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Psychothérapie et émancipation sociale : une vue d'ensemble

Chapitre 1 – Introduction

III. Psychothérapie et émancipation sociale : une vue d'ensemble

Le chapitre 2 repose passablement sur l'ouvrage de Tjeltveit (1999), Ethics and Values in Psychotherapy qui nous propose un tour d'horizon très systématique et bien documenté des rapports entre psychothérapie, valeurs et éthique. Cet ouvrage me sert en quelque sorte à camper le décor de la thèse et me permet de repositionner ma problématique, en particulier les rapports entre santé mentale et morale, compte tenu de l’éclairage qu’il m’apporte. Dans un premier temps, je définis mon usage des termes morale, éthique et valeurs puis examine la place des valeurs en thérapie et ses conséquences sur un processus relevant officiellement de la science. Puis je me penche sur la question des fondements des jugements éthiques : comment estime-t-on qu’un jugement éthique est fondé ? Deux débats éthiques contemporains d’intérêt pour la psychothérapie suivent : celui dit «critique éthique de l’éthique» nous renvoie à une certaine pensée postmoderniste qui paradoxalement s’efforce de nier toute valeur éthique au nom d’une valeur suprême, la liberté. Le deuxième débat porte sur le naturalisme40 et me permet de réexaminer la question des valeurs portées par la science ou objet de science. Enfin, j'aborde les rapports entre santé mentale, éthique et morale (quelle est notamment la place des enjeux strictement moraux en thérapie ? et comment ma problématique se distingue-t-elle de la conception ancienne de la maladie mentale comme manquement à la morale ?). Suivent la question de l'influence du thérapeute et celle de l'instrumentalité potentiellement inhérente à

40 Dans un contexte anglo-saxon, le naturalisme renvoie à l'importation dans le monde des sciences

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cette relation très particulière et, dernier thème et non le moindre, le questionnement sur les fins de la psychothérapie : au-delà de leurs résultats proprement psychologiques, quels résultats produisent les psychothérapies, sur un plan éthique et social?

Le «décor» étant posé, le chapitre 3 présente successivement chacune des deux approches thérapeutiques choisies, la psychanalyse puis celle de l'école de Palo Alto. Tel que mentionné plus haut, ce choix n'est pas innocent et veut surtout mettre en évidence une conception radicalement différente du changement thérapeutique. À partir d'une grille d'analyse sommaire en cinq points, chaque approche est présentée puis analysée et comparée : ainsi, la psychanalyse relèverait d'une épistémologie réaliste tandis que la thérapie brève, en tant qu'approche pragmatique, constructiviste et relativiste, relèverait d'une épistémologie antiréaliste. Par ailleurs, en posant comme seul critère de vérité, l'efficacité, la thérapie brève prête le flanc à des critiques concernant la manipulation ou tromperie dont pourrait faire l'objet le client dans cette approche. Le psychanalyste comme le thérapeute en thérapie brève doivent, pour des raisons d'éthique professionnelle, conserver le contrôle de l'intervention et sont tous deux exposés aux tentations d'une influence indue. En principe, l'analyste doit pouvoir distinguer son traitement de la suggestion et le thérapeute en thérapie brève doit user abondamment de ses capacités de persuasion. Enfin, alors que la psychanalyse s'explique abondamment sur le développement pathologique du sujet, la thérapie brève, en accord avec la vision constructiviste qui la supporte, refuse toute conception normative du sujet. Elle n'admet comme problème que ce qui est défini comme tel par le client. Se faisant, elle s'expose à ne pas reconnaître un problème grave que seul pourrait percevoir l'entourage d'un client potentiel.

Mais comment se vit la nature de l'influence et de l'autorité dans chacune de ces approches? Quelle est la réflexion éthique des praticiens à ce sujet? Voilà des questions qu'abordent les chapitres 4 et 5. En effet, ces derniers rendent compte de débats contemporains ayant cours à l'intérieur de ces approches (psychanalyse d'abord sous la forme de la théorie des relations d'objet, approche systémique ensuite) et qui portent sur des éléments cruciaux de la relation thérapeutique: l'autorité et l'expertise, l'influence et la neutralité. Cet examen me permet de constater que l'influence de la pensée postmoderniste sur la psychanalyse contemporaine et l'approche systémique est réelle, mais à des degrés différents. Dans le cas de la psychanalyse, je note qu'on a tendance à réduire l’importance de l'inconscient et à minimiser les aspects plus

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conflictuels de la relation pour faire de même avec l'expertise de l'analyste et l'asymétrie de la relation. Pour l'approche systémique, cette influence est plus importante et se fait sentir à travers le constructivisme puis le constructionnisme social qui conçoit la réalité comme construction sociale. Dans ce contexte antiautoritaire, l'expertise est également minimisée au point où certains thérapeutes développent une position de «non-savoir». Dans ses discours sinon dans les faits, l'approche systémique contemporaine en psychothérapie aboutit au scepticisme, à une sorte de déni de notre capacité à connaître qui s'avère particulièrement troublant dans un contexte où l'on doit agir et parfois agir pour contrer l'abus des personnes. Il en émerge également un relativisme cognitif et moral tout aussi troublant puisqu'il contredit l'essence même de la psychothérapie, soit la possibilité de voir émerger de meilleurs comportements, des comportements plus sains. À travers ces discussions plus épistémologiques, je prends parti pour le réalisme essentiel à ma problématique. En effet, pour qu'une thérapie contribue véritablement au développement moral des personnes, elle doit mettre l'accent sur un fonctionnement réflexif, une capacité à ressentir, à se voir agir, à identifier correctement la teneur de ses sentiments et la portée de ses comportements ainsi que sur des habiletés communicationnelles, soit la capacité à se dire, à faire valoir ses besoins et ses désirs de façon moins distorsionnée. Et pour cela, le réalisme est essentiel, c'est-à-dire l'idée qu'il existe une réalité indépendante de la connaissance que nous en avons. De mon point de vue, le réalisme est capable de s'accommoder du constructivisme, même si le contraire n'est pas possible aux yeux des constructivistes.

Au chapitre 6, après une courte présentation de l'œuvre d’Habermas, je réexamine un article cité au chapitre précédent (Donovan, 2003a) incitant les psychothérapeutes «postmodernistes» à un réinvestissement de l'éthique et cela par le biais de l'éthique communicationnelle du philosophe allemand. J’utilise cet article pour donner un aperçu de ce qu’une psychothérapeute de tendance postmoderniste peut souhaiter en se référant à une œuvre philosophique majeure. Quatre ensembles de questions suivent qui sont abordés successivement, entrecoupés de présentations plus théoriques sur la pensée d’Habermas. Le premier ensemble porte sur les deux types de rationalité (cognitive-instrumentale et communicationnelle) qui parcourent son œuvre et pose la question de savoir si les deux approches thérapeutiques examinées précédemment sont exemplaires de ces formes de rationalité. Devant l'impossibilité d'appliquer correctement, comme le souhaiterait Habermas, les deux formes de rationalités à des actions distinctes, j’en conclus que la psychothérapie constitue une forme d'action

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communicationnelle dans une action stratégique, parce que la dimension stratégique de tout rapport est inévitable. Le deuxième ensemble porte sur le concept d'émancipation chez Habermas et tente de situer ma problématique par rapport à ses développements théoriques. J’estime que puisqu’elle participe à l'extension de la rationalité communicationnelle, la psychothérapie contribue à la rationalisation du monde vécu, et par là constitue une pratique émancipatrice. Elle ne peut donc passer pour un exemple de «colonisation du monde vécu» par la rationalité instrumentale. Le troisième a trait à la situation idéale de parole, un concept central pour Habermas, et me permet d'examiner les limites posées par le philosophe à la critique thérapeutique, la forme de discussion qui porte sur les auto-illusions ou illusions sur soi, de même que les rapports entre vérité, justesse normative, sincérité et intelligibilité dans la situation thérapeutique. Comme quelques autres pratiques sociales, la psychothérapie permet, de mon point de vue, d'approximer certaines conditions de la situation idéale de parole.

Enfin, le dernier groupe de questions concerne l'éthique communicationnelle, la procédure imaginée par Habermas pour examiner la validité de prescriptions normatives. De mon point de vue, l'éthique communicationnelle, parce qu'elle traite des questions morales de justice et non des questions de bonne vie, peut davantage inspirer les pratiques thérapeutiques par sa forme (tous les concernés ont le droit de s'exprimer) que par ses contenus. De plus, il est possible d'inférer de ses développements sur la conscience morale l'idée qu'elle repose avant tout sur des compétences réflexives et communicationnelles, elles-mêmes résultat d’expériences socialisatrices réussies. Sa notion de validité permet de penser à un équivalent de l'idée de vérité mais qui concerne les questions morales : on peut parvenir selon lui à un consensus sur des questions morales, un consensus qui repose non pas sur des préférences arbitraires mais sur des arguments rationnels. Le tout se termine par une discussion sur la séparation «dure» effectuée à la modernité entre questions morales et questions de bonne vie, alors que la situation thérapeutique visiblement entremêle celles-ci, même si elle est dominée par les deuxièmes qui peuvent faire l'objet de discussions rationnelles mais qui ne peuvent, selon Habermas, donner lieu à des résultats universellement valides.

Le chapitre 7 explore la notion de modernité et ses dérivés, les significations qui lui sont rattachées, dont celle que lui accorde Habermas, ainsi que le postmodernisme en tant que mouvement culturel et intellectuel en réaction à la modernité. Ce chapitre veut rendre compte de

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ce mouvement qui a fortement influencé les pratiques thérapeutiques contemporaines et, par ailleurs, présenter le cadre dans lequel prendra place le «dialogue» entre Habermas et Foucault survenu au début des années 1980. Le postmodernisme est non seulement présenté mais évalué, commenté41. J'y passe en revue un certain nombre de thématiques qui se sont avérées centrales pour le postmodernisme: la représentation, les émotions, le caractère autoréférentiel de la raison, la rationalisation, le sujet, la théorisation, le rapport au politique et les changements socioculturels associés à cette «société moderne avancée», ou postmoderne selon certains. J'y soutiens notamment que les affinités entre ce mouvement et les psychothérapies (tous deux mettent l'accent sur les représentations au détriment des prétentions de validité) ne sont qu'apparentes puisque dans les faits, les thérapies ne peuvent se passer d'un haut degré de réalisme épistémologique et moral, rejeté par les postmodernistes. Ce sont des pratiques après tout, qui doivent déboucher sur des effets pratiques, concrets. Qui plus est, elles portent sur la santé mentale, notion impliquant un bon contact avec la réalité. Elles mettent en action des pouvoir- savoirs qui ont reçu l’opprobre de Foucault. De mon point de vue, ces savoirs peuvent prétendre à certains progrès lesquels ne sont pas reconnus par le scepticisme postmoderniste, et ces pratiques sont habitées de part en part par la normativité: elles prétendent offrir un état (mental, comportemental) supérieur à l'état initial, selon des critères qui, à défaut d'être toujours explicites, doivent répondre aux besoins du patient (ou de la société dans certains cas).

Le chapitre 8 est consacré successivement aux commentaires d’Habermas sur le postmodernisme contenus dans le Discours philosophique sur la modernité, à une présentation de l’œuvre de Foucault par le biais de trois ouvrages marqués par la problématique de la normalisation42 ainsi qu'à une discussion des critiques adressées par Habermas à Foucault en plus de diverses thématiques afférentes à ce débat. Même s'il a toujours refusé cette étiquette, Foucault cadre bien dans les velléités du postmodernisme: la raison est abordée essentiellement dans sa volonté de contrôle et de «disciplinarisation», telle qu'elle apparait surtout dans les sciences humaines et les pratiques issues de ce giron (psychologie, criminologie, pédagogie, médecine et psychiatrie dans une certaine mesure). Or, Foucault a fait œuvre historique (généalogique, dirait-il) s'intéressant particulièrement à l'âge classique qui a vu naître cette volonté de «disciplinarisation». Il faut ajouter que le capitalisme naissant avait besoin de

41 Pour cela, l'ouvrage de Bonny (2004) a constitué une source précieuse.

42 Histoire de la folie à l'âge classique (1972), Surveiller et punir, naissance de la prison (1975) et Histoire de

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populations dociles, dressées pour soutenir le rythme de la production mais également bien encadrées, surveillées. De mon côté, je défends l'idée que ces diverses entreprises de normalisation (armée, prisons, hôpitaux, écoles) se sont considérablement adoucies dans notre ère post-disciplinaire et ce précisément au moment où Foucault mettait celles-ci en lumière (des années 1960 au début des années 1980). Notre temps en effet est marqué par un éclatement des normes, non pas celles qui nous prescrivent un idéal (celles-là sont plus présentes que jamais), mais celles qui définiraient la normalité par la moyenne ou la majorité. En d'autres mots, les comportements hors-normes, individualisation aidant, ne sont plus autant l'objet d'ostracisme et le domaine de la santé mentale s'efforce davantage d'intégrer ou réintégrer que de bannir.

Cela dit, la trame centrale de ce chapitre se trouve moins dans la problématique de la normalisation que dans celle des rapports pouvoir-savoir (ou pouvoir-critique) qui ont occupé une place majeure dans l'œuvre de Foucault43. La question qui a mobilisé le débat Habermas-Foucault a trait à la notion de pouvoir mise de l'avant par Foucault (la capacité à déterminer la conduite des autres) et la possibilité de critique. Alors que Foucault a placé la critique au centre de son œuvre, il n'a pas su fournir le critère qui permettait de différencier les pratiques critiques (il refuse l'idée d'émancipation) de celles qui ne le sont pas. Comment peut-on critiquer le pouvoir quand le pouvoir est contenu dans la critique même, quand le savoir produit des effets de pouvoir et vice versa? L'attitude théorique et politique de Foucault sera celle d'un résistant mais sans articuler ce pour quoi il se bat44, l'argument étant que l'on ne peut échapper au pouvoir et que l'on ne peut que reproduire ou remplacer le pouvoir existant par de nouvelles formes de pouvoir. De son côté, Habermas avec sa notion de rationalité communicationnelle, met de l'avant l'idée que l'on peut faire des gains en objectivité, en compréhension et en lucidité lorsque nous discutons de propositions problématiques touchant les mondes objectif, normatif et subjectif. J’accepte cette idée même si la position de Foucault sur le pouvoir s'avère sous certains aspects plus réaliste que celle d’Habermas. Quoi qu'il en soit, c'est avec la position de ce dernier que je peux le mieux défendre ma problématique, Foucault ne reconnaissant ni émancipation, ni progrès possible et

43 En réalité, Foucault s'est d'abord et avant tout intéressé à la constitution du sujet comme objet de

connaissance, donc aux conditions d'émergence des sciences humaines mais, ayant postulé que ce sujet s'était constitué à l'intérieur de pratiques, il lui fallait analyser les relations de pouvoir : «les formes diverses et particulières de "gouvernement" des individus ont été déterminantes dans les différents modes d'objectivation du sujet.» (p.635) Foucault, M. «Foucault», notice publiée dans le Dictionnaire des

philosophes, (Huisman, D. éd.), Paris: PUF, 1984. (aussi dans: Foucault, M. Dits et écrits IV, p.631-636).

44 Foucault reconnaîtra tout de même vers la fin de sa vie s'être battu pour les droits et libertés humaines

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étant visiblement fasciné par la dimension contraignante du pouvoir (la rationalité stratégique), qui se passe de toute argumentation ou concertation. Dans la liaison pouvoir-savoir, le savoir ne peut jamais libérer puisqu'il est nécessairement au service de forces répressives.

Nous verrons également qu'en toute cohérence, il ne peut accepter l'idée de nature humaine (puisque sa critique s'exerce contre les universaux), celle-là même qui permet de reconnaître la normativité inhérente à la vie sociale, les déficits qu’une piètre socialisation peut engendrer en bas âge et les «réparations» nécessaires à travers la psychothérapie. Plus tardivement dans son œuvre, Foucault reconnaîtra chez le sujet une certaine capacité de distanciation vis-à-vis lui-même, une capacité d'autoréflexion, mais sans lui adjoindre une dimension sociale. Autrement dit, cette autoréflexion est davantage investie dans la «construction de soi comme une œuvre d'art» et moins dans le gain en réalisme cognitif découlant du rapport communicationnel. Or, c'est ce réalisme cognitif qui m'assure d'un plus grand réalisme moral acquis au sein de la relation thérapeutique. La capacité morale, en effet, est éminemment sociale: non seulement elle porte sur notre capacité à «vivre ensemble» (questions de justice et de bonne conduite interpersonnelle) mais elle ne peut s'éveiller durablement qu'au sein d'expériences de socialisation réussies, qu'elles aient lieu en bas âge ou au sein de relations réparatrices.

En fin de parcours, je discute au chapitre 9 quatre ouvrages ayant pour thème, l'individualisme45, lequel thème a abondamment nourri la réflexion sur la modernité - selon Louis Dumont, l'idéologie moderne est individualiste – ainsi que sur le relativisme, l'instrumentalité et l'apolitisme. Sauf le premier, celui de Dumont, tous ces ouvrages abordent la psychothérapie, avec plus ou moins d'ampleur selon le cas. Je retiens comme définition de l’individualisme, celle qui concerne la primauté de la liberté de l'individu (liberté quant au style de vie mais aussi autonomie sur le plan normatif) et qui met en évidence la reconnaissance du sujet humain comme une fin en soi, reconnaissance sur laquelle s'appuient les droits de la personne. Je préfère en effet que la définition à connotation négative soit réservée à l'atomisme46, soit la propension de l'individu

45 Louis Dumont (1983), Essais sur l'individualisme, une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne,

Seuil: Paris, 1991. Gilles Lipovetsky (1983), L'ère du vide, essais sur l'individualisme contemporain, Paris: Gallimard. Charles Taylor (1991), The Malaise of Modernity, Concord, Ont.: Anansi Press, 1992 [Le malaise de

la modernité, Paris: Ed. du Cerf, 1994], Robert N. Bellah et al. (1986), Habits of the Heart: Individualism and Commitment in American Life, New York: Harper and Row (Perennial Library), 1985.

46 En fait l'atomisme est surtout associé à la tradition utilitariste; voir Boudon (1995: 51). Taylor (1985c: 187)

utilise le terme «atomisme» pour caractériser les théories du contrat social du XVIIe siècle et, de manière générale, les doctrines subséquentes qui défendent la priorité de l'individu et de ses droits sur la société.

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moderne à se percevoir comme ahistorique, asocial et par conséquent, apolitique. L'intérêt pour ce thème, on l'aura compris, vient de ce que je tente, par ma problématique, de nuancer la représentation habituelle à propos de la psychothérapie qui en fait, d'un point de vue social, une pratique essentiellement narcissique, favorisant le repli sur soi des individus. Or, sans nier que les «déviations» narcissiques existent, j'estime qu'un point de vue plus nuancé à leur sujet, devrait reconnaître leur contribution implicite au développement moral des personnes. Il m'apparaît nécessaire, à travers la discussion de ces ouvrages, de redorer le blason de l'individualisme, en considérant la psychothérapie notamment comme un lieu privilégié de l'individualisme expressif.

Essentiellement, on trouve chez Dumont (1983), l'idée que la religion chrétienne a été le ferment de l'individualisme, dans sa généralisation et dans son évolution, un processus que l'auteur retrace dans les écrits depuis l'Antiquité jusqu'aux théories du contrat social (XVIIe siècle). Lipovetsky (1983) quant à lui s'attarde à la période contemporaine et à l'avènement de la société postmoderne caractérisée par un «procès de personnalisation», une phase nouvelle dans l'émergence inéluctable et irréversible de l'individualisme occidental. Le narcissisme quant à lui, surgit «de la désertion généralisée des valeurs et finalités sociales, entraînée par le procès de personnalisation» (p.75), une autre manière de nommer le relativisme.

L’ouvrage de Taylor (1994), et plus généralement une bonne partie de son œuvre, sont consacrés à la défense et illustration de la nécessité d'exposer les idéaux moraux sous-jacents à notre identité moderne et d'en débattre publiquement. Sa position, si elle se rapproche à certains égards de la pensée communautarienne47, est beaucoup plus nuancée quant à l'individualisme.

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