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Variabilité interspécifique dans l’allocation dans les défenses

III. Comment expliquer les variations intraplantes et interspécifiques dans les traits de

III.2. Variabilité interspécifique dans l’allocation dans les défenses

Il existe également une hétérogénéité dans l’allocation dans les traits de défense entre les différentes espèces de plante. Coley (1983a) a par exemple montré dans une forêt tropicale de Panama que les espèces pionnières, qui se trouvent généralement dans les trouées de lumière, ont tendance à présenter des feuilles avec un faible contenu en phénol, lignine et une plus faible dureté. A l’inverse, les plantes persistantes (ou tolérantes à l’ombre, c'est-à-dire ayant la capacité de pousser dans le sous-bois sans accès à la lumière) présentent des caractéristiques foliaires opposées avec un fort investissement dans la lignine et les phénols. Il semble donc que des différences dans les préférences écologiques des espèces soient associées avec un investissement différentiel dans la défense.

Espèces pionnières et persistantes diffèrent dans leur durée de vie (Denslow 1987), les plantes dites persistantes ayant généralement une durée de vie plus élevée que les plantes pionnières. La Théorie de l’Apparence propose que ces différences dans les durées de vie pourraient en partie expliquer les différences d’investissement dans les défenses. Plus précisément, cette théorie prédit que l'apparence des espèces, c'est à dire la probabilité de détection par les herbivores, détermine quels types de défenses sont sélectionnés pour une espèce donnée (Feeny 1976; Rhoades 1979). A un extrême, les plantes dites « non apparentes » ont une faible probabilité d’être détectées par les herbivores, soit parce que les populations se renouvellent très rapidement, soit parce qu’elles sont très fractionnées. De telles populations croissent rapidement et investissent la plus grande partie de leurs ressources dans la reproduction. La théorie prédit que ces espèces sont défendues par des composés dit « mobiles » qui ont un faible coût énergétique et qui sont efficaces à faible concentration mais qui ont des cibles très localisées (comme les alcaloïdes). Leur stratégie pour réduire les dégâts produits par les herbivores est de rendre leur localisation dans le temps et dans l’espace difficilement prévisible. A l’inverse, les plantes dites « apparentes » ont une forte probabilité d’être découvertes par un herbivore durant leur temps de vie. La sélection a favorisé dans ce cas, des mécanismes de défense « immobiles » qui affectent des fonctions basiques de l’agresseur comme la digestion (telles que les tannins). La production et l’accumulation de ces composés ont un coût élevé qui peut être supporté par les plantes ayant une plus longue durée de vie.

Bustamante et al. (2006) ont étudié un ensemble de 166 espèces végétales incluant des plantes herbacées, des arbustes et des arbres dans différentes zones du Chili. Ils ont mesuré la quantité en alcaloïdes, qui peuvent être considérés comme des défenses mobiles et en tannins, qui représentent plutôt un type de défense immobile. En accord avec les prédictions de la théorie de l’apparence, ils ont montré que le rapport entre la quantité d’alcaloïdes et la quantité de tannins dans les feuilles était plus élevé pour les espèces non apparentes (plantes herbacées) que pour les espèces apparentes (arbustes et arbres; voir Figure 7).

Figure 7: Moyenne du rapport Alcaloïde/Tannins pour 166 espèces végétales du Chili (Bustamante et al. 2006)

(A) Comparaison entre plantes herbacées et plantes ligneuses, (B) Comparaison entre arbres, arbustes et plantes herbacées (C) Comparaison entre plantes annuelles et pérennes au sein des plantes herbacées et (C) Comparaison

entre espèces à feuilles décidues ou à feuilles persistentes. Le nombre d’espèces dans chaque groupe est indiqué au dessus de la barre.

Un des corollaires de cette théorie est le fait que les espèces « non apparentes » devraient posséder des feuilles ayant une durée de vie plus longue avec des défenses « immobiles » (Herms & Mattson 1992). Ces feuilles à longue durée de vie favorisent les composés ayant un investissement de départ plus important mais avec un renouvellement plus faible. En accord avec cette prédiction, Coley (1988) a montré pour 41 espèces tropicales, que les espèces possédant des feuilles à plus longue durée de vie avaient tendance à contenir une plus grande concentration de tannin et de lignine.

Figure 8: Variation dans un indice de défense regroupant la quantité en tannin, terpènes, protéines et la dureté montrant la différence entre des paires d’espèces d’un même genre dont l’une est spécialiste d’un

sol pauvre sur sable blanc, et l’autre d’un sol argileux plus riche (Fine et al. 2006)

(A) Différence entre le score de l’index de défense (DI) des paires espèce pour chaque genre, MAB – Mabea (Euphorbiaceae), OXA – Oxandra (Annonaceae), PAC – Pachira (Malvaceae), PAR – Parkia (Fabaceae), PRO – Protium (Burseraceae) et SWA – Swartzia (Fabaceae). (B) Variation pour chaque genre par classe de composé.

Les cases en noir indiquent une valeur plus élevée pour ce trait de défense pour l’espèce specialiste du sable blanc que pour l’espèce spécialiste du sol sur argile. Les cases grises indiquent un tendance inverse. La dernière

colonne donne l’amplitude de la différence entre l’index de défense (DI) de l’espèce spécialiste du sable blance (pauvre) et de l’espèce spécialiste du sol sur argile (riche).

En reprenant l’exemple des plantes tropicales de la forêt de Panama présenté précédemment (Coley 1983a), on peut ajouter que les plantes pionnières et persistantes diffèrent également dans leurs taux de croissance. Les espèces pionnières ont généralement des taux de croissance élevés qui sont associés avec un faible investissement dans les défenses. Une autre étude, dans la même forêt tropicale de Panama a montré pour 41 espèces qu’un taux de croissance plus élevé était associé à une diminution dans la quantité de défenses présente et une augmentation des taux de défoliation (Coley 1988). Dans une forêt du Pérou, Fine et al. (2006) ont montré pour six paires d’espèces congénériques que les espèces

spécialistes d’un milieu plus pauvre (sable blanc) tendaient à être mieux défendues que des espèces spécialistes d’un milieu plus riche (argile ; voir Figure 8). Ils ont complété leur étude par des expériences de transplantation en montrant que l’installation des espèces spécialistes des sols riches sur les sols pauvres n’était pas limitée par la quantité de ressources disponibles mais par la pression due aux herbivores (Fine et al. 2004).

Figure 9: La théorie du taux de croissance : vue évolutive des différences interspécifiques dans l’investissement dans les défenses

Chaque courbe représente une espèce différente avec un certain taux de croissance maximal intrinsèque. Le niveau de défense qui permet d’atteindre un taux de croissance réalisé maximal est indiqué par une flèche. Tiré

de Stamp (2003), adapté de Coley et al. (1985)

Il semble donc que la quantité de ressources dans l’environnement puisse sélectionner dans cet environnement certaines caractéristiques de défense. La Théorie du Taux de

Croissance (Coley et al. 1985) propose que les espèces qui ont évolué dans un

environnement pauvre en ressources devraient avoir un taux de croissance relativement faible associé à un fort investissement dans les défenses. A l'inverse, les espèces adaptées à un environnement riche en ressources peuvent facilement récupérer à la suite d'une défoliation. On s'attend donc à ce qu'elles aient un taux de croissance élevé associé à un faible investissement dans les défenses. Comme présenté dans la Figure 9, chaque espèce possède

ressources dans la défense. Les espèces avec un taux de croissance optimal plus élevé investissent moins de ressources dans la défense.

Cette théorie est fondée sur plusieurs postulats. Elle suppose que le taux de croissance d’une espèce dépend de la quantité de ressource disponible dans l’environnement et qu’il existe un compromis évolutif entre l’allocation des ressources à la croissance et à la défense. Enfin, elle suppose également que dans un environnement pauvre en ressources, il est plus difficile de récupérer à la suite d’une défoliation ce qui sélectionne les espèces ayant un fort investissement dans les défenses.

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