme Variants

alléliques

Modifications génétiques Conséquences

CYP2A6 CYP2A6*2 CYP2A6del Mutant L160H Délétion du gène Enzyme inactive Pas d’enzyme CYP2C8 CYP2C8*2 CYP2C8*3 Mutant I269F Double Mutant R139K, K399R

Perte d’efficacité catalytique Perte d’efficacité catalytique CYP2C9 CYP2C9*2 CYP2C9*3 CYP2C9*4 CYP2C9*5 CYP2C9*6 Mutant R144C Mutant I359L Mutant I359T Mutant D360E Codon stop prématuré

Diminution de l’affinité envers la réductase

Perte d’efficacité catalytique Perte d’efficacité catalytique Perte d’efficacité catalytique Enzyme tronquée inactive CYP2C19 CYP 2C19*2

CYP 2C19*2

Site aberrant de coupure Codon stop prématuré

Pas d’enzyme Pas d’enzyme CYP 2D6 CYP 2D6*2xN CYP 2D6*4 CYP 2D6*5 CYP 2D6*10 CYP 2D6*17

Plusieurs copies du gène Défaut d’épissage

Délétion du gène Mutants P34S, S486T Triple Mutant T107I, R296C, S486T

Augmentation de l’activité Enzyme inactive

Pas d’enzyme Enzyme instable Réduction de l’affinité pour des

substrats

Tableau 7 : Exemples de polymorphismes génétiques de cytochromes P450 humains

d’après (Ingelman-Sundberg et al., 1999).

Interactions médicamenteuses : conséquences pharmaco-toxicologiques d’une induction ou d’une inhibition de P450.

Les inhibiteurs ou inducteurs de P450 (médicament ou xénobiotique) modulent l’activité des P450 responsables du métabolisme des médicaments. Les inducteurs sont des molécules qui augmentent la synthèse des P450 en agissant soit sur la transcription soit sur la stabilisation de l’ARNm ou de la protéine. L’hydrocarbure polychloré Aroclor induit tous les P450 mais il s’agit d’une exception. En général, un inducteur est relativement spécifique : il entraîne la surexpression de quelques CYP sans affecter les autres. On distingue 5 classes d’inducteurs selon leurs caractéristiques structurales et les sous-familles de P450 induites.

P450 humains induits Classe d’inducteurs Exemples

CYP 1A Hydrocarbures aromatiques polycycliques

3-méthylcholantrène, benzo(a)pyrène, dioxine CYP 2C, 3A Phénobarbital et barbituriques

CYP 4A Agents hypolipidémiants Clofibrate

CYP 3A corticostéroïdes

Antibiotiques macrolides

Dexaméthasone Triacetyloleandomycine

CYP 2E1 Ethanol, Isoniazide

Les inhibiteurs de P450 peuvent être classés en deux catégories principales : les inhibiteurs réversibles ou irréversibles.

Les inhibiteurs réversibles sont qualifiés également d’inhibiteurs compétitifs. Ces molécules de bonne affinité pour le P450 occupent le site actif au même titre qu’un substrat (fixation sur le fer ou les acides aminés environnants). Elles entrent, de fait, en compétition avec les substrats et inhibent leur métabolisme.

Les inhibiteurs irréversibles sont des molécules qui se fixent de manière covalente sur le P450 après un acte catalytique, bloquant ainsi son fonctionnement de façon irréversible. Les inhibiteurs irréversibles ont deux sites de fixation possibles : l’hème ou l’apoprotéine.

• inhibiteurs irréversibles se fixant sur l’hème :

- certaines amines comme la troléandomycine (TAO) ou l’érythromycine sont métabolisées en nitrosoalcanes, capables de se fixer de façon quasi-irréversible au fer (Delaforge et al., 1983; Mansuy et al., 1977; Watkins et al., 1986; Wrighton et al., 1985); Le complexe FeII- nitrosoalcane, très stable, a une absorption caractéristique à 455 nm.

- des composés possèdant un groupement méthylènedioxyarène forment un complexe fer- carbène (Mansuy and Ullrich, 1975);

- les composés comportant une double ou triple liaison terminale, une dihydropyridine ou une dihydroquinoline sont capables de N-alkyler l’hème (Correia et al., 1981).

• Inhibiteurs irréversibles se fixant sur l’apoprotéine : on peut citer comme exemple d’inhibiteurs de ce type l’acide tiénilique (chap I.D.2.b) (Lopez-Garcia et al., 1994), le chloramphénicol (Halpert et al., 1983), des xanthates (Yanev et al., 1999) et des alcynes terminaux (Roberts et al., 1993).

Les inhibiteurs qui alkylent l’hème ou l’apoprotéine sont souvent appelés « substrats suicides » (« mechanism-based inhibitors ») car ce sont des substrats qui inactivent l’enzyme responsable de leur métabolisme, après avoir été transformés.

CYP Exemples d’inhibiteurs

1A α-naphtoflavone 2A diéthyldithiocarbamate 2B6 Xanthates 2C8 2C9 2C19 Quercétine

Sulfaphénazole, acide tiénilique Ticlopidine

2D6 quinine

2E1 4-méthylpyrazole

3A TAO, gestodène

Tableau 9 : Exemples d’inhibiteurs des principales familles de CYP hépatiques d’après (Lin and Lu, 1998). Les inhibiteurs irréversibles sont indiqués en italique.

L’induction ou l’inhibition de P450 a des conséquences sur la pharmacocinétique des médicaments. Les inducteurs de P450, en surexprimant l’enzyme, accélèrent l’élimination de médicaments coadministrés et diminuent leur effet thérapeutique. A l’inverse, les inhibiteurs de P450 freinent l’élimination des médicaments substrats ce qui induit en général des effets toxiques. On parle d’interactions médicamenteuses si ces inhibiteurs ou inducteurs sont eux- mêmes des médicaments. Les interactions médicamenteuses sont une cause importante de mortalité chez les patients hospitalisés.

Prenons l’exemple de deux interactions médicamenteuses avec la cyclosporine, médicament métabolisé par le CYP3A4. La cyclosporine est un immunosuppresseur administré dans le cadre de greffes, à fenêtre thérapeutique étroite. La prise de rifampicine, un inducteur de 3A4, accélère l’élimination de la cyclosporine par ce P450. Ceci conduit à une diminution de la biodisponibilité de l’immunosuppresseur et donc à un rejet de la greffe (Mallat, 1992). A l’inverse, la prise de kétoconazole (inhibiteur de CYP3A) inhibe le métabolisme de la cyclosporine. Il en résulte une augmentation de sa concentration circulante avec risques des toxicité rénale et neurologique (Gomez et al., 1995).