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La valeur éthique de la psychothérapie

Chapitre 1 – Introduction

II. La valeur éthique de la psychothérapie

Compte tenu du fait que deux approches complètement différentes seront privilégiées dans l’examen des processus et résultats thérapeutiques, la question se pose certainement à savoir si la proposition au cœur de la problématique s'applique également aux deux formes de thérapie. Cette question me permettra de déboucher sur mon «rapport aux valeurs»39 ou orientation en fonction de mes propres valeurs.

38 Je précise au prochain chapitre le sens que je donne à cette affirmation, qui est très éloignée de l’idée de

Foucault à l’effet que l’intervention en santé mentale constitue une intervention morale.

39 Weber a emprunté cette expression à Rickert pour désigner le mécanisme subjectif chez le chercheur qui

oriente le choix d'un objet de recherche, des matériaux et le tri en fonction de ce qui lui semble important ou accessoire. C'est parce que le chercheur possède un tel rapport aux valeurs qu'il peut découper dans l'infini du réel un objet et le poser dans des termes nouveaux. «Par conséquent, le spécialiste des sciences

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Pour moi, la valeur éthique de la psychothérapie se situe à plusieurs niveaux différents que l'on pourrait certainement ordonner sur une échelle. Et cette valeur éthique s'applique à toute forme de psychothérapie, toujours dans la mesure où elle parvient aux objectifs qu'elle se donne, d’où l’intérêt de fixer des objectifs réalistes. Mais cette valeur peut varier précisément en fonction des objectifs proposés et atteints.

Ainsi au niveau le plus bas, dans la mesure où elle parvient à soulager certaines souffrances, ne serait-ce qu'offrir du réconfort, dans la mesure également où elle résout une difficulté qui, même légère, retenait inutilement l'attention, requérait des énergies qui eussent été mieux utilisées dans des activités plus directement liées à l'accomplissement personnel, dans cette mesure, la psychothérapie s'avère émancipatrice. Elle libère d'une certaine souffrance, d'une difficulté. C'est la conception minimaliste de la santé mentale relevée par Tjeltveit, et que nous aborderons au chapitre suivant.

À un niveau supérieur, la psychothérapie accroît la connaissance de ses forces et de ses limites, permet d’atteindre une image de soi plus réaliste, libère de certains déterminismes, si l'on peut dire, dans la mesure où des émotions négatives (peur, dépression, compulsion, colère) relâchent leur emprise, accroît les chances d'accomplissement personnel à travers des activités productives et, sans reprendre toute l'argumentation développée plus haut, les probabilités de voir apparaître des comportements sains donc ayant une valeur morale. Et de tels comportements peuvent apparaître, non seulement parce que l'attention n'est plus monopolisée par les problèmes personnels, mais aussi parce que des capacités morales (le sens des responsabilités, un sentiment de solidarité, la capacité de tenir tête) ont été développées. Dans une telle perspective, les problèmes personnels, lorsque bien «négociés», que ce soit dans un contexte professionnel ou non, ont une valeur de croissance personnelle parce qu'ils attirent notre attention sur un changement (de perception, d'attitude, de comportement) nécessaire.

Pour pousser un peu plus loin la réflexion, nous pourrions même ordonner des niveaux de capacités morales sur une échelle, du niveau le moins élevé au plus élevé, de la façon suivante:

humaines peut nous fournir, grâce au rapport aux valeurs, une vision nouvelle sur un problème, ou encore le renouveler, parce qu'il est amené à considérer comme importants des éléments que d'autres savants avaient laissé dans l'ombre en raison de leur propre rapport aux valeurs.» (Freund, 1968: 46)

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a. dans la mesure où un individu aura développé une image de soi plus réaliste, il sera également plus réaliste dans son interprétation de situations morales dans lesquelles il est impliqué;

b. il aura développé sa sensibilité à autrui

c. il aura développé un sentiment de responsabilité, et stade ultime,

d. il aura développé une capacité d'agir moralement, voire d'intervenir dans une situation qui l'exige.

Cependant j'estime nécessaire d’insister sur le fait qu'un tel développement de capacités morales devrait s'effectuer dans le cours normal d'une psychothérapie, sans ajout de discours moralisateur ou autre intervention destinée explicitement à cette fin. Comme Miller (1996: 104- 105) l’a souligné, «un être humain qui a vécu consciemment, de bout en bout, les souffrances de son propre destin, [...] aura une sensibilité beaucoup plus vive et plus aiguë aux souffrances d'autrui [...]».

Mon «rapport aux valeurs»

Je n'ai jamais eu l'intention de trancher en faveur d'une forme ou l'autre de thérapie, bien que je puisse à l'occasion émettre des commentaires critiques sur l'une ou l'autre. Cela tient non pas à une position méthodologique - comme celle de Weber qui tenait à exclure du travail sociologique tout jugement de valeurs - mais au fait que je ne puis trouver d'arguments pour repousser complètement l'une ou l'autre. Certaines valeurs m'apparaissent défendables, d'autres moins, et ce sur la base d'arguments qui se veulent rationnels. Il m'apparaît évident, par ailleurs, que sur un plan personnel, le choix d'une forme de psychothérapie par un client potentiel dépend beaucoup plus des affinités de celui-ci avec la philosophie et les valeurs sous-jacentes à ce cadre d'intervention. Ce qui n'est pas la même chose que d'affirmer que ces deux formes d'intervention sont également bonnes, tout au moins du point de vue qui m’intéresse.

Cela dit, et compte tenu des développements qui précèdent, on comprendra facilement que ma préférence ira vers une approche qui favorise une meilleure connaissance de soi. Quoi d'étonnant de la part de quelqu'un qui prétend effectuer un travail s'inscrivant dans l'ordre de la connaissance? Cependant, si on me suit bien et au risque de me répéter, la psychothérapie ne

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constitue pas un travail intellectuel et si le terme de connaissance demeure tout à fait approprié, il ne s'agit pas tant d'une connaissance intellectuelle qu'expérientielle. C'est en ayant parcouru un certain cheminement, porté un regard sur sa propre expérience, éprouvé certaines émotions, évalué l'impact de certaines expériences, effectué un travail de deuil, etc. que l'on parvient à cette image de soi plus réaliste, plus adaptée. Par contre, quand cet exercice sombre dans l'intellectualisme, il devient totalement contre-productif et peut nourrir la problématique de départ. Ce que la psychanalyse aura, par ailleurs, produit de plus précieux, tant sur un plan individuel que social, c'est l'attention portée aux éléments inconscients de notre expérience, à tout ce qui vient la déterminer à notre insu, de l'ordre des éléments personnels et biographiques. De nombreux autres facteurs viennent déterminer notre expérience à notre insu, que le travail des sciences sociales s'emploie à illuminer, mais là n'est pas mon propos. Pour moi, la psychanalyse n'a de valeur que dans la mesure où elle élucide - jamais complètement, jamais définitivement – une situation, voire une vie dans certains cas. La capacité émancipatrice de la psychanalyse réside donc, de mon point de vue, dans sa volonté toujours actuelle de rendre plus conscient, d'une réalité subjective certes, mais réalité tout de même puisqu'elle produit des effets.

Les valeurs de pragmatisme rattachées à la thérapie brève de l'école de Palo Alto me sourient également. Une préoccupation pour l'efficacité, quand on prétend intervenir, n'est jamais déplacée. Sauf que tenir cette préoccupation pour seul critère de vérité m'apparaît troublant et constitue matière à réflexion. Je crois que la pensée stratégique, celle qui consiste à élaborer et évaluer des scénarios dans le but de parvenir à certains résultats, est souvent sous-estimée par les sciences sociales parce que ces dernières se soucient trop peu des conséquences pratiques de ce qu’elles professent. Or, voilà bien un domaine et une valeur (un souci pour le résultat!) que se partagent certaines formes de psychothérapie, en plus de l'action communautaire et politique quelles qu'elles soient. Dans le domaine qui nous intéresse ici, le souci de réduire la souffrance est éminemment louable et ne devrait jamais être sous-évalué. J'appuie aussi inconditionnellement toute forme de psychothérapie qui favorise le développement d'habiletés interpersonnelles, celles-ci étant remarquablement négligées. Au mieux, ce développement est perçu comme découlant «naturellement» d'une meilleure connaissance de soi, alors qu'il est tout aussi indéniable qu'en leur absence, un certain épanouissement personnel ou professionnel est impossible. Or il m'apparaît peu probable qu'on puisse réaliser des miracles à ce sujet dans un temps court. Et l'on sait déjà que la psychanalyse se désintéresse passablement d'objectifs aussi

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terre à terre. Tout cela pour souligner le fait que les deux formes d'intervention choisies pour un examen attentif dans le cadre de cette thèse, pour différentes qu'elles soient, possèdent chacune des limites qui excluent toutes deux, pratiquement parlant, certains domaines d'intervention.

Un autre aspect intéressant de la thérapie brève concerne le fait qu'elle favorise beaucoup la reconnaissance du caractère unique de chacun de ses clients, voulant ainsi marquer une distance avec toute pensée insistant sur les normes et le pathologique. Mais il n'est pas certain qu'elle parvient à y échapper. Je suis par contre en désaccord avec le relativisme cognitif et moral qui sous-tend cette approche - nous aurons de multiples occasions de revenir sur le sujet. Ces considérations m'amènent à préciser, sans plus tarder, le cheminement qui sera le mien dans les prochains chapitres.

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