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La variation intra et inter-populations chez une métallophyte facultative

Chez quelques espèces, et en particulier chez C. longifolia, on observe une importante variabilité intraspécifique des traits qui est, dans certaines populations, corrélée à la teneur en cuivre du sol. Sur certaines collines, ces variations sont tellement frappantes que Paul Duvignaud avait même décrit un taxon endémique du cuivre : C. cupricola. Cependant

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Faucon et al (2010) suggèrent que la validité de ce taxon devrait être réévaluée. Ici, nous montrons que toutes les valeurs intermédiaires de valeurs de traits sont présentes le long d’une large gamme de teneurs en cuivre du sol. Malaisse et al (2016) signalent la présence d’une troisième espèce (C. caespitosa) sur certaines collines. Bien que cette espèce soit probablement présente, certains caractères observés sur les échantillons considérés ici sont typiques de C. longifolia (enveloppe translucide autour de la graine, inflorescence au centre de la rosette de feuille, bractée plus longue que l’inflorescence ; voir Faden 2012). Mais la sélection de caractères taxonomiques est complexe et ceux-ci sont souvent influencés par la plasticité phénotypique des espèces (Davis et al 1983). Ceci s’observe d’ailleurs bien dans la flore du cuivre. De nombreuses espèces décrites dans les années 50 et 60 sont tombées en synonymie avec des espèces courantes (Faucon et al 2010, Malaisse et al 2016). Cependant, cela n’implique pas qu’il ne puisse y avoir de différenciation génétique voir écotypique entre les individus de populations différentes ou des extrémités d’un même gradient (spéciation parapatrique). En considérant les 5 populations de C. longifolia, les individus les plus différents morphologiquement des C. longifolia originaires de sols non contaminés se rencontrent à des valeurs intermédiaires de cuivre et cobalt dans le sol. D’autre part, il est remarquable que la population la plus différente des autres (Kinsevere, chapitre 4) se développe sur une colline quasiment dépourvue de cobalt. On peut donc suspecter que le cobalt jouerait un rôle important dans le déterminisme des valeurs de traits, que ce soit par plasticité phénotypique ou par sélection de génotypes différents (Lange et al 2016, 2017, 2018). Des études plus détaillées devraient être entreprises afin de débrouiller l’origine génétique ou due à la plasticité phénotypique des variations observées. De même, une piste prometteuse serait de chercher à comprendre l’influence du cobalt sur les valeurs de traits au niveau intraspécifique chez un grand nombre d’espèces (voir Lange et al 2017, 2018). On remarque donc que des travaux de taxonomie moléculaire sont nécessaires afin de clarifier les limites de différents taxons. En effet, l’existence de micro-espèces dont les traits fonctionnels se recouvrent, pourrait ici considérablement compliquer l’interprétation des résultats.

Les teneurs en cuivre et cobalt des plantes sont, elles aussi, très variables et assez mal expliquées par les teneurs en ETM du sol (Chapitre 4). En effet, les teneurs en ETM peuvent dépendre de la capture d’autres éléments dans le sol et de leur concentration dans les tissus foliaires (Kabata-Pendias 2010, Waters & Armbrust 2013, Kabeya 2016). De plus, les variations populations-dépendantes peuvent être dues à des différences de tolérances induites par des mycorhizes ou des bactéries du sol (Sun et al 2010, Lenoir et al 2016), pouvant elles-mêmes être influencées par les conditions édaphiques locales (Burns et al 2015, Bauman et al 2016). Une quantification des teneurs en nutriments dans la plantes et de leur covariation avec les concentrations retrouvées dans le sol et les concentrations foliaires en Cu et Co permettrait peut être de mieux comprendre les équilibres chimiques pouvant influencer la tolérance.

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Bien que les analyses univariées utilisées pour mesurer la proportion de la variance des traits expliquée par le cuivre du sol (chapitre 4) soient porteuses d’information importante, il faut garder à l’esprit que les traits ne sont pas indépendants entre eux et font partie d’un phénotype complexe et intégré (Westoby et Wright 2006, Kraft et al. 2015, Laughlin et Messier 2015). De plus, d’autres paramètres édaphiques peuvent influencer la valeur des traits directement ou indirectement, notamment en influençant la toxicité du cuivre et du cobalt. Une méthode pouvant être appliquée est d’étudier la proportion de la variance de tous les traits expliquée par le facteur population à l’aide d’une analyse de la variance multivariée (MANOVA) et par toutes les variables environnementales simultanément à l’aide d’une analyse d’ordination contrainte (par ex. analyse de redondance, RDA).

Figure 4: Analyse en composantes principales des traits (a) et des paramètres édaphiques (b) des 5 populations de C. longifolia étudiées au chapitre 4. Codes couleurs : bleu : Fungurume, orange : Kinsevere, noir : Zikule, vert : Goma, rouge : Orthodoxe. Nombres d’échantillons par population et code des traits et paramètres édaphiques, voir chapitre 4. Les ellipses représentent la distribution de probabilité de 95% des points.

Dans une ACP sur les traits des plantes, les deux premières composantes expliquent respectivement 34, 20 et 17% de la variance totale (figure 4a). La PC1 est corrélée à la hauteur, la PC2 est corrélée à la surface foliaire et la profondeur racinaire et la PC3 est corrélée à la surface foliaire spécifique et à la concentration foliaire en cuivre. Bien qu’il existe une variabilité intra-populationnelle importante, les différents sites occupent des portions de l’espace de trait contrastées, ce qui se vérifie statistiquement (PERMANOVA (F=9.64, R²=0.21, p=0.0001). Dans l’analyse en composante principale sur les paramètres de sol, on observe que la première composante explique 41% de la variance et est corrélée au Cu, P, Ca et Co. La composante 2 représente 22% de la variance est corrélée au Fe et Mg (figure 4b). Les différences entre populations sont significatives (PERMANOVA F=15, R²=0.30, p<0.001).

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L’analyse des corrélations multivariées entre traits et paramètres édaphiques (RDA) donne un modèle global significatif, testé sur base de la permutation des résidus du modèle (Anderson & Legendre 1999). Le modèle global permet d’expliquer 34.5 % de la variance totale du jeu de donnée de traits (R² ajusté, Peres-Neto et al. 2006). La RDA globale présente 4 axes significatifs (pperm<0.001). Après avoir sélectionné les facteurs qui contribuent significativement à la RDA à l’aide d’une « forward selection » avec double critère d’arrêt (Blanchet et al. 2008), on obtient une sélection de 5 facteurs significatifs qui expliquent 27.2% de la variabilité : la teneur en cuivre, en gravier, en manganèse, en magnésium et en calcium du sol (par ordre de R² ajusté décroissant). Le cuivre et la teneur en gravier du sol expliquent à eux seuls 19% de la variabilité du jeu de donnée. Il semble donc que tous ces paramètres puissent influencer la variation fonctionnelle. Des études plus détaillées, prenant en compte un plus grand nombre d’individus et surtout de sites, permettrait de découpler précisément l’effet de ces différentes variables sur la variation des traits fonctionnels.

Figure 5 : représentation de l’analyse de redondance (RDA) sur les 5 paramètres édaphiques expliquant 27% de la variance des traits fonctionnels. Chaque point représente un individu. Les traits sont représentés par les vecteurs rouges et les paramètres édaphiques par les vecteurs bleus. Voir chapitre 4 pour les abréviations des traits et paramètres édaphiques.

En particulier, on voit sur la figure 5 que la surface foliaire spécifique est corrélée négativement, et les teneurs en cuivre et cobalt foliaires ainsi que la profondeur d’enracinement sont influencés positivement par la concentration en cuivre du sol (voir aussi chapitre 4). Il faut cependant garder à l’esprit que les concentrations du sol en phosphore et cobalt sont fortement corrélées à la concentration en cuivre. La diminution de la SLA semble expliquée uniquement par la concentration en cuivre du sol, bien que la relation soit faible

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(voir chapitre 4). Un autre résultat intéressant est la relation négative entre la teneur en gravier et la hauteur et la surface foliaire, ainsi que la relation positive (faible) avec la teneur foliaire en eau. Bien que dans le chapitre 3 on observe sur la colline de Fungurume V une corrélation positive entre teneur en eau, en gravier et la concentration en cuivre du sol, ces corrélations pourraient ne pas être vérifiées sur tous les sites. Sur d’autres sites, l’augmentation de la teneur en gravier pourrait au contraire correspondre à des sols plus drainants et favoriser un syndrome de résistance au stress hydrique de certaines espèces à large amplitude (diminution de la taille et augmentation du stock d’eau foliaire). Ces résultats pourraient être confirmés en échantillonnant une plus large gamme de sites afin d’obtenir une plus grande diversité de combinaisons de paramètres édaphiques.

Dans une expérience préliminaire de culture en jardin commun, nous avons tenté de mettre en évidence une différence de tolérance et de valeurs de traits fonctionnels de différentes populations et sous populations de Cyanotis longifolia (définies par rapport à leur position sur le gradient de cuivre in situ) en fonction des teneurs en cuivre du substrat expérimental : témoin, 100 ou 500 mg.kg-1 (Protocole et résultats en annexe 5). Sur base des résulats de cette expérience préliminaire, on peut suspecter qu’une partie de la variation des valeurs de traits observée le long du gradient est associée à des différences génétiques ou épigénétiques. Les espèces poussant sur les sols les plus contaminés de deux collines semblent en effet montrer un phénotype différent des autres en culture. De plus, les différences de traits observées entre traitements sont visiblement dues à une survie différente des plantes provenant de sous-populations différentes (comparer figure 3b et c dans l’annexe 5), ce qui conforte l’idée d’une tolérance différente en fonction de l’origine édaphique des graines. Cependant, les faibles effectifs de cette expérience (n=64) ne permettent pas l’utilisation de tests statistiques confirmatoires des patterns observés. Une expérience de plus grande échelle devrait donc être entreprise afin de vérifier ces résultats.