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3.   Partie  empirique

3.1.   Analyse  socio-­‐spatiale  de  la  place  du  Marché

3.1.4.   Multifonctionnalité  et  festivalisation  de  la  place

La place du Marché d’avant les travaux est décrite comme un lieu « encombré par

les voitures, du mobilier urbain et autres infrastructures » (J.Iseli, acrhitecte-urbaniste

à la Ville de Granges) par les concepteurs, Le projet de la Ville avait pour ambition de « débarrasser cette place » et de la « ranger » (« aufräumen »), (C. Barbey, directeur des travaux publics à la Ville de Granges). Par les interventions urbanistiques, la volonté était avant tout de créer un espace dégagé pour les habitants, un espace pour le public. Dans une conception plus large, les autorités avaient pour volonté de recréer une centralité, ou du moins de dynamiser leur centre-ville, afin d’éviter que les habitants de la ville de Granges ne partent vers d’autres centres urbains (Soleure ou Bienne), notamment pour faire leur courses et flâner en ville

Les entretiens menés et l’analyse documentaire révèlent que la notion de « multifonctionnalité » est chère tant aux urbanistes qu’aux architectes pour définir le concept de la place du Marché. Le caractère multifonctionnel est perçu par les concepteurs comme un moyen permettant d’atteindre les objectifs de fréquentation et d’usage de la place.

Une analyse de ce que la notion recouvre chez les concepteurs met en évidence le caractère essentiellement événementiel de la multifonctionnalité : plutôt que la capacité à accueillir une multitude de fonctions et usages divers, la place doit, semble-t-il pouvoir accueillir des événements de nature diverse : la multifonctionnalité telle qu’entendue par les concepteurs renvoie à la possibilité pour la place du Marché de faire office de scène publique à la fois pour des fêtes populaires, marchés alimentaires et marchés de biens (brocante, vélos de seconde mains, vide greniers), événements politiques, concerts, etc. La tenue de ce type d’événements inscrit cette démarche dans le processus de festivalisation de l’espace public décrit par Zepf (1999). Ce processus renvoie à « l’augmentation et la plus

3). Il peut être appréhendé comme véritable stratégie, visant à dynamiser le centre-ville de Granges. Les autorités parient en effet sur ce genre de manifestations pour animer et revitaliser son centre-ville. D’ailleurs, aux yeux des urbanistes, ce type d’événements est encore trop rare à Granges.

C’est cependant une dimension plus fondamentale encore qui s’illustre dans le cas de la place du Marché de Granges : l’impact et les effets de la festivalisation sur la conception et la forme de l’espace public lui-même. Conformément aux besoins définis par la Ville, identifiables dans les conditions du concours organisé pour le réaménagement de la place du Marché, le projet lauréat propose une véritable scène pour la tenue d’évènements publics. L’espace créé par les dalles jaunes se caractérise avant tout par l’absence de verticalité venant gêner la mise de place de toute forme de structures éphémères nécessaires pour les diverses manifestations (tentes, estrades, manèges, etc.) :

- L’éclairage est assuré par des lampes tendues au-dessus de la place, de façon à éviter d’avoir recours à des lampadaires sur l’espace même de la place. Il assure un éclairage simple et homogène de la place, sans effets particuliers.

- Les arbres ont été sciemment placés à l’extrémité nord de la place, et en-dehors de la place, sur les côtés.

- L’ornement floral est assuré par des dispositifs amovibles.

- Le « Stadtdach » est un toit porté par un mat central, de façon à limiter le nombre d’éléments de portance et l’emprise au sol.

- Les panneaux publicitaires sont situés aux abords nord-ouest de la place.

De plus, aucun autre mobilier n’occupe l’espace central de la place (statue, bancs, poubelles, toilettes, cabine téléphonique, etc.). La place se présente comme entièrement vide, ce qui est un parti pris assumé par les concepteurs : « le concept

de base, le thème était un espace dégagé» (Claude Barbey, directeur des travaux

publics à la Ville de Granges). De plus, comme l’ont révélé les entretiens, les urbanistes et architectes demeurent fidèles à leur projet initial, et tiennent absolument à garder cet espace dégagé et refusent d’ « encombrer » la place. Ainsi,

aucune pièce d’aménagement fixe n’empêche le montage des éléments nécessaires lors de la tenue d’événements.

Dans le cas de la place du Marché de Granges, la stratégie de festivalisation de l’espace public ne fait pas uniquement référence à la volonté de la part des autorités de multiplier les événements. Toute la composition de la place est dictée par les besoins de ces manifestations socio-culturelles. Ainsi, le réaménagement de la place du Marché intègre la stratégie de la festivalisation au cœur même de la composition et des éléments de formes, pour véritablement incarner un espace capable d’accueillir des manifestations événementielles. La festivalisation est donc inscrite dans l’espace même : la morphologie de la place urbaine répond aux besoins d’événement publics et est conçue afin de les optimiser. L’élément d’incarnation par excellence de cette fonction événementielle est le Stadtdach, conçu comme véritable scène urbaine. Il fournit la possibilité de tenir des discours et concerts en plein air et symbolise véritablement l’espace de la place du Marché comme espace de spectacle. De plus, il est orienté face à la place, qui s’incline progressivement vers lui, à l’image d’une salle de concert.

Si le concept de festivalisation tel que proposé par Zepf (1999, 2009) parvient à cerner les stratégies et politiques de valorisation des espaces urbains par l’événementiel, il ne rend pas compte des impacts de cette stratégie sur la composition des ces espaces publics, puisqu’il n’accorde pas d’importance à sa dimension physique, à l’inscription de cette stratégie politique dans la matérialité de l’espace en question.

L’analyse des fonctions et des formes de la place du Marché de Granges proposée dans ce chapitre met alors en évidence le fait que la festivalisation peut produire un espace festivalisé, qui n’est alors pas seulement un espace urbain dans lequel se tiennent des événements festifs, ludiques ou sportifs d’ordre public, mais un espace aménagé en fonction des besoins de cette stratégie.

La question qui se pose alors et de savoir comment un espace urbain festivalisé, conçu comme véritable plateforme de possibilités, comme la place du Marché ici observée, est fréquentée et usée en dehors des ces événements, puisqu’il s’agit

dans ce travail de se focaliser sur les usages ordinaires, sur ce que font les gens la plupart du temps.