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La variation de la composition floristique, de la valeur moyenne des traits ainsi que la diminution de la diversité fonctionnelle et l’augmentation de la coordination fonctionnelle

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semblent tous indiquer la présence d’un filtre abiotique puissant. Ce filtre est attribué, depuis toujours, à la présence d’un gradient de toxicité en cuivre et en cobalt (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963, Saad et al 2012, Séleck et al 2013). Il semble en effet évident que la plupart des espèces pouvant se disperser jusque sur les collines sont des espèces adaptées aux conditions dominantes de la région, que ce soient les conditions climatiques ou les particularités des sols tropicaux non-métallifères. Selon le « Species pool concept » (Pärtel 2002), on retrouvera à l’échelle locale une majorité d’espèces adaptées aux conditions dominantes dans la région. Ces conditions dominantes au sud du Katanga sont des sols acides, pauvres en ETM, en phosphore et en calcium, une saison sèche de cinq à six mois et des feux quasiment annuels (Schmitz 1971). On trouve donc sur les collines une majorité d’espèces adaptées à ces environnements et qui sont limitées aux sols peu contaminés en cuivre (voir Pärtel et al 1996, Zobel 1997, Vellend 2016).

Il est remarquable que, en réponse à cette toxicité croissante, la plupart des espèces n’ont pas de réponse plastique pour la majorité de leurs traits ou peuvent même montrer une réponse opposée à la valeur moyenne des communautés. En particulier, le long du gradient de cuivre, la surface foliaire spécifique montre une diminution nette chez quelques espèces (chapitre 3) et chez quelques populations de C. longifolia (chapitre 4), alors que la valeur moyenne de traits de la communauté augmente avec le cuivre (chapitre 1). Une augmentation de la masse de la feuille due à une plus grande teneur en ETM est peu vraisemblable car les espèces montrant une diminution de la SLA (chapitre 3) ne montrent pas d’augmentation de l’accumulation de cuivre ni de cobalt. On peut donc conclure à une stratégie de résistance au stress par une croissance plus lente, comme cela est observé dans d’autres environnements riches en ETM (Brady et al 2005). En effet, cette diminution de la SLA intraspécifique est cohérente avec les variations intraspécifiques observées entre sols serpentiniques et sols normaux (Adamidis et al 2014).

La présence de cobalt dans le sol de Fungurume V joue sans doute un rôle structurant sur la végétation, peut-être même aussi important que le cuivre. En effet, même à beaucoup plus faible concentration, il s’accumule dans les feuilles d’un plus grand nombre d’espèces. Parmi les quelques études qui ont testé la tolérance de métallophytes du Katanga au cuivre et au cobalt, on montre une plus grande toxicité de ce dernier (Baker et al 1983, Lange et al 2014, 2018). La corrélation entre la plasticité de la teneur foliaire et la largeur de niche est plus forte pour le cuivre que pour le cobalt (chapitre 3); ceci pourrait être une indication que le cobalt a un effet plus filtrant sur la répartition des espèces. La plupart des espèces pourraient être très peu tolérantes à une augmentation foliaire de la teneur en cobalt. Les espèces à niche étroite qui ont des mécanismes peu efficaces d’exclusion du cobalt, sont incapables de survivre sur des sols fortement contaminés. A contrario, les espèces à large niche peuvent voir leur concentration en cuivre augmenter sans en être intoxiquées. On observe aussi une plus grande accumulation du cobalt par un nombre important d’espèces pouvant indiquer que le cobalt serait plus labile que le cuivre (Lange et al 2016). Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec précaution. En effet, les réponses d’accumulation et de tolérance

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des espèces peuvent être spécifiques à chaque population (Frérot et al 2017, Lange et al 2017, chapitre 4).

Une des conséquences les plus frappantes de la contamination métallique, est l’absence d’arbres sur les collines, ce qui leur confère un aspect de savane steppique. Ceci est surprenant d’un point de vue de l’assemblage des communautés car on a montré que les géofrutex possèdent approximativement les mêmes valeurs de traits que les arbres du même genre retrouvés au Haut-Katanga (Meerts 2017). L’absence de tolérance aux ETM chez les arbres est un phénomène assez commun, la plupart des sites métallifères étant dépourvus de strate arborescente (Baker et al 2010). L’absence de cette tolérance pourrait être due à des différences dans les temps de génération : il est vraisemblable que les arbres se reproduisent à un âge plus grand que les plantes herbacées. En effet, sur les sites métallifères européens, les arbres qui s’y rencontrent parfois possèdent des stratégies r produisant un grand nombre de graines et ayant une maturité sexuelle rapide (Betula sp., Salix sp.). Les arbres du Miombo se développent sur des sols assez pauvres en nutriments et leur croissance est limitée par la sécheresse du sol (White 1983). Ces arbres possèdent une stratégie marquée de conservation des ressources, impliquant une croissance lente, et sont probablement, pour certains d’entre eux, des espèces à reproduction tardive. De plus, la plupart des espèces d’arbres dominant la canopée du Miombo sont ectomycorhizées (Ba et al 2012, Bauman et al 2016). L’absence d’arbre sur les collines de cuivre pourrait être la conséquence de l’absence de mycorhizes résistantes à la pollution métallique (Jones et al 1994). L’étude de traits fonctionnels physiologiques de plantules d’arbres transplantées en divers points d’un gradient naturel de cuivre pourrait apporter des informations supplémentaires à ce sujet.

Un des paramètres clés dans l’étude de la niche fondamentale des espèces le long de gradients de toxicité est leur tolérance aux facteurs toxiques. Dans le cas d’une toxicité provoquée par des ETM, les mécanismes physiologiques de la tolérance sont diverses, qu’il s’agisse de l’aluminium (Delhaize et al 1995), du cadmium (Gallego et al 2012), du zinc (Clemens 2001), du cuivre ou du cobalt (Lange et al 2016). En effet, les stratégies de tolérance, mesurées ici comme les concentrations en métal dans les tissus foliaires in situ, bien qu’informatives, ne sont pas nécessairement corrélées à la tolérance au métal (Meerts & Van Isacker 1997, Lange et al 2017, 2018). Les traits pertinents de tolérance sont donc vraisemblablement liés aux mécanismes physiologiques de prise en charge des ETM dans la plante. Les teneurs en substances chélatantes (citrate, malate) ou en molécules de signalisation de stress (proline), ou de séquestration de radicaux libres (glutathion) observées chez de nombreuses espèces en réponse au stress métallique pourraient être de bons candidats pour quantifier la tolérance des espèces (p.ex. Hernandez et al 2015). Par exemple, des teneurs en proline constitutivement élevées ont été observées chez des écotypes métallicoles de Silene vulgaris mais pas chez les écotypes non-métallicoles (Schat et al 1997). Cependant, le dosage de ces composés est difficile en région tropicale car il doit être réalisé sur du matériel frais. De plus, en conditions naturelles, il reste difficile de séparer les effets

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stressants dûs aux ETM de ceux d’autres stress tels que des carences en nutriments ou des stress biotiques (Kishor et al 2005, Verslues & Sharma 2010).

Notons enfin que toute la région est soumise à des conditions climatiques et des perturbations particulières : saison sèche et feu. Ces conditions régionales filtrent également des espèces possédant des traits adaptés à ces conditions. On y trouve donc de nombreux hémicryptophytes et géophytes ainsi que des espèces capables de repousser après le feu (Sarmiento & Monasterio 1983). Cependant, l’intensité des feux, dépendant de la quantité de matière combustible, pourrait également avoir un impact sur la composition de la communauté. La biomasse aérienne importante sur les sols pauvres en ETM pourrait impliquer des feux beaucoup plus intenses que sur la maigre végétation des « steppes ». Nous avons déjà vu que les petites graines produisent des plantules moins compétitives (chapitre 1, Leishman 2003). Mais en plus, les petites graines pourraient être moins résistantes au feu que les graines plus grosses (Bond et al 1999, Lahoreau et al 2006, Escudero et al 2000). Une différence dans l’intensité ou la régularité des feux pourrait donc exercer un filtre au niveau de la taille de la graine, renforçant les différences entre communautés de bas et de haut de pente. Ce mécanisme, qui pourrait être testé expérimentalement, relèverait d’un renforcement positif d’une certaine valeur de trait dans la communauté, sélectionnant des espèces à stratégie de tolérance aux perturbations.