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CHAPITRE VI : BILANS DE TRANSFERT DE CARBONE DANS LE BASSIN VERSANT DU NYONG

ÉTUDE DE LA DYNAMIQUE DU CARBONE DANS LES SOLS DU BVE DU MENGONG PAR UN TRAÇAGE ISOTOPIQUE AU CARBONE

II- 4 Les végétations antérieures

Les variations fortes de δ13C observées entre la surface et la profondeur, aussi bien dans les sols ferrallitiques des zones de colline que dans les sols hydromorphes des zones marécageuses du BVE du Mengong, ne peuvent être expliquées uniquement par les processus d’humification. Les valeurs les plus enrichies de δ13C sont de -19,9‰ dans les horizons cuirassés des zones collinaires (contre -26‰ dans la partie supérieure), et peuvent atteindre - 17,9‰ dans les horizons humifères des zones marécageuses. Ces valeurs de δ13C s’expliquent par la présence dans ces sols de fractions stables d’humus issues d’une végétation antérieure dont la composition isotopique était en moyenne plus enrichie en δ13C que celle du couvert forestier actuel. Cette hypothèse est en conformité avec des études faites par de nombreux auteurs, sur les principaux changements de climat et de végétation au cours du Quaternaire, en particulier sur le plateau du Sud Cameroun.

D’après Maley et Brenac (1998), la fragmentation des forêts associée aux périodes de glaciation et l’extension maximale des forêts correspondent à des optimums thermiques fournit un modèle de fluctuations extrêmes du bloc forestier de l’Africain équatoriale, pouvant être appliqué aux périodes antérieures du Quaternaire, ou tout au moins aux derniers 800000 ans (Pléistocène supérieur). Toutefois, des études polliniques (Hooghiemstra et Agwu, 1988 ; Bengo et Maley, 1991 ; Fredoux, 1994 ) effectuées sur des carottes marines prélevées dans le Golfe de Guinée montrent que les grandes fluctuations de la végétation forestière n’auraient débuté qu’a partir de 250000 ans environ. Dechamps et al. (1988)

reconnaissent sur la base d’études paléobotaniques menées au Sud-Congo une succession de trois grands épisodes climatiques au Quaternaire récent (humide de 40 000 à 30 000 ans BP, sec de 30 000 à 12 000 ans BP, puis humide de 12 000 ans BP à l’actuel). De nombreux autres travaux réalisés en Afrique équatoriale et tropicale permettent de préciser, voire de modifier la chronologie ci-dessus. Pour ce qui est du Cameroun, l’évolution paléoclimatique et paléovégétale est beaucoup mieux connue pour les derniers 28000 ans, grâce aux estimations de paléoniveaux du Lac Tchad à partir des diatomées (Servant et Servant-Vildary, 1980), aux études sur les pollens et sur les variations de δ13C effectuées à partir des sédiments prélevés dans le lac Barombi Mbo au Sud-Ouest du Cameroun (Giresse et al., 1994 ; Maley et Brenac,

diatomées (Nguetsop et al., 1996). Les résultats de ces travaux présentent de nombreuses similitudes avec ceux obtenus au Congo (plateau Batéké, Lac Sinnda), au Ghana (Lac Bosumtwi) ou sur les lacs est-africains. Ils permettent de proposer quatre principales phases dans l’évolution de la végétation au Sud-Ouest du Cameroun. Deux phases d’extension forestière, l’une entre 28000 ans BP et 20000 ans BP, l’autre entre 13000 ans BP et 3000 ans BP ont été caractérisées par des valeurs de δ13C comprises entre -32‰ et -25‰ et se rattachent à un climat frais et humide. La phase entre 20000 ans BP et 13000 ans BP a été marquée par des valeurs de δ13C entre -28‰ et - 23‰, liées à la régression de la forêt, donnant lieu à une végétation constituée des espèces savanicoles (C4) et de refuges forestiers (C3). La phase entre 2500 ans B P et 2000 ans BP a été marquée par une nouvelle ouverture de la forêt, mais sans fluctuation importante du δ13C. Ces deux dernières phases se rattachent à un climat chaud, relativement sec, lié à une importante saisonnalité et combiné à une érosion sévère (Maley et Brenac, 1998). La forêt s’est développée à nouveau pendant les deux derniers millénaire, avec des valeurs de δ13C de -32‰. Pour les dernières décennies, les variations de la végétation dans le plateau du Sud-Cameroun sont connues avec précision grâce à de nombreux travaux. D’après des études des formations latéritiques et de la phytogéographie, Kamgang Kabeyene (1998) arrive à la conclusion que, dans les conditions actuelles, la forêt est en pleine progression sur la savane. Cette transgression est par ailleurs confirmée par la composition isotopique du carbone ainsi que par les proportions des dérivés de la lignine dans les sols de ce secteur (Guillet et al., 1996). Elle a pu localement être

quantifiée par Youta Happi et al., (1996), à partir de l’examen de photographies aériennes

réalisées depuis 1950 (avancée des lisières, densification du couvert ligneux…).

Les forts enrichissements isotopiques observés dans les sols du BVE du Mengong (fig. IV.3) pourraient bien se rattacher à une des phases plus arides de régression forestière en Afrique centrale. Cependant, d’après Maley (2001), aucune phase d’aridité extrême qui aurait complètement éradiqué les biotopes forestiers ne s’est produite. La valeur maximale de δ13C dans ces sols obtenue lors de cette étude (-18‰) corrobore cette observation, indiquant qu’au cours des fluctuations climatiques, la végétation était constituée d’une association de plantes en C3 et en C4. Il est également à noter qu’à l’exception des horizons de surface, les fortes teneurs en carbone organique total sont associées aux plus hautes valeurs de δ13C (fig. IV.8). Une telle distribution indiquerait que les phases arides correspondantes ont été caractérisées par une importante production de MOS et/ou un faible taux de minéralisation de la MOS. On observe à la base des profils une convergence de δ13C vers les valeurs plus négatives (entre 29‰ et 31‰) et du même ordre que les valeurs de δ13C observées en surface. Ce qui

108 indiquerait que la végétation originelle dans cet écosystème serait une forêt, semblable à celle qui se développe actuellement.

Pour simplifier l’étude de la paléovégétation, le fractionnement isotopique observé lors de la décomposition de la MOS est généralement négligé. On peut tenter de calculer la contribution relative des fractions de végétation C3 et C4 suivant l’équation suivante proposée par Mariotti (1991) : 3 13 4 13 3 13 13 4

100*

%

C C C COS C

C

C

C

C

F

δ

δ

δ

δ

=

(11)

FC4 est la contribution de la fraction de plantes en C4, δ13CCOS, δ13CC4, et δ13CC3 sont les compositions isotopiques respectives du carbone organique du sol, et les valeurs moyennes des biomasses C4 (-13‰) et C3 (-26‰).

On obtient ainsi, à partir des données relatives aux horizons indurés ferrugineux des profils du versant, une contribution FC4 de 44%, indiquant que l’enrichissement isotopique observé en profondeur dans ces sols a été marqué par une végétation constituée d’un mélange presque équilibré en plantes C3 et C4, consécutivement à une dégradation de la forêt originelle et à un développement de la savane.

0 4 8 12 16 -30 -25 -20 -15 δ13C (‰ ) C O T ( % )

Figure IV.8 : Relation entre δ13C et COT dans les sols du BVE du Mengong