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Ce journal de bord, tenu au cours d’une journée passée avec Julia, est révéla- teur du quotidien de nombreux gardiens travaillant actuellement dans les copropriétés. Sa journée semble être séquencée en deux parties. Elle consacre ses matinées aux taches qui lui sont imposées par le contrat qu’elle a signé avec la copropriété : nettoyage du hall, sortie et ramassage des poubelles, distribution du courrier, vérifications techniques (ascenseur et lumière). Puis, la seconde partie de la journée est vouée aux différents em- plois qu’elle cumule chez plusieurs employeurs particuliers. Cette journée-type ne peut être considérée comme telle, étant donné que ses après-midis varient tous les jours en fonction des différents emplois qu’elle cumule en dehors de ses horaires de travail. Son quotidien que l’on peut alors qualifier de quotidien hebdomadaire, est déterminé par les différentes trajectoires qu’elle effectue chaque jour. Si la trajectoire peut être en- tendue comme «la série, plus ou moins ordonnée, des positions successives occupées par un individu ou un groupe dans un espace social défini» et ainsi utilisée comme «un outil essentiel pour décrire l’agent et expliquer ses actions»100, elle peut également être

exprimée de manière plus subjective, comme celle exprimée dans l’enquête avec Julia. En effet, les trajectoires qui lui sont liées semblent être concentrées au sein d’un même quartier situé à Clichy car ayant été gardienne pendant plusieurs années dans ce même quartier, Julia s’est crée un environnement (social et spatial et temporel) auquel elle est encore attachée. L’analyse de la série de ses positions successives en lien étroit avec son récit de vie nous permet ainsi d’appréhender son «identité professionnelle»101.

La trajectoire de Julia met également en avant l’importance de son rôle purifi- cateur au sein de l’immeuble. La logistique du ramassage des poubelles102 organise son

emploi du temps de manière synchronisée et quotidienne et laisse place à des plages horaires « vides ». Son quotidien peut ainsi être défini comme une succession de taches à accomplir mais aussi comme une succession de temporalités intermédiaires et indéter- minées, durant lesquelles Julia doit faire acte de présence dans la loge.

A l’opposition totale du cas de Julia, Elizabeth, gardienne d’un immeuble dans le 16e arrondissement, est employée à plein temps par la copropriété. Ses trajectoires

(au sens physiques du terme) se réduisent essentiellement à des allées et venues au sein de l’immeuble, et à aller chercher son fils à l’école le matin et le soir. Elle explique que la présence continue du gardien au sein de la loge (trajectoire statique) participe à l’iso- lation de la profession103. Elle ajoute d’ailleurs qu’elle serait à l’origine de nombreux

divorces au sein du milieu.

100

FOURNIER-PLAMONDON, Anne-Sophie, et RACINE-SAINT-JACQUES, Jules, «(Re)Consti- tuer la trajectoire », Conserveries mémorielles [En ligne], 2014. URL :http://cm.revues.org/1740

101

Ibid.

102

A ce propos, la plupart des enquêtes menées auprès des gardiens dans le cadre de cette étude révèle que la sortie des poubelles s’effectuent très fréquemment en dehors de leurs horaires de travail.

103

Ce constat, confirmé par plusieurs enquêtes, paraît paradoxal: Elizabeth considère que la profes- sion est isolée, alors que la profession même participe à l’édification de liens sociaux.

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[Habiter, Loger]

Alors que le quotidien des gardiens peut être appréhendé par l’étude de leurs trajectoires respectives, il peut également être défini par le quotidien des habitants de l’immeuble. Si l’on considère que le quotidien correspond à « l’ensemble des actes que l’on répète tous les jours »104, les hommes ont toujours été dans la quotidienneté. Mais

le terme quotidien se manifeste dans le langage courant au xixe siècle, avec «l’appari-

tion de la vie privée dans un espace séparé, d’une chambre à soi, de l’espace domes- tique»105comme peuvent l’illustrer, à cette même époque, la profusion de peintures hol-

landaises mettant en scène la vie d’intérieur. Ainsi le quotidien semble immédiatement lié à la notion d’habiter. Cette dernière a connu plusieurs évolutions qui sont le reflet de l’évolution de la société, en quête d’individualisation, et donc de privacité. Ainsi les couches successives séparant l’appartement (l’habitat) de l’extérieur s’épaississent (avec l’apparition du couloir notamment) et marquent le contraste entre les pièces où l’on re- çoit et les pièces plus privatives, comme une sorte de «mise en exergue de l’intimité, qui deviendra la vie quotidienne»106. Ainsi le terme habiter trace le «halo sémantique de

l’habitat comme cadre bâti, imposant contrainte architecturales et spatiales»4 et le reflet de normes familiales. Alors, à l’habiter correspond l’habitat et l’habitant. Nous pouvons appliquer le même raisonnement, dans un contexte plus contemporain, à l’action qui consiste à résider, et dont le cadre bâti, plus spécifique encore que l’habitation, est nom- mé résidence. Le résidant est l’être qui va déterminer le fait même de résider. Qu’en est-il du gardien ? Dans quel schéma se situe t-il ?

104

Emission « Les nouveaux chemins de la connaissance », VAN REETH, Adèle et PETIT, Philippe,

Le quotidien : esclavage des temps modernes ? Enregistrée le 25 mai dans le cadre du Festival Philiso-

phia:Festival Européen de la Philosophie à Saint-Emilio du 22 au 26 mais 2013. Intervenant:Bruce Bégout.

105

Ibid.

106

Ibid.

Elizabeth : Alors, eux, le font très bien au sein de l'im- meuble, mais il y a énormément de divorce qui euh.. Alors est ce que c'est parce qu'on est tout le temps sur notre lieu de travail, on voit tout le temps les mêmes têtes, on n'a rien à raconter quand le conjoint arrive le soir …

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Habiter, habitant , habitation.