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Aux urnes, citoyens !

Dans le document CITOYENS ! AUX URNES (Page 118-122)

Libération, 19 mai 2014 Dimanche prochain, les citoyens européens pourront changer l’Europe en portant Martin Schulz à la tête de la Commission.

C’est en tout cas ce que proclament fièrement les professions de foi des candidats socialistes, en oubliant un peu vite qu’ils sont déjà au pouvoir en France. Alors, va-t-on vraiment changer l’Eu-rope dimanche ? Disons que cette élection contient un poten-tiel de changement et de transformation qui est sans doute plus important que celui de toutes les élections européennes précédentes. Pour la première fois, le vote aura peut-être une influence directe sur le choix du président de la Commission.

Si les listes socialistes arrivent clairement en tête, alors les chefs d’État n’auront d’autre choix que de proposer Martin Schulz à l’approbation du Parlement européen. À l’inverse, si les listes de droite et de centre droit dominent nettement, ils désigneront Jean-Claude Juncker. Schulz, social-démocrate solide et sincère, face à Juncker, ex-dirigeant inamovible du Luxembourg, paradis fiscal niché au cœur de l’Europe, qui bloque depuis des années toute tentative pour mettre en place les transmissions automa-tiques d’information bancaire. Le choix est dans le fond assez simple, et mérite amplement qu’on se déplace dimanche, sauf si on a vraiment des choses très importantes à faire.

auxurnes citoyens!

Pourtant, il faudra bien plus qu’un vote pour Schulz pour changer l’Europe. Le bilan de la gestion de la crise est cala-miteux : en 2013-2014, la croissance est quasi nulle en zone euro, alors qu’elle est nettement repartie aux États-Unis et au Royaume-Uni. Pourquoi avons-nous transformé une crise de la dette publique, laquelle au départ de l’action était tout aussi élevée outre-Atlantique et outre-Manche, en crise de défiance envers la zone euro, qui risque fort de nous enfermer dans une longue stagnation ? Parce que nos institutions com-munes sont défaillantes. Pour renouer avec la croissance et le progrès social en Europe, elles doivent être fondamentalement repensées. C’est le sens du Manifeste pour une union poli-tique de l’euro, qui est maintenant traduit et publié dans six langues européennes. L’idée centrale est simple. Une monnaie unique avec 18 dettes publiques différentes sur lesquelles les marchés peuvent librement spéculer, et 18 systèmes fiscaux et sociaux en concurrence débridée les uns avec les autres, cela ne marche pas, et cela ne marchera jamais. Les pays de la zone euro ont fait le choix de partager leur souveraineté monétaire, donc de renoncer à l’arme de la dévaluation unilatérale, sans pour autant se doter de nouveaux instruments économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires communs. Cet entre-deux est la pire des situations.

Et quelle que soit la bonne volonté de Martin Schulz, quelle que soit la majorité dont il disposera au Parlement européen, il fera face aux blocages entraînés par la toute-puissance du Conseil des chefs d’État et des ministres. Pour sortir de la règle de l’unanimité, il faut instituer une véritable chambre parle-mentaire de la zone euro, où chaque pays pourrait être repré-senté par des députés représentatifs de toutes les tendances politiques, et non par une seule personne. Faute de quoi l’inertie continuera : celle-là même qui fait qu’il nous aura fallu attendre les sanctions américaines contre les banques suisses pour faire quelques progrès sur la transparence financière en Europe ; celle-là même qui nous pousse à réduire sans cesse davantage l’impôt sur les sociétés, et à permettre aux grandes multina-tionales de ne payer aucun impôt nulle part. Pour illustrer

AUx URNES, CIToyENS !

les graves dysfonctionnements des institutions européennes actuelles, on pourrait aussi citer la lamentable ponction pro-portionnelle sur les dépôts chypriotes, votée à l’unanimité dans l’opacité du Conseil des ministres des Finances en mars 2013, avant qu’on ne se rende compte que personne n’était prêt à la défendre. Si une nouvelle crise se produit à plus grande échelle, on peut s’attendre au pire. Clamer que l’opinion n’aime pas l’Europe actuelle, et en conclure qu’il ne faut rien changer d’es-sentiel à son fonctionnement, est une incohérence coupable.

Les traités sont réformés en permanence, et le seront encore à l’avenir. Plutôt que d’attendre les bras ballants les futures pro-positions d’Angela Merkel, mieux vaut s’y préparer et proposer une véritable démocratisation de l’Europe.

Pour changer l’Europe, il faudra également prendre à bras-le-corps la question du traité américain. L’Union euro-péenne et les États-Unis représentent la moitié du PIB mondial.

Leur responsabilité, et l’attente de leurs opinions, ne peut se réduire à la libéralisation des échanges commerciaux. En s’ap-puyant sur le Parlement européen et les parlements nationaux, il est possible d’imposer dans ce traité le développement de normes exigeantes sur le plan social, environnemental et fiscal.

L’UE et les États-Unis ont la surface nécessaire pour imposer à leurs entreprises et aux paradis fiscaux de nouvelles règles : une assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés, un registre mondial – ou au moins euro-américain – des titres financiers.

Dans ce mouvement, Martin Schulz peut jouer un rôle central.

Alors rêvons un peu, et votons.

De l’Égypte au Golfe,

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