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3.   Partie  empirique

3.1.   Analyse  socio-­‐spatiale  de  la  place  du  Marché

3.1.5.   Usages  quotidiens  d’un  espace  festivalisé

Le chapitre précédent a permis de mettre en lumière la stratégie adoptée par la ville pour redynamiser son centre – par la tenue d’événements d’ordre public – et la manière dont elle s’inscrit dans la forme et la composition de la place. C’est à présent sur les relations entre cet espace festivalisé et les activités ordinaires, en dehors des moments consacrés aux événements extraordinaires, que je me concentre. Si l’espace fournit les qualités nécessaires à la festivalisation voulue de cet espace, comment ces qualités interagissent-elles au quotidien avec les pratiques des citadins ? Comment ces qualités influencent-elles leur pratique spatiale ?

Outre la tenue d’événements publics, l’analyse des objectifs poursuivis par le réaménagement de cette place met également en avant le fait que les concepteurs avaient pour ambition de créer un espace où il fait bon flâner et passer du temps :

« le centre devrait inviter à s’y s'attarder, simplement d’y être, présenter une

grande «densité de population», servir de point de rencontre et de lieu de contact entre les gens […] »3 (Gestaltug Zentrum Grenchen. Testplannung, Bericht der Beurteilung, 1997)

« On devrait aussi pouvoir prendre une chaise ou autre et s’installer sur la place

pour lire, ou je ne sais quoi » (C. Barbey, directeur des travaux publics à la ville

de Granges).

Les observations mettent en évidence un élément fondamental dans le fonctionnement de cette place : son rôle de carrefour. La place du Marché permet avant tout de distribuer les piétons, qui ne s’arrêtent que très peu sur la place elle même.

C’est l’observation des flux de personnes sur la place du Marché qui fournit ici les éléments empiriques sur lesquels repose mon propos. Les cheminements employés

3 Traduit par l’auteur. Extrait original : « das zentrum sollte zum Sein und Verweilen einladen, eine grosse “Personendichte” aufweisen, als Treffpunk und Kontaktörtlichkeit dienen […] » (Gestaltug Zentrum Grenchen. Testplannung, Bericht der Beurteilung, 1997)

par les usagers pour se déplacer dans cet espace permettent d’identifier trois trajectoires de croisée principales. La première manière de se déplacer sur la place du Marché est de longer la place sur son flanc

droit. Le corridor formé par la surface en bitume constitue alors un véritable couloir qui structure les déplacements des piétons. A l’opposé, les gens marchent également aux abords de la place, soit pour rejoindre la Rainstrasse, soit pour sortir par l’extrémité nord de la place. Les passants semblent alors repoussés vers les bords de la place, ce qui laisse apparaître l’espace créé par les dalles jaunes (voire croquis) comme délaissé par les usagers.

Un troisième chemin de traverse est celui qui mène de la Marktstrasse à la Rainstrasse ; les piétons traversent alors la place en diagonale, juste au dessus de la fontaine.

Observer et décrire les flux de personnes, c’est aussi observer et décrire les moments ou les personnes s’arrêtent : marcher en milieu urbain signifie aussi s’arrêter pour regarder une vitrine, changer de direction, attendre, chercher quelque chose dans son sac, etc. De façon générale, ces petits moments d’arrêts sont rares sur la place du Marché. En effet, les piétons ont tendance à traverser la place d’un seul trait.

Outre les flux et les micros-arrêts engendrés par les déplacements, cette analyse est complétée par les observations relevant du séjour urbain, dont la principale incarnation sur la place est l’utilisation des bancs publics. La fréquence d’utilisation des bancs et le temps passé sur les bancs sont alors ici les critères sur lesquels se fonde le propos qui suit. Sur la place, le séjour urbain se limite essentiellement à des pauses de midi relativement courtes, pour manger. En dehors de cela, la fonction de séjour est alors assumée par d’autres espaces, situés non loin de la place du Marché elle-même.

Fig. 16 : Croquis des principaux flux

En effet, le dysfonctionnement de la place du Marché comme lieu de séjour urbain est à mettre en perspective avec la place adjacente que constitue la place du Temps. Cette place, malgré son nom, est avant tout amenée à jouer le rôle de couloir : sa forme et son orientation, tout comme le passage piéton dont elle est dotée, témoignent de ce rôle particulier. Elle ne prend pas véritablement la forme d’une place, et est censée opérer comme interface entre la place du Marché et le chemin qui mène à la gare Granges-sud. Les quelques bancs installés sur la place de temps (orientés dans l’axe de la circulation piétonne) sont en revanche bien plus occupés que ceux de la place du Marché : le temps d’occupation - même si très variable - est généralement plus long, de même que la rotation des occupants est bien plus importante. Tout au long de la journée et principalement dans l’après-midi, plus de gens s’assoient sur ces bancs, où ils restent plus longtemps.

Pour résumer, la place du Marché ne parvient pas réellement à « retenir » les gens qui la traversent. Elle ne remplit donc pas véritablement son rôle de lieu de séjour, mais s’impose d’avantage comme zone de transit. Les fonctions de séjour sont alors reportées sur les espaces adjacents. Il semble ainsi que la création d’un espace ou plateforme de possibilités, censés pouvoir accueillir à la fois des manifestations publiques et fournir un lieu de séjour, peut susciter des perturbations dans le fonctionnement au quotidien de cet espace.

En effet, les entretiens avec les concepteurs ont en outre permis de mettre en évidence l’accueil mitigé de la place par les citadins. Qualifiée de « vide », « nue » et « dure » par les habitants de Granges, cette place est perçue comme peu accueillante par les citadins, ce qui en limite l’usage comme lieu de séjour urbain. Ce manque de convivialité peut être interprété à l’aune des éléments énoncé ci-dessus, soit de la volonté des destinateurs de garder une place dégagés, issue des impératifs liés à la création d’un espace festivalisé.

3.2. Confrontation entre fonction, forme et usages des dispositifs