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CHAPITRE VI : BILANS DE TRANSFERT DE CARBONE DANS LE BASSIN VERSANT DU NYONG

IV – APPLICATIONS DE LA TECHNIQUE ISOTOPIQUE 13 C

IV–1 – Dynamique du carbone dans les sols

IV-1-1 – Transfert de la signature isotopique des plantes aux sols

Comme nous l’avons précédemment évoqué, la composition isotopique des MOS est généralement proche de celle de la végétation en équilibre sur ces sols. On note néanmoins un léger enrichissement isotopique de quelques unités δ dans les mètres supérieurs du sol. Balesdent et al. (1993) et Ehleringer et al. (2000) émettent différentes hypothèses pour ce qui

est des processus susceptibles de produire un tel enrichissement dans les sols. Wynn et al.

(2006), groupent ces hypothèses dans trois catégories.

► Un mélange de matière organique de compositions isotopiques différentes, faisant intervenir plusieurs processus :

- l’effet de Suess, provenant d’un appauvrissement isotopique (environ - 1,4‰) du carbone atmosphérique depuis le début de l’ère industrielle (Friedli et al., 1986) ; de ce fait, les MOS

présentes avant l’ère industrielle auraient des δ13C plus élevés que les MOS postérieures (fig. I.6a); CO2 atmosphérique HCO3- marin Carbonate marin Plantes marines Plancton marin Végétaux du type C4 Végétaux du type C3 HCO3- des nappes Carbonate d’eau douce Bois Tourbe Charbon Pétrole Gaz naturel CH4 des bactéries Os d’animaux Diamant δ13C (‰ PDB)

post-révolution industrielle pre-révolution industrielle Fpost-RI Fracines Fmoderne FCOS

COS dérivant des racines enrichies en 13C COS dérivant des feuilles δ13C biomasse Discrimination ~19‰ vieux COS

enrichies en 13C vieux COS

appauvries en 13C COS frais COS frais 13C dérivant de la minéralisation du COS post-révolution industrielle pre-révolution industrielle Fpost-RI Fracines Fmoderne FCOS

COS dérivant des racines enrichies en 13C COS dérivant des feuilles δ13C biomasse Discrimination ~19‰ vieux COS

enrichies en 13C vieux COS

appauvries en 13C

COS frais

COS frais

13C dérivant de la

minéralisation du COS

Figure I.6. Modèles de courbes matérialisant la fraction restante de carbone organique du sol (F) par rapport à la composition en isotope stable du carbone du sol (δ13C) adapté d’après Wynn et al. (2006).

- la discrimination isotopique entre les feuilles et les racines ; en effet, de nombreuses études ont démontré que le δ13C des racines est généralement enrichi par rapport à celui des parties aériennes de la plante (Wedin et al., 1995 ; Schweizer et al., 1999 ; Brugnoli and Farquhar,

2000). Ainsi, une discrimination isotopique pouvant aller jusqu’à + 1,5‰ peut s’observer du fait d’une prédominance des racines sur les feuilles (fig. I.6b);

- Le changement de végétation, par exemple entre plantes en C3 (forêt) et en C4 (savane), induit un marquage in situ des matières organiques incorporées au sol ; ceci conduit dans ce

cas à une discrimination du δ13C des sols entre la végétation ancienne et la végétation récente pouvant atteindre + 15‰. Le sens de la discrimination (enrichissement ou appauvrissement) est fonction de l’évolution du type de couverture végétale (fig. I.6c).

a b

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► Une décomposition préférentielle de certains constituants de la matière organique, de compositions isotopiques caractéristiques. En effet, les composés organiques des plantes présentent une variabilité de δ13C due à la différence du fractionnement métabolique de la plante. Ainsi, la lignine, les lipides et la cellulose sont généralement les composés les plus appauvris de la plantes alors que les sucres, les acides aminés, l’hémicellulose et la pectine sont les plus enrichis (Deines, 1980 ; Boutton, 1996). L’accumulation des composés stables (lignine, lipides, cellulose) dans les sols lors de la décomposition de la MOS provoque un accroissement de leur concentration -et donc un enrichissement du δ13C- avec la profondeur.

► Certaines études montrent qu’un fractionnement isotopique cinétique de l’ordre de + 4‰ se produit lors de la maturation de la MOS (Natelhoffer and Fry, 1988 ; Schwartz et al.,

1992 ; Balesdent et al., 1993 ; Balesdent et Mariotti, 1996 ; Powers and Schlesinger, 2002).

Cet enrichissement peut être déterminé à partir de la relation théorique entre la concentration en carbone organique du sol et la composition isotopique δ13C (fig. I.6d).

IV-1-2 – Paléoécologie et cycle du carbone du sol

Le changement de végétation, généralement lié à des variations paléoclimatiques, peut s’accompagner du remplacement progressif dans le sol de la matière organique correspondant au type de végétation précédente par celle du type actuel. Les profils du rapport isotopique 13

C/12C des MOS mettent en évidence l’existence de végétations passées d’un type différent de la végétation actuelle, et permet d’estimer la proportion de carbone provenant de l’un ou de l’autre des deux types de végétation (Mariotti et Balesdent, 1990 ; Schwartz, 1993). Cette évolution de la composition isotopique vers la profondeur permet notamment de reconstituer la séquence des épisodes de forêt (C3) et de savane (C4) (Schwartz et al., 1986 ; Mariotti,

1991 ; Martin et al., 1990 ; Trouvé et al., 1992 ; Mariotti et Peterschmitt, 1994 ; Boutton et al., 1998). Dans le cas du Quaternaire récent, la datation de ces MOS dans les profils par la

méthode du 14C donne des indications sur la durée des périodes successives.

Les variations de la composition isotopique dans les profils permettent de comprendre le cycle du carbone dans les sols. Le temps de résidence de la matière organique peut ainsi être déterminé grâce à l’évolution du rapport 13C/12C dans un écosystème où l’on a observé un changement de végétation du type C3 au type C4 ou inversement (Cerri et al.,

IV-1-3 – CO2 du sol

Le CO2 gazeux contenu dans le sol présente des valeurs de δ13C beaucoup plus appauvries que celles de l’atmosphère libre. Le CO2 du sol a plusieurs origines : la dégradation de la matière organique, la respiration des racines et des microorganismes, et le CO2 atmosphérique (Galimov, 1966). Par conséquent, les valeurs de δ13C du CO2 du sol sont comprises entre - 25‰ et - 9‰ selon la proportion des matières organiques issues de plantes en C3 et en C4 dans le bassin. De même, les pressions partielles de CO2 dans les sols sont en général beaucoup plus fortes que celles de l’atmosphère, dues à ces processus de respiration et d’oxydation du carbone organique. Rightmire (1978) ainsi que Solomon et Cerling (1987) ont montré que la pCO2 et le δ13C de ce CO2 dans les sols varient de façon saisonnière. En effet, durant la période hivernale, lorsque l’activité biologique est réduite, les pCO2 dans les sols sont plus faibles ; ensuite, les pCO2 augmentent à nouveau lors du printemps et pendant la saison estivale. Pour la signature isotopique du CO2, on observe des valeurs de δ13C moins négatives en hiver (contribution moins importante du CO2 biogénique et plus importante de l’atmosphère) qu’en été (reprise de l’activité biologique). Plusieurs études ont utilisé le δ13C du CO2 des sols pour comprendre l’évolution du CO2 dissous dans le système des eaux souterraines (Rightmire et Hanshaw, 1973 ; Fritz et al., 1978 ; Reardon et al., 1979).

IV–2 – Sources et transformations du carbone dans les cours d’eau

Sur un même bassin, le CID, le COD et le COP peuvent subir des transformations, soit au cours des transferts de carbone des sols vers les eaux, soit de l’amont vers l’aval dans la rivière. La valeur du δ13C peut ainsi notablement varier sur un même cours d’eau, du fait de l’intervention de processus biogéochimiques (oxydation de la matière organique, photosynthèse et respiration du phytoplancton, échanges avec l’atmosphère, dissolution ou précipitation des minéraux carbonatés), induisant un fractionnement isotopique du carbone (Yang et al., 1996 ; Barth et al., 1998 ; Telmer et Veizer, 1999; Barth et Veizer, 1999;

Amiotte-Suchet et al., 1999 ; Helié et al., 2002 ).

L’oxydation et la respiration provoquent un accroissement des concentrations en CID et donc une diminution du rapport δ13C, en relation avec la production de CO2. En milieu tropical, sur les grands bassins de l’Amazone (Longinelli et Edmond, 1983) et de l’Orénoque (Tan et Edmond, 1993), le δ13CCID indique, avec des valeurs annuelles moyennes de l’ordre de –20‰, un très fort contrôle par les processus de respiration et de dégradation de matière organique.

32 Les échanges avec l’atmosphère dépendent de la pression partielle en CO2 (pCO2) de la rivière ; généralement, il se produit un dégazage de la rivière (où pCO2 est plus élevée, de l’ordre de 10-2.5 atm) vers l’atmosphère (où pCO2 est d’environ 10–3.5 atm) ; de la sorte, la signature isotopique du CID tend à s’équilibrer avec celle du CO2 atmosphérique, du fait d’un départ préférentiel de la fraction légère vers l’atmosphère. D’autres études montrent que ces échanges avec le CO2 atmosphérique sont plus efficaces dans les grands fleuves, ce qui permet d’observer un signal isotopique plus négatif dans les affluents par rapport au fleuve principal (Longinelli et Edmond, 1983 ; Buhl et al., 1991 ; Taylor et Fox, 1996 ; Atekwana et

Krishnamurthy, 1998). De même, dans les lacs, où le temps de résidence de l’eau est assez long, le CID tend vers un équilibre isotopique avec le CO2 atmosphérique (Yang et al., 1996).

Kendall et al. (1992) montrent à partir de l’étude de deux petits bassins versants

monolithologiques des Etats Unis que le δ13CCID permet de distinguer la contribution du CID venant de la dissolution des carbonates de celle du CID provenant de l’hydrolyse des minéraux silicatés. Cette signature isotopique des minéraux carbonatés a été mise en évidence sur différents bassins (Dandurand et al., 1982 ; Pawellek et Veizer, 1994 ; Aucour et al., 1999

; Barth et al., 2003). Des études sur les isotopes du carbone ont par ailleurs été réalisées sur le

petit versant monolithologique silicaté du Strengbach, dans les Vosges (Amiotte-Suchet et al.,

1999), permettant de mettre en évidence la contribution des nappes de bas-fond et de versant à l’écoulement du ruisseau.

Si l’étude des rapports isotopiques du carbone « minéral » des eaux d’un bassin fournit certaines clés pour une meilleure compréhension des mécanismes régissant le milieu, il s’avère fréquemment que des perturbations sont introduites dans le système du fait de la présence de carbone organique ; il a par exemple été mis en évidence que les valeurs de δ13C du CID ne permettent pas toujours de distinguer les contributions de sous-bassins silicatés et carbonatés, le signal initial étant masqué par des processus biogéochimiques (Brunet et al.,

2005). Il apparaît donc que les échanges et les transformations du carbone sous ses différentes formes sont très complexes, du fait de la multiplicité des paramètres à prendre en considération (composition des roches et des sols, type de végétation, vitesse de l’altération et de l’érosion, intensité de l’activité microbiologique, pressions partielles en CO2 dans les sols et les cours d’eau…).

CHAPITRE II