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L’usage du leurre, une remise en question du caractère libre et volontaire du mariage

CHAPITRE III : LE MARIAGE FORCÉ, DES ÉLÉMENTS DE DÉFINITION

2. L’usage du leurre, une remise en question du caractère libre et volontaire du mariage

La grande majorité des femmes rencontrées, dont Florence, Élodie et Danaé, ont découvert après coup des informations essentielles sur leur mari qui auraient pu changer la donne si jamais leur famille et elle même en avaient été informées.

Florence a appris après le mariage que son mari vivait et travaillait à l’étranger, et qu’elle resterait, sans son mari, chez sa belle-famille dans le pays d’origine.

Après le mariage, mon mari est parti en voyage à l’étranger. Je suis partie chez mes beaux-parents, je vivais avec eux. Il est revenu un petit peu, je suis tombée enceinte et il est reparti. Je n’ai pas vraiment vécu avec lui. […] Il vient comme une fois par année sinon chaque deux ans. Il fait ce qu’il veut. […] Je ne comprenais pas, il y avait plein de choses qui se passaient. J’ai continué d’avoir des enfants, mais je n’ai pas vraiment eu de vie de couple. Des fois, je suis allée là-bas, où il habitait. Ma famille ne savait pas tout ça, moi non plus. On a su après le mariage. En fait, il voulait laisser quelqu’un pour ses parents.

Selon les dires de Florence, son mari n’avait pas réellement l’intention de cohabiter avec elle. Il cherchait avant tout, à assurer sa descendance et s’assurer la présence d’une personne qui s’occupe de ses parents. Florence n’avait pas connaissance des activités de son mari à l’étranger. Lui était libre tandis qu’elle était, selon ses propos, sous le joug de sa belle-famille. Élodie, quant à elle, a découvert que la belle-famille avait caché les réelles occupations professionnelles de son mari ou plutôt son inactivité :

Il a caché beaucoup de réalités. Il avait dit qu’il magasinait des bijoux et tout ça, mais ça aussi ce n’était pas vrai. J’ai découvert qu’il ne faisait rien de toute la journée, il est juste en train de se droguer ou passer le temps avec ses amis.

Précédemment, il a été montré l’importance du statut social et de la capacité du mari à subvenir aux besoins de son foyer dans la conception patriarcale du mariage, essentiellement à

la base des mariages arrangés, voire forcés. En mentant sur les activités de son fils, la belle- famille a pu bénéficier de la respectabilité de la famille d’Élodie.

S’agissant de Danaé, son mari n’avait pas l’âge qu’il prétendait avoir, il était beaucoup plus âgé et il n’a pas tenu la promesse faite au père de Danaé concernant la poursuite de ses études.

Personne ne savait sa date de naissance, alors il a dit qu’il avait 28-29 ans, mais ce n’était pas vrai, il était beaucoup plus vieux […] Quand je me suis mariée, mon père se sentait mal parce qu’il savait que j’étais intéressée par mes études, alors il a dit à mon mari : « j’aimerais bien qu’elle continue si c’est possible pour toi, laisse-la continuer ses études » Il [mon mari] a dit : « ne vous inquiétez pas, au Canada, elle fait même une maîtrise, elle va être la meilleure, ne vous inquiétez pas ». Mon père a dit : « Jusqu’à son examen et tout ça, j’aimerais mieux qu’elle reste [chez lui] ». Mon mari : « oui oui oui, pas de problème, elle va rester ici étudier ». Mais dès que le mariage a été fait, le cinquième jour après, mon mari a dit : « Je dois retourner au Canada, pis j’aimerais bien que tu restes avec ma mère ». Mon père m’a laissé aller chez mes beaux-parents et dès que je suis arrivée, ma belle-mère a dit : « Tu es une fille, tu n’as pas besoin d’étudier » […] J’ai arrêté d’aller à l’école.

Comme dans le cas d’Élodie, la belle-famille et le mari dissimulent ou mentent sur des informations qui pourraient compromettre la conclusion du mariage.

Un interviewé, intervenant sociocommunautaire qui reçoit des femmes victimes d’un mariage forcé confirme l’usage manifeste du mensonge, dans le cadre de mariages forcés. La réalité est masquée en vue de conclure le mariage.

Ce n’est pas isolé, j’en ai rencontré beaucoup… assez pour que je me souvienne de plusieurs qui sont venues ici et quand je demande : « Quel est le déclencheur de l’incident ? » Ben c’est parce que monsieur a une autre femme, des enfants ici [au Canada] et elles ne le savaient pas. C’est assez fréquent. (Informateur-clé 8)

Ces propos soulèvent la question du mariage forcé d’hommes qui mentent et se marient alors qu’ils ont déjà une vie conjugale, voire familiale, au Canada ou ailleurs dans le monde. Certaines de nos répondantes, en particulier Léa et Florence, rapportent qu’en fait leurs maris ont cédé à la pression pour faire plaisir à leurs parents, ou bien pour leur laisser quelqu’un

pour s’occuper d’eux. Pour acheter la paix avec leur famille, ces hommes acceptent un mariage qu’ils ne désirent pas et mènent une double vie. Dans ces cas précis, leurs maris ont, eux aussi, été forcés de se marier. Ils laissent leur femme dans le pays d’origine, sous la surveillance des beaux-parents et reviennent de temps en temps pour accomplir leur devoir conjugal et faire en sorte d’avoir des enfants comme cela a été le cas pour Florence. Toutefois, à la différence des femmes et comme il a été vu dans la recension des écrits, ces hommes ont une liberté sexuelle à laquelle les femmes ne pourraient pas prétendre dans une situation similaire.

Ces manœuvres dolosives, que ce soit en cachant la réalité surtout sociale et économique, en ne tenant pas des promesses ou par naïveté des parents d’une des parties, ont quelquefois suffi à sceller le destin des femmes rencontrées. Les différentes dimensions de la classe sociale et économique joue un rôle important dans la conclusion d’un mariage. Les manœuvres dolosives à ce sujet vont parfois avoir une influence sur la position sociale des femmes à leur détriment.