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On peut maintenant aborder la structure electonique de ce cluster. La combinaison des orbitales 𝑑 dans une symétrie tétraédrique aboutit à 6 or-bitales moléculaires de représentation irréductible, par energie croissante a1, non dégeneré, e deux fois dégeneré, et t2 trois fois dégeneré. Le calcul de la densité électronique correspondant à chacune de ces orbitales moléculaires sur GeV4S8, présentée sur la figure 2.6 permet de discuter au moins qualita-tivement la structure électronique du cluster : Pour l’orbitale a1, les électrons sont localisés entre les atomes métalliques, selon les diagonales du tétraèdre. Cette orbitale a donc un caractère fortement liant. Dans les orbitales e et

t2, la densité de charge est maximale autour des atomes métalliques. Ces orbitales sont donc faiblement liantes.

En affectant les valences formelles -2 au chalcogene et +3 au gallium, le nombre d’électrons à affecter au remplissage des orbitales moléculaires du cluster est donc : n𝑐𝑙𝑢𝑠𝑡𝑒𝑟= 4n𝑠+𝑑-16+3. Le choix du métal de transition fixe donc le remplissage du diagramme d’orbitales moléculaires. Les métaux de la colonne du vanadium (V, Nb, Ta) ont 5 electrons 𝑑, d’où 7 électrons sur le cluster et donc un électron dans l’orbitale t2. Dans le cas du composé au germanium GeV4S8, où la valence formelle du germanium est +4, un calcul identique permet de montrer qu’il existe 8 électrons par cluster. Considérons enfin le cas du composé ‘GaTi4S8’ : le titane portant 4 électrons d condui-rait à remplir les orbitales moléculaires du cluster avec 3 electrons, d’où un électron dans l’orbitale e. Comme il sera discuté par la suite, les propriétés de ce composé diffèrent de celles des autres AM4X8. Le remplissage

électro-Figure 2.6 – Représentation de la répartition de la densité électronique

cal-culée pour GeV4S8 (isosurface correspond à une densité de 0.04 e3) et diagramme d’orbitales moléculaires.[43]

nique peut donc varier de 3 électrons (cas de ‘GaTi4S8’ [47]) à 8 electrons ((cas de GeV4S8)). Les electrons ‘actifs’ sont donc dans les orbitales e ou t2, délocalisés sur quatre sites métalliques.

Considérons le cas où l’électron ‘actif’ est porté par l’orbitale t2 : il est possible de se ramener à un modèle à un electron effectif, délocalisé sur les 4 atomes du cluster tétraédrique, mais pouvant difficilement se mouvoir d’un cluster à l’autre du fait de l’importance des distances inter-clusters. Ceci conduit à considérer les AM4X8 comme des isolants de Mott ‘molécu-laires’. Dans les isolants de Mott ‘classiques’ : les oxydes comme NiO, ou les chalcogénures tels que NiS et NiS2−𝑥Se𝑥, [6] la répulsion coulombienne sur site, correspondant au terme U de l’hamiltonien de Hubbard, s’exerce sur un site atomique. Dans les AM4X8, la répulsion coulombienne sur site s’exerce sur quatre atomes d’un un site moléculaire [45]. La répusion coulombienne est donc ‘diluée’ sur un site spatialement étendu. Les AM4X8 sont donc, comparativement, des isolants de Mott ‘fragiles’, car l’énergie de répulsion coulombienne sur site et le terme de saut sont plus petits que dans les iso-lants de Mott ‘classiques’. La figure 2.7 illustre cette idée de l’isolant de Mott moléculaire.

plu-Figure 2.7 – Représentation schématique d’un isolant de Mott classique,

où la répulsion coulombienne a lieu sur un site atomique, et d’un isolant de Mott ‘à cluster’ ou la répulsion coulombienne a lieu sur un site moléculaire.

[43] [53]

sieurs faits expérimentaux : les mesures de susceptibilité magnétique conduites sur GaNb4S8, et ajustées avec une loi de type Curie-Weiss permettent d’obte-nir un moment magnétique effectif 𝜇𝑒𝑓 𝑓 = 1.76 +/- 0.04 𝜇𝐵par groupement formulaire, ce qui correspond à un electron non apparié par cluster métal-lique. La constante de Curie-Weiss vaut 𝜃𝐶𝑊 = -298+/- 13K. Négative, elle témoigne de fortes intéractions antiferromagnétiques entre les clusters. Les mesures de résistivité montrent un comportement de type semiconducteur, avec une conductivité thermiquement activée dont les énergies d’activation sont de l’ordre de 0.1 eV. A basse température, les mesures de résistivité revèlent une conductivité par saut. Ces énergies d’activation sont quasi-identiques aux gaps obtenus par des mesures de conductivité optique. Enfin, les limites des calculs de structure de bandes par des méthodes de type DFT sur des matériaux corrélés sont bien connues. Sur les AM4X8, ils prédisent un comportement métallique. Le fait de devoir inclure un terme de répulsion supplémentaire (LDA +U) pour pouvoir reproduire la valeur du gap mesuré par conductivité optique et la susceptibilité magnétique correspondant à un électron localisé sur un cluster est une autre signature de l’importance des corrélations électroniques. Les structures de bandes calculées montrent une forte composante des orbitales 𝑑 du métal de transition dans les bandes au-tour du gap, cohérente avec l’image des bandes de Hubbard.

Les AM4X8 peuvent donc être considérés comme des isolants de Mott moléculaires, où la présence d’unités corrélées polyatomiques entraine tout d’abord une diminution de la répulsion coulombienne sur site, et donc une proximité de la transition métal-isolant. Le fait de considérer des unités cor-rélées étendues entraîne aussi un plus grand nombre de degrés de liberté pour controler les propriétés électroniques du matériau, via les substitutions du métal de transition ou de l’atome A. On peut ainsi modifier de manière quasi-continue non seulement le remplissage électronique du cluster, mais

aussi les paramètres géométriques de la structure, tels que les distances et les angles. Ces paramètres géométriques contrôlent l’amplitude de saut, le terme cinétique de l’hamiltonien de Hubbard. Le diagramme de phase, repré-senté sur la figure 2.8, donne une vue d’ensemble des propriétés des AM4X8.

Figure 2.8 – Aperçu du diagramme de phase des AM4X8 en fonction du nombre d’électrons sur le cluster et de la température. PM : Paramagnétique,

AF : Antiferromagnétique, FM : Ferromagnétique. [3]

Si tous ces somposés sont cubiques à température ambiante, à basse tem-pérature, les composés au vanadium GaV4S8,GaV4Se8 et GeV4S8 présentent une transition structurale vers une phase de symétrie rhomboédrique. Cette structure rhomboédrique se déduit de la structure cubique en étirant la struc-ture cubique selon la direction (111). Elle entraine une déformation du cluster et une levée de dégénérescence des orbitales t2. Elle peut donc être comprise comme une distortion de type Jahn-Teller.

Parmi les différents membres de la famille, ‘GaTi4S8’ se singularise en étant un métal corrélé [47], avec une résistivité croissante avec la tempéra-ture, une chaleur spécifique linéaire en T, et une susceptibilité magnétique de type Pauli. La forte valeur de rapport de Wilson R𝑊 = 𝜒𝑃/𝛾 = 1.57 té-moigne de fortes corrélations électroniques. Ce composé montre néanmoins des lacunes de gallium et sa formule exacte est Ga0.87Ti4S8, les tentatives pour préparer le composé parfaitement stoechiométrique ont échoué. Le com-portement métallique de GaTi4S8 a été expliqué comme résultant de la di-minution de la dissymétrie des liaisons métal-métal inter et intra-cluster comme en témoignent les valeurs du degré de clusterisation et du coefficient

de distortion comparés aux autres AM4X8. Le composé étant légèrement non-stéochiométrique,il pourrait aussi être suggeré que le caractère métal-lique de Ga0.87Ti4S8 serait expliqué par le ‘dopage’ d’un isolant de Mott à demi-remplissage [47]. Néanmoins, le caractère métallique subsiste si une partie du titane est substitué par du vanadium de façon à obtenir 3 elec-trons sur le cluster. Enfin, la description en terme d’orbitales moléculaires, se fondant sur une vision localisée, trouve ici ses limites dans la description de Ga0.87Ti4S8.