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Echantillon. Nous avons interviewé 24 utilisateurs, dont 9 femmes et 15 hommes, âgés de 16 à 56 ans. Comme dans toute enquête qualitative exploratoire, cet échantillon ne prétend pas à la représentativité statistique mais permet de présenter une variété de profils, de motivations et de trajectoires par rapport à la cigarette électronique. Une attention particulière a été accordée aux jeunes utilisateurs (moins de 26 ans) à la demande du commanditaire de l’étude.

Rapport au tabac. A une exception près132, tous les utilisateurs rencontrés sont fumeurs ou anciens fumeurs. La plupart d’entre eux ont tenté (parfois à de nombreuses reprises) de diminuer ou d’arrêter leur consommation de tabac. Plusieurs en revanche n’ont jamais rien tenté dans ce sens avant la cigarette électronique, soit qu’ils ne s’en sentaient pas capables, soit qu’ils n’en éprouvaient pas le besoin, le désir. Enfin, une seule des personnes rencontrées avait arrêté le tabac par d’autres moyens et s’est appuyée sur la cigarette électronique à deux reprises pour prévenir une rechute.

Motivations. Les motivations qui les ont conduits à s’intéresser à la cigarette électronique sont d’abord et avant tout liées à des préoccupations pour leur santé.

La dangerosité du tabac est désormais fortement ancrée dans leurs consciences et s’accompagne, y compris chez les fumeurs, d’un discours globalement très négatif sur cette pratique. Seule semble encore subsister la notion de convivialité associée au

« partage » d’une clope que ce soit sur le lieu de travail ou en contexte festif. Il

131 CNIL (2014), « Le corps, nouvel objet connecté, du quantified self à la M-Santé : les nouveaux territoires de la mise en données du monde. La santé et le bien-être dans un monde numérique », Cahiers Innovation et Prospective n°2

132 Voir « Un profil atypique » page 134

ressort de l’ensemble des témoignages, tous profils confondus, un grand intérêt pour une façon de fumer « plus saine », « sans les inconvénients », qu’il s’agisse des désagréments quotidiens (mauvaise odeur, mauvaise haleine, brunissement des doigts et des dents, gêne pour les non fumeurs, toux et maux de tête…) ou des risques sanitaires plus sérieux désormais parfaitement connus de tous les fumeurs (cancers et pathologies lourdes). Même chez les « gros fumeurs »133 le tabac est en disgrâce. La cigarette électronique, face à ce tableau, c’est d’abord la perspective de continuer à fumer, mais plus sainement. La toxicité avérée du tabac fumé et la marginalisation progressive de cette pratique rendent d’autant plus attractif ce dispositif.

On note également un discours globalement négatif et une attitude sceptique à l’égard des substituts nicotiniques classiques : on ne s’y intéresse pas et on manque d’informations sur la question, c’est un peu comme si ces éléments ne faisaient pas vraiment partie du paysage. A la lecture des témoignages il apparaît évident que les moyens de substitution classiques sont associés à une image négative contrairement à l’attraction et l’intérêt que suscite la cigarette électronique.

Parmi les personnes interrogées figurent des fumeurs invétérés qui n’ont jamais tenté d’arrêter (et disent ne jamais s’en être sentis capables) et d’autres qui ont multiplié les tentatives d’arrêt en faisant appel à tous les outils disponibles134. Quel que soit le rapport au tabac, tous les témoignages décrivent un sevrage tabagique ou une diminution conséquente de la consommation largement facilités par la cigarette électronique. Là où les tentatives précédentes sont marquées par l’effort, l’échec et les désagréments, la cigarette électronique apparaît pour beaucoup dans un premier temps comme un outil assez « miraculeux ». Plusieurs personnes interrogées rapportent qu’elles ont arrêté de fumer presque « à leur insu », sans s’en rendre compte : « je me suis aperçue que je ne fumais plus » dit Christine, « l’arrêt du tabac a été un constat », explique Tristan.

Pour celles des personnes interrogées qui ont essayé d’arrêter de fumer avant l’apparition de la cigarette électronique, toutes les tentatives se sont soldées par des échecs. De ces expériences elles ne gardent en mémoire que les aspects négatifs : baisse de l’estime de soi, prise de poids, mauvaise humeur, sensation de mal-être, impressions de fournir des efforts démesurés pour « tenir ». Au parcours du combattant que tout fumeur souhaitant arrêter anticipe ou endure, s’oppose le plaisir

133 Un paquet et plus par jour.

134 Substituts nicotiniques vendus en pharmacie, médecines douces, hypnose, consultations en tabacologie…

lié à l’expérimentation d’une nouvelle pratique. La cigarette électronique place l’utilisateur dans une posture totalement opposée à celle adoptée lors d’un sevrage : il ne s’agit pas d’arrêter quelque chose que l’on aime mais de commencer quelque chose, de découvrir de nouvelles sensations.

Positionnements au moment d’essayer la cigarette électronique. Nous avons distingué 4 postures chez les personnes interrogées, au moment où elles expérimentent la cigarette électronique :

 La cigarette électronique est identifiée comme un produit de substitution.

L’objectif est de continuer à fumer, mais « plus sainement ». Ici, il s’agit clairement de troquer une dépendance contre une autre perçue comme infiniment moins dangereuse, plus pratique, plus acceptable.

 La cigarette électronique est envisagée comme un outil de sevrage tabagique.

Ici l’utilisateur vise l’abstinence : il s’agit d’arrêter le tabac en le remplaçant temporairement par la cigarette électronique, vouée à être abandonnée elle aussi. Pour certains qui ont réussi le sevrage, elle est aussi utilisée occasionnellement pour ne pas rechuter. Pour d’autres ce dispositif ne fonctionne pas et il est abandonné.

 La cigarette électronique est considérée comme un moyen de réduire ou de contrôler la consommation de tabac.

L’objectif ici est d’alterner cigarette de tabac et cigarette électronique dans une même journée et/ou dans une même semaine, sans désir de mettre un terme à la consommation de tabac. On constate là aussi qu’au contact de la cigarette électronique, les objectifs évoluent : Sylvie souhaitait arrêter le tabac et maintient finalement un usage mixte pour des raisons pratiques (vapoter quand elle ne peut pas fumer) ; inversement Franck utilise au départ la cigarette électronique uniquement chez son amie non fumeuse et se dirige finalement vers l’abstinence.

 Guidé par la curiosité, l’utilisateur arrête de fumer « par inadvertance » Certains fumeurs n’ont jamais eu l’intention déclarée d’arrêter le tabac et se sont intéressés à la cigarette électronique avant tout par curiosité pour un phénomène nouveau se déroulant sous leurs yeux. Parmi eux les trajectoires sont très différentes, bien que l’histoire commence toujours à peu près de la même manière : ils semblent

arrêter le tabac presque à leur insu. L’utilisateur est lui-même surpris de la disparition très rapide de l’envie de fumer, une envie qu’il croyait jusqu’ici incontrôlable : « ça s’est fait naturellement », « ça n’a pas été une décision d’arrêter de fumer », « je me suis aperçu que je ne fumais plus ». Leur consommation évolue de façon parfois radicalement opposée : si Christine n’a plus touché une cigarette de tabac depuis 3 ans, Tristan a vu sa consommation décuplée après l’abandon de la cigarette électronique.

Le « passage » à la cigarette électronique. Tous les utilisateurs rencontrés décrivent une période de transition entre le tabac et la cigarette électronique.

L’ensemble des personnes rencontrées décrivent un temps d’adaptation à la cigarette électronique et ces descriptions sont très similaires, quels que soient le profil, l’âge ou les motivations des utilisateurs. Ce temps de rencontre et d’apprivoisement d’une nouvelle pratique est relativement court (une quinzaine de jours selon les personnes interrogées) et très souvent le tabac est encore présent, même si sa consommation diminue très rapidement. L’utilisateur découvre le matériel, fait des tests. Cette phase de « réglages » signe son engagement dans cette nouvelle pratique. Elle lui permet d’identifier les différents types de matériel, les dysfonctionnements, les différents e-liquides, d’expérimenter différents dosages en nicotine. Elle vise à « trouver un équilibre satisfaisant ». Au terme de cette première période, de nouvelles habitudes de consommation s’installent et les trajectoires diffèrent : arrêt brutal du tabac, diminution du tabac et maintien d’un usage « mixte » ou abandon de l’objet au terme d’un temps allant de quelques semaines à quelques mois.

Que le tabac disparaisse ou que son usage diminue, ce qui semble dérouter la plupart des utilisateurs c’est le passage d’une habitude qui scande la journée, dotée d’un début et une fin clairement identifiée, à une consommation diffuse et continue qui tend à se faire oublier. Les cigarettes occupent cette fonction de « mesure du temps » en même temps qu’elles sont faciles à comptabiliser : chaque paquet contenant 20 cigarettes, un fumeur peut évaluer aisément, et avec une relative précision sa consommation quotidienne. Cette information ne lui indique pas combien de nicotine il absorbe mais bien souvent les fumeurs ne se posent pas ce type de questions. Le passage à la cigarette électronique implique un tout autre rapport à l’objet, au rythme de consommation et à l’absorption de nicotine. La plupart des utilisateurs « débutants » sont surpris, voire inquiets, de constater qu’ils « vapotent » en continu : « il n’y a pas de début et pas de fin », « je l’ai tout le temps à la main ».

Le fait de vapoter « en continu » peut donner l’impression de perdre le contrôle de sa

consommation, de devenir « plus dépendant ». Les utilisateurs qui persévèrent constatent cependant une autorégulation de ce comportement.

5 des 24 personnes interrogées vapotent des e-liquides sans nicotine et 2 vapotent à 3 mg, qui s’avère proche d’un effet placebo. La majorité se situe entre 6 et 12 mg.

La diminution du taux de nicotine n’est pas toujours un projet car la dépendance à ce psychotrope n’est pas considérée comme un problème : « le problème dans la cigarette c’est le goudron, pas la nicotine » est un discours récurrent. Pour les utilisateurs qui planifient et organisent cette diminution progressive, par paliers, elle semble se dérouler sans difficulté.

Un outil de sevrage tabagique ?

Que les personnes interrogées soient parvenues ou non à arrêter le tabac, certains éléments sont récurrents dans presque tous les témoignages. Les effets négatifs sont relativement rares et fréquemment liés au matériel de mauvaise qualité. Les effets positifs du passage à la cigarette électronique sont en revanche décrits dans tous les entretiens et accroissent la satisfaction procurée par la découverte de cet objet.

L’impression de ne pas faire d’effort pour arrêter ou diminuer drastiquement le tabac, le fait de rester inclus dans le groupe « des fumeurs » et de ne pas abandonner cette sociabilité, l’absence de prise de poids qui accompagne généralement l’arrêt du tabac sont des éléments récurrents. Mais apparaissent également : la sensation d’une dépendance moins forte, plus acceptable ; plusieurs des personnes rencontrées parlent d’un vrai dégoût à l’égard du tabac, qui leur devient insupportable (ils semblent en être les premiers surpris) ; une estime de soi renforcée par cette prise de distance avec le tabac et la disparition du sentiment de culpabilité lié à sa consommation.

Les expériences des utilisateurs que nous avons rencontrés se répartissent selon 3 scénarios :

 L’abandon du tabac

11 personnes interrogées sur 24 ont « réussi » leur sevrage tabagique : ils ne fument plus ou très exceptionnellement135. Nous incluons dans ce comptage Virginie,

135 Rappelons également la présence de Georges, 24 ans, unique non fumeur de l’échantillon, et que nous ne comptons pas parmi les utilisateurs ayant « réussi » leur sevrage.

38 ans, qui était sevrée du tabac avant d’essayer la cigarette électronique mais lui attribue le maintien de son abstinence.

 Le maintien d’un usage mixte

6 des 24 personnes interrogées continuent de fumer du tabac tout en ayant recours à la cigarette électronique au moment de l’entretien. Dans cette catégorie de « vapo-fumeurs » on recense cependant des pratiques et des motivations très différentes.

Certains fument et vapotent au cours d’une même journée, d’autres ne fument une cigarette que très occasionnellement environ une fois par semaine (mais cette consommation de tabac est irrégulière et souvent liée au contexte), d’autres enfin comme Jo-Wilfried (27 ans), vapotent pendant plusieurs mois puis « rechutent » et reprennent le tabac pendant les mois suivants. Jo-Wilfried alterne ainsi au cours d’une même année cigarette électronique et cigarette classique, mais il n’utilise jamais les deux en même temps.

 L’abandon de la cigarette électronique

Parmi les 24 personnes interrogées, 6 avaient repris le tabac et abandonné la cigarette électronique au moment de l’entretien. 4 d’entre elles ont moins de 26 ans et n’ont fait qu’expérimenter le dispositif par « curiosité »136. Pour Tristan (53 ans) et Nathalie (40 ans) en revanche, la cigarette électronique s’est avéré un échec. Tristan abandonne au bout de 18 mois, Nathalie au bout de 3 mois. Ils constatent tous deux que leur consommation de tabac a augmenté après l’arrêt de la cigarette électronique.

Représentations sur la dangerosité de la cigarette électronique :