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PARTIE I : ETALEMENT URBAIN ET ECOLOGIE URBAINE : ENJEUX ET METHODES

1.2. Etalement urbain, changements d’usage des sols et changements paysagers

1.2.1. Usage des sols et fragmentation du paysage

1.2.1.1. Du rural à l’urbain : des conversions souvent irréversibles

En tant qu’espace extrêmement anthropisé, la ville est un milieu hautement hétérogène, où les ruptures structurales sont nombreuses, créant ainsi un contexte discontinu et complexe

(Weber, 1995). Le milieu urbain est caractérisé par une grande variété de surfaces, des objets

de taille réduite mais surtout par une grande fréquence spatiale. En effet, on y trouve de petites surfaces minérales, métalliques, chlorophylliennes et hydriques qui se succèdent sur de petites distances (Barles et al., 1999). L’hétérogénéité du milieu urbain ne cesse actuellement de s’accroître sous l’effet d’une urbanisation croissante qui s’exprime par une densification des espaces déjà urbanisés et par une extension des surfaces urbanisées sur le milieu rural. L’artificialisation est un processus qui désigne un sol ou un milieu, un habitat naturel ou semi- naturel qui perd les qualités qui sont celles d'un milieu « naturel », la « naturalité » étant une qualité qui inclut une capacité autoentretenue à abriter une certaine biodiversité, des cycles naturels (cycle du carbone, cycle de l'azote, cycle de l'eau, cycle de l'oxygène, etc.) et biogéochimique (puits de carbone par exemple) (Lecomte, 1999). L'artificialisation des sols s'accompagne généralement d'une perte de capacité d'auto-cicatrisation de la part du milieu qui est alors caractérisé par une moindre « résilience écologique ». Certains milieux artificiels,

tels que certaines carrières n’ayant reçu ni engrais, ni pesticides, peuvent néanmoins abriter des processus caractérisés par un degré élevé de naturalité et peuvent encore jouer un rôle d'habitat de substitution pour une partie des espèces d'une zone biogéographique concernée. Ainsi, le terme « milieux semi-naturels » est utilisé pour désigner certains milieux artificialisés. Toutefois, par souci de clarté, le terme « territoires artificialisés » désignent dans la plupart des études les espaces couverts par les espaces bâtis, les routes et parkings, ainsi que les autres sols artificiels non bâtis (chantiers, décharges, carrières, jardins et pelouses d’agrément) (IFEN, 2006).

L’artificialisation des sols résulte de l’urbanisation au sens large (habitat mais aussi infrastructures de transports et locaux d’entreprises), qui entraîne une destruction des sols en les imperméabilisant (Figure 2.1). Elle s’effectue surtout au détriment des sols agricoles et des surfaces boisées. Les surfaces en eau sont peu affectées par l’urbanisation.

L’artificialisation des sols entraîne des conversions d’usage des sols d’une part et des modifications des espaces non convertis d’autre part. La conversion correspond au remplacement d’une catégorie d’occupation des sols par une autre. Les études portant sur les changements d’occupation des sols représentent les surfaces terrestres par un ensemble d’unités spatiales dont chacune est associée à une catégorie d’occupation des sols – c’est-à- dire une représentation discrète – ou à un ensemble de variables biophysiques continues – c’est-à-dire une représentation continue – (Geist, 2006a). Comparée aux donnés continues, les données discrètes présentent l’avantage de la concision et de la clarté (toute l’information est contenue dans la transition d’une catégorie d’occupation du sol dans une autre), mais elles conduisent à une sur-estimation des conversions d’occupation des sols et négligent les modifications d’occupation des sols. Ces dernières correspondent à des changements subtils au sein d’une même catégorie d’occupation des sols, sans changement d’une catégorie à l’autre (Hubert-Moy, 2004 ; Geist, 2006b). Dans le cadre de l’étalement urbain, les conversions des surfaces naturelles et agricoles vers les surfaces artificialisées sont quasiment irréversibles, tandis que les modifications d’occupation des sols engendrées par l’urbanisation peuvent être réversibles quand elles concernent les espaces agricoles et naturels, les modifications de ces espaces se produisant sous l’influence de la ville.

Les études portant sur l’identification, la mesure et le suivi de l’étalement urbain traitent presque exclusivement des conversions d’occupation des sols, à travers l’analyse des transitions des espaces naturels et agricoles vers les espaces artificialisés. Ceci s’explique par le fait que l’étude des conversions est plus facile à réaliser techniquement, et par l’absence d’informations disponibles sur l’étalement urbain, l’étude des conversions étant un préalable à celle des modifications. Par exemple, L’Agence Européenne de l’Environnement, qui a fait le bilan des changements d’occupation des sols pour 23 pays de l’Union Européenne fait le constat suivant (EEA, 2005 ; Laroche et al., 2006) : 48 % des terres qui ont été artificialisées de 1990 à 2000 étaient des terres arables ou occupées par des cultures permanentes. Les terres les plus affectées par l’artificialisation sont ensuite les pâturages ou les zones agricoles mixtes : 36 %. En revanche, ces dernières représentent les zones les plus artificialisées en Irlande et aux Pays-Bas. Dans les pays du sud de l’Europe on observe une artificialisation plus importante des forêts et des territoires naturels : 35 % au Portugal, 31 % en Espagne et 23 % en Grèce. De 1990 à 2000, environ 800 000 hectares de terres ont été artificialisés dans les 23 pays étudiés, ce qui correspond à une croissance de 6,8 % des surfaces artificialisées. Cette artificialisation est due essentiellement au développement des espaces résidentiels, et des zones industrielles et commerciales.

1.2.1.2. Fragmentation du paysage : processus, facteurs et conséquences

La signification du terme « fragmentation » reste un sujet de discussion dans la littérature scientifique (Collinge, 1996). D’une façon générale, il s’agit de mécanismes entraînant un manque de connectivité qui provoque une altération des processus écologiques (Serrano et

al., 2002). En effet, la fragmentation correspond à une interruption de la continuité de

l’organisation spatiale (Lord et Norton, 1990), et se traduit par une réduction des habitats et leur isolement les uns par rapport aux autres (Clergeau, 2007). Ces derniers peuvent se trouver complètement isolés les uns des autres s’ils ne sont pas reliés par des corridors.

1.2.1.2.1. La fragmentation  une étape du processus de modification de l’habitat naturel

D’une façon générale, la fragmentation implique deux processus concomitants : le morcellement des habitats naturels et la réduction de leur superficie. La fragmentation implique la division d’un objet, appelé « tache » ou habitat en écologie du paysage, en un nombre de petits fragments. Elle est caractérisée à la fois par le nombre et la taille de ces fragments résiduels. En effet, dans un paysage, plus les taches sont petites et dispersées, plus la fragmentation est qualifiée d’importante. Ce phénomène s’accompagne d’une diminution de la superficie de la tache de départ jusqu’à, dans certains cas, sa disparition totale.

Un habitat est un élément du paysage. Il assure la survie des individus d’une espèce en apportant les ressources et les conditions nécessaires à leur reproduction et à leurs déplacements. Comme le rappelle Pereboom (2006), « un habitat est le plus souvent composé

d'une mosaïque de milieux légèrement différents mais qui sont tous favorables à l'espèce en question, même si c'est à des degrés différents, résultant en un gradient d'habitats de sous- optimaux à optimaux ». Sous l'influence de l'homme, de nombreuses espèces sont contraintes

de se réfugier dans des habitats sous-optimaux où elles peuvent survivre, mais sans proliférer

(Miller et Mullette, 1985).

Figure 2.1 : Imperméabilisation des sols et fragmentation du paysage par l’urbanisation (extrait de l’orthophotoplan 1999 centré sur un échangeur de la rocade au Sud de Rennes)



0 100m

La modification de l'habitat est un processus comportant plusieurs étapes (Figure 2.2). Elle peut aller d’une simple perforation à une éradication complète de l'habitat original en passant par un partitionnement en fragments plus ou moins distants les uns des autres (Figures 2.2 et

2.3). Selon Noss et Csuti (1997), le terme « fragmentation de l'habitat » utilisé en biologie de

la conservation implique aussi bien sa destruction que son morcellement. D’après Forman

(1995) et Ward et al., (2007), la fragmentation est l’une des cinq principaux processus

conduisant à l’usure ou la disparition des taches formant un habitat naturel (Figure 2.2). Elle commence par la création de petites taches qui sont incompatibles avec les processus naturels existants de l’habitat original. Ces petites taches agissent à la manière de trouées à l’intérieur de l’habitat original provoquant sa perforation (Figure 2.3). Ces trouées ou taches incompatibles accroissent en taille et deviennent de plus en plus grandes et nombreuses jusqu’à ce qu’elles se joignent et se fusionnent avec les taches voisines et du même type (dissection). A ce stade, la fragmentation se produit quand la distance séparant les taches isolées de l’habitat d’origine augmente et leurs tailles diminuent peu à peu ; ceci aboutit à un rétrécissement de l’habitat naturel (shrinkage). Quand seuls quelques fragments de l’habitat original subsistent, ou quand l’habitat original disparaît complètement (attrition), le paysage devient dominé par l’habitat modifié.

La fragmentation de l'habitat peut être due uniquement à la formation de barrières sans qu'il y ait destruction massive de l'habitat original (Knight et Mitchell, 1997 ; Noss et Csuti, 1997). En fonction de l’ampleur des barrières et des espèces, il en résulte un morcellement de l’habitat en fragments ou morceaux résiduels plus ou moins isolés. Le résultat de la fragmentation est alors un paysage composé d'une matrice, de morceaux ou taches d'habitat résiduels et de corridors (Pereboom, 2006).

Le niveau de fragmentation d’un paysage donné dépend de plusieurs facteurs. Il est fonction du nombre et de la taille des taches, de l’hétérogénéité du paysage (nombre de classes d’occupation du sol prises en compte et leurs relations spatiales), et de la résolution des

Figure 2.2 : Cinq processus (dissection, fragmentation, perforation, shrinkage, attrition) conduisant à une détérioration progressive de la structure spatiale d’une tache d’habitat naturel (Soulé, 1991 ; Forman, 1995 et Ecological Design Manual for Lake County, 2001 in ECFRPC, 2001)

Original habitat patch

5 Processes

Dissection, fragmentation, dissection with perforations, dissection with shrinkage and attrition

transformation

Figure 2.3 : Processus de perforation d’un habitat naturel par formation de trouées (Modifié d’après Morin et Findlay, 1998)

données sources servant au calcul des indicateurs (Rutledge, 2003). Un paysage très fragmenté correspond à un paysage dont les taches sont nombreuses, de petites tailles, de tailles équivalentes, avec un grand nombre de types d’occupation du sol. Ceci suppose l’absence de tache dominante. Par exemple, un paysage dont une seule tache occupe plus de 90 % de la surface totale est moins fragmenté qu’un même paysage ayant le même nombre de taches, le même nombre de types d’occupation du sol mais des taches de même taille. L’augmentation du nombre de classes d’occupation des sols accroît le degré de fragmentation à travers la création de nouvelles taches, tandis que la diminution du nombre de classes d’occupation du sol réduit la fragmentation par perte de certaines classes minoritaires

(Turner et al., 1989 ; Turner, 1990).

Le niveau de fragmentation dépend aussi de la résolution des données utilisées pour la mesurer : plus la résolution des données est importante, plus on arrive à détecter des objets de petites tailles ; par conséquent, une augmentation de la résolution diminue la taille de la plus petite tache détectée et augmente le nombre de taches (Turner et al., 1989). La résolution des données affecte également la mesure de la superficie et la lisière des taches. Par conséquent, les valeurs des indices de mesure de la fragmentation, en particulier ceux liés au concept de forme, se trouvent influencées par les données utilisées pour les mesurer (Benson et

MacKenzie, 1995).

1.2.1.2.2. Les facteurs de la fragmentation des paysages

Les trois principales causes de fragmentation de l’espace les plus citées en bibliographie sont les suivantes (Serrano et al., 2002 ; Van der Zonde et al., 1980 ; Mader, 1984 ; Fahrig et

Merriam, 1994) : l’agriculture, notamment l’agriculture intensive et les opérations de

remembrement, le développement des réseaux de transport et des infrastructures routières associées et enfin l’urbanisation croissante. Cette dernière inclue essentiellement le bâti résidentiel, les zones d’activités et toutes autres opérations d’aménagement du territoire. Plusieurs études ont montré que ces activités altèrent la structure du paysage et, par conséquent, les processus écologiques qui y sont associés (Saunders et al., 1991 ; Merriam

and Wegner, 1992 ; Collinge, 1996 ; Fahrig and Grez 1996 ; Wigley and Roberts 1997 ; Laurance et al., 1998 ; Scott, 1999).

1.2.1.2.3. Les conséquences de la fragmentation des paysages sur la biodiversité

« Le morcellement du paysage est considéré comme l’une des principales causes du recul des

populations animales, des menaces qui affectent la biodiversité, ainsi que de la réduction des espaces de délassement en Europe centrale. Il dégrade aussi la spécificité et le caractère des paysages, ainsi que leur qualité pour les loisirs » (Jaeger et al., 2007). L’Agence Européenne

pour l’Environnement, dans son récent rapport « L’étalement urbain en Europe – un défi

environnemental ignoré », insiste sur l’urgence de lutter contre le mitage et le morcellement

croissant du territoire. Ainsi, la fragmentation de l’habitat naturel, généralement d’origine anthropique, provoque la conversion de l’usage des sols et accélère les pertes de biodiversité

(Ehrlich, 1988 ; Liu et Ashton, 1998). La fragmentation des habitats est d’ailleurs

considérée par la communauté scientifique comme l’une des premières causes d'atteinte à la biodiversité.

Les deux processus de la fragmentation, à savoir le morcellement et la réduction de la superficie des taches d’habitat, affaiblissent la capacité à pourvoir les ressources nécessaires pour les espèces (carrying capacity) d’une part, et favorisent l’isolement des populations

d’autre part. Le processus de fragmentation se traduit par une dégradation progressive des unités écologiques « naturelles » et leur découpage en unités de petite taille. Elle sépare les unités fonctionnelles de l’habitat d’une espèce et isole les populations. Les axes routiers et les tronçons ferroviaires représentent de véritables obstacles souvent infranchissables (Figure

2.4). Pour les petits animaux et les insectes qui ne peuvent voler, même les routes locales peu

fréquentées constituent des barrières. Le phénomène de fragmentation favorise la perte d’énergie dans le déplacement et augmente le risque de mortalité pour certaines espèces à faibles capacités locomotrices. Ceci entraîne une diminution du nombre d'espèces ou d'individus par espèce (Douglas et al., 2000 ; Pimm et al., 1988). D’après Pereboom (2006), la modification du rapport entre le périmètre et la surface augmente la densité relative des lisières. Toujours selon le même auteur, ceci peut entraîner une modification de la composition en espèces de chaque morceau résiduel. En général, cette modification se fait au détriment des espèces les plus spécialisées. Cités par Pereboom (2006) ; Noss et Csuti (1997) soulignent que le degré de fragmentation dépend entièrement de l'échelle à laquelle on se situe, c'est-à-dire de l'espèce à laquelle on s'intéresse.

Néanmoins, l’impact de la fragmentation sur la diversité reste complexe et dépend de plusieurs critères tels que l’échelle spatio-temporelle retenue et l’espèce à étudier. En effet, « the impact of fragmentation on diversity may be negative or positive, depending on the

spatial scale, the temporal scale, and the type of organism involved » (Olff et Ritchie, 2002).

Ainsi, si la fragmentation provoque un isolement des habitats les uns des autres et une réduction de chacune des entités d’habitat, et par conséquent réduit la capacité d’accueil des populations viables et en particulier les espèces spécialistes, elle peut néanmoins être favorable à certaines espèces (Clergeau, 2007). C’est le cas par exemple des espèces généralistes (corneille noire, ronce commune) souvent de lisières. Ces dernières sont d’autant plus nombreuses que les habitats sont fragmentés. En outre, l’isolement des taches les unes par rapports aux autres ne se présente pas comme une contrainte pour toutes les espèces. En effet, les espèces dont les capacités locomotrices sont élevées peuvent se déplacer facilement entre les habitats en s’affranchissant plus ou moins de la distance (Clergeau, 2007). On peut

Figure 2.4 : Exemple d’évolution du processus de fragmentation et de disparition des espaces naturels du fait de l’urbanisation. On observe le rôle du réseau routier dans la dissection des taches d’habitat et son effet barrière et la perforation par les taches artificialisées (Extrait d’un quartier périphérique au Sud de Rennes, La Poterie)

500 m Voirie Bâti Surfaces en herbe Surfaces boisées Cultures 1952 1978 1999



citer l’exemple des animaux volants tels que la fauvette à tête noire ou le bourdon des pierres. Ainsi, les caractéristiques d’une espèce ou d’un groupe d’espèces font que chaque espèce réagit différemment à l’organisation du paysage.