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5.3. Changer l’opinion public : principales pratiques militantes

5.3.4. Utilisation des espaces publics : La rue, la nuit, femmes sans peur

La première édition de la marche militante La rue, la nuit, femmes sans peur est produite en automne 1980. Annuelle, la manifestation regroupe des centaines de femmes dans plusieurs villes du Québec pour dénoncer les violences faites contre les femmes et revendiquer le droit de marcher dans la rue en toute sécurité et ce, sans protecteurs. Elle est produite grâce à la collaboration d’une multitude de groupes de femmes10, suivant l’idée initiale de groupes

10 Par exemple, en 1981, la marche de Montréal est faite en collaboration avec ces groupes : Le MCVI, Des luttes

et des rires de femmes, Assistance aux femmes, l’Alliance des infirmières de Montréal, Action-travail des femmes, l’Association pour la défense des droits du personnel domestique à Montréal, l’Auberge Transition (refuge pour

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féministes états-uniens, coordonné par le Regroupement québécois des Centres contre le viol dans la province et en relation avec les autres Centres d’aide canadiens. Des groupes de femmes viennent éventuellement à y participer à l’extérieur de l’Amérique du Nord, alors qu’un contact est établi avec la France, la Belgique et la Suisse par le Regroupement québécois.

« […] nous rejoignons votre préoccupation d’affirmer le droit des femmes à vivre librement, sans crainte et surtout sans la menace d’être atteintes physiquement et psychologiquement par des abus de pouvoir d’un mari, d’un conjoint, d’un ami, d’un frère ou d’un étranger », écrit le

Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition en 1981 pour exprimer

son support à la démarche des Centres d’aide contre le viol. L’appui du Conseil du statut de la femme, de la ministre de la condition féminine Pauline Marois et du ministre des affaires sociales Pierre-Marc Johnson est également sollicité par les manifestantes, ce qui en fait l’une des activités de revendication où les militantes féministes font appel aux structures institutionnelles de grande envergure – le gouvernement, dans ce cas-ci – pour leur demander d’adopter leur cause.

Les marches se déroulent le soir. Les femmes sont les seules à pouvoir marcher dans la rue; les conjoints et amis sont invités à les supporter en restant sur les trottoirs ou en s’occupant des enfants pour la durée de l’événement. Les parcours passent par des endroits « […] où l’on se fait suivre et agresser, où l’on a peur de passer seule pendant la nuit, devant les bars et les cafés où l’on n’aime pas aller seule parce qu’on y est harcelée ». Dans plusieurs cas, les manifestantes s’arrêtent pour scander des slogans devant des établissements pornographiques, que ce soit des bars de danseuses nues ou des salles de cinéma adulte.

femmes), le Centre de santé des femmes du quartier, le Centre d’information et de référence pour femmes (RAIF), Chez Doris (refuge pour femmes), le Collectif d’information et d’animation juridique, le Comité de la condition féminine de la C.S.N., le Comité-femmes du cégep du Vieux-Montréal, le Comité-femmes du cégep Maisonneuve, le Comité-femmes de L’UQAM, la Fédération québécoise des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ), La Vie en rose, les Éditions de la Pleine Lune, les Éditions de Remue-Ménage, les Presses de la santé de Montréal, Le Théâtre expérimental des femmes de Montréal, la Librairie Androgyne, la Librairie des femmes d’ici, la Ligue des femmes du Québec, la Maison l’Esplanade (refuge pour femmes), Wendo-Québec, le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes et enfants et Service aux familles.

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Le thème de la peur est au centre des revendications. La crainte de vivre des violences sexuelles est présentée une réalité pour toutes les femmes, un fait qui handicape les femmes en limitant leurs possibilités de mouvement et en leur faisait miroiter leur faiblesse supposée.

« La peur, ce sentiment qui nous rend si prudentes et méfiantes envers les hommes, dans les rues, au travail et souvent même à la maison nous renvoie interminablement à cette image de nous-mêmes d’êtres faibles, sans ressources, ayant besoin de protection. Cette perception de nous-mêmes que nous avons intériorisée nous maintient dans un état d’impuissance face au viol et nous le fait accepter comme une fatalité. Nous pouvons faire le choix de réagir tous les jours à toutes les formes d’agressions verbales ou physiques qui nous sont imposées. Il s’agit de faire respecter notre espace, de prendre

notre place. Sortir dans la rue, la nuit, avec d’autres femmes, c’est poser un acte de réappropriation individuelle et collective de l’espace. »

Tiré du texte d’une conférence de presse pour la marche de 1981 (je mets en gras)

La manifestation est une autre des pratiques féministes qui, comme le Wen Do, leur permet d’employer leurs corps comme lieux de résistance aux violences qu’elles subissent. C’est en se mobilisant ensemble, en occupant physiquement la rue, que les femmes se dressent contre les oppressions qu’elles perçoivent. Elles montrent qu’une femme a le droit d’investir les espaces publics et que, par la force du nombre, elle peut le faire de façon sécuritaire. Elles performent, dans tous les sens du terme, une féminité libérée des contraintes spatiales imposées aux femmes par le moyen de la peur. Par la force du nombre, les manifestantes défient les conventions qui régissent leurs agissements : elles refusent de performer « adéquatement » leur genre. Ainsi, présentent une performance corporelle alternative.

Le message que les groupes féministes expriment est qu’une femme qui marche seule dans la rue, le soir, ne doit pas être considérée comme une victime potentielle se mettant elle-même à risque d’agression, mais plutôt une personne libre de circuler dans les espaces publics. Il y a un transfert de fardeau de responsabilité, comme la faute d’une agression n’est donc pas sur la femme et ses comportements, lesquels sont légitimes. C’est une reprise de pouvoir pour les manifestantes.

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Figure 20. La rue, la nuit, femmes sans

peur. Photo du MCVI, 1982

Figure 21. La rue, la nuit, femmes sans peur. Photo du Centre d’aide de Trois-Rivières, 1981.

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