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CHAPITRE III — UNE REPRODUCTION FAMILIALE RÉUSSIE?

2. La carrière des enfants d’artisans alimentaires

2.1. Une transmission de la carrière d’artisan alimentaire

La question du métier comporte nécessairement une composante genrée. En effet, sauf quelques exceptions, ce sont habituellement les hommes qui déclarent un métier. Pour cette raison, cette section sera axée sur le métier déclaré par les fils des artisans alimentaires de Québec. Il aurait été tout à fait pertinent d’également inclure les métiers rapportés par l’époux de leur fille puisqu’à l’époque, la famille au complet contribuait à l’entreprise familiale qui était elle-même à la maison32. Cependant, cette information a déjà été

analysée dans la section 1.1 du présent chapitre et il serait donc redondant d’y revenir.

31 Louise A. Tilly et Joan Scott, Les femmes, le travail et la famille, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2002,

p. 128.

Contentons-nous de rappeler que les filles ont davantage tendance à faire preuve d’exogamie professionnelle.

En tout, seulement 66 fils des artisans alimentaires se rendent à l’âge adulte. Nous avons pu repérer le métier de 58 d’entre eux en parcourant les actes notariés de la BAnQ à l’aide de l’outil de recherche Parchemin ainsi que les actes paroissiaux du PRDH. Les résultats sont présentés dans le tableau 3.3.

Tableau 3.3 : Le métier des enfants

des artisans alimentaires de Québec en Nouvelle-France

Métier du fils Bouchers Boulangers Autres Total Habitant/cultivateur ou journalier 7 (27 %) 0 (0 %) 2 (29 %) 8 (14 %) Artisans alimentaires 6 (23 %) 6 (24 %) 2 (29 %) 14 (24 %) Autres artisans 8 (31 %) 9 (36 %) 3 (43 %) 20 (36 %) Navigateurs/voyageur 2 (8 %) 2 (8 %) 0 (0 %) 4 (7 %) Prêtre/maître d’école 0 (0 %) 5 (20 %) 0 (0 %) 5 (9 %) Marchand 1 (4 %) 2 (8 %) 0 (0 %) 4 (7 %) Seigneur/noble 2 (8 %) 1 (4 %) 0 (0 %) 2 (3 %) Total 26 (100 %) 25 (100 %) 7 (100 %) 58 (100 %)

Sources : Actes notariés de la BAnQ et actes paroissiaux du PRDH

En Nouvelle-France, il est tout de même assez commun que des enfants pratiquent des métiers différents de leurs parents. Cependant, il y avait habituellement un des fils qui reprenait celui de ces derniers33. Ce n’est pas le cas des artisans alimentaires de Québec

puisque parmi les 32 dont un enfant déclare un métier, seul huit d’entre eux ont un ou deux fils qui reprennent le leur. En effet, cinq fils de boulangers deviennent boulangers eux-

33 Peter Moogk, « Apprenticeship Indentures: A Key to Artisan Life in New France », Historical Papers of

mêmes et six fils de bouchers font de même, ce qui ne représente que 19 % de cas. Comme environ 30 % des garçons qui se marient à Québec pratiquent le même métier que leur père, ce pourcentage peut paraître assez faible34. Cependant, les enfants des artisans alimentaires

de Québec reprennent beaucoup plus le métier de leur parent que ne le font ceux des boulangers de Montréal. En effet, seuls cinq fils des 55 boulangers de Montréal deviennent eux aussi boulangers35. La transmission du métier des artisans alimentaires de Québec

semble donc être plus faible que celle de la population générale, mais plus élevée qu’un autre groupe comparable.

Plus généralement, on peut observer que 34 des 58 fils des membres du corpus deviennent artisans, ce qui représente 59 % du groupe. C’est-à-dire que 41 % des individus du tableau se trouvent un métier autre que celui de leurs parents. Ceci reflète la réalité du milieu artisanale, puisque la majorité des apprentis sont des enfants d’artisans36. De plus,

les hommes qui se marient à Québec ont 62 % de chance de tomber dans la même catégorie professionnelle que leur père, pourcentage très près de celui des membres de notre corpus37.

On peut donc conclure que même si les garçons des artisans alimentaires de Québec ne reprennent pas le métier de leurs parents aussi souvent qu’on pourrait s’y attendre, ils reprennent la catégorie professionnelle de leurs parents à la même proportion que celle de la population générale.

En regardant l’ensemble des résultats, on peut encore une fois noter que les individus de la catégorie « autres », soit les cuisiniers, le pâtissier et le traiteur, font preuve

34 Danielle Gauvreau, Québec : Une ville et sa population au temps de la Nouvelle-France, Québec, Presses

de l’Université de Québec, 1991, p. 194.

35 Lamonde, Les boulangers, p. 37.

36 Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal. Deuxième Partie : Le commerce, Paris, Librairie

Plon, 1974, p. 396.

d’une reproduction familiale un peu plus faible que la moyenne. En effet, aucun de leurs garçons n’accède à des métiers plus prestigieux ou lucratifs. De plus, deux des enfants du cuisinier Louis Leroux deviennent cultivateurs, ce qui représente des reproductions familiales au mieux partiellement réussies. À l’inverse, les fils de boulangers semblent trouver des emplois plus prestigieux. Aucun d’entre eux ne devient habitant alors que certains s’en tirent très bien. En effet, trois d’entre eux deviennent prêtres, un fils de Jean- François St-Hubert devient même évêque38, deux fils de Marie-Anne Aubuchon

deviennent capitaines de navire, deux fils de Pierre Voyer deviennent marchands, alors que François Bonneville, fils de François, est capitaine de milice de Sainte-Marie-de-Beauce et sera décrit comme écuyer suite à sa mort39. La répartition des catégories de métier chez

les fils de bouchers est presque identique à celle des boulangers. En effet, six deviennent artisans alimentaires, huit pratiquent d’autres métiers d’artisanat (comparativement aux neuf boulangers), deux deviennent navigateurs et peu deviennent marchands ou atteignent un poste très prestigieux. L’exception notable est qu’environ un quart des fils de bouchers travaillent la terre tandis qu’un devient journalier alors que cinq garçons de boulangers deviennent des membres du clergé ou maître d’école. Ceci démontre que même si les fils des deux groupes se trouvent dans des catégories de métier semblables, les boulangers semblent un peu mieux établir leurs fils que les bouchers. De plus, à l’exception des fils de Joseph Séguin et d’André Bouchaud qui deviennent marchands et de Jacques-Joseph Cadet qui devient seigneur, aucun autre garçon de boucher ne semble se démarquer remarquablement en ce qui concerne son métier.

38 Gilles Chaussé, « HUBERT, JEAN-FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4,

Université Laval/University of Toronto, 2003–, consulté le 17 déc. 2020.

Moins d’un fils sur cinq pratique le même métier que son père, ce qui est très faible dans une société où au moins un enfant reprend l’emploi de celui-ci. Comme l’a observé Lamonde, on semble prioriser le maintien du statut social plutôt que la transmission du métier40. Les fils d’artisans alimentaires reprennent donc la catégorie de métier de leurs

parents, soit l’artisanat, à un taux semblable à celui de la population générale. En général, les boulangers semblent mieux réussir la reproduction familiale, même si la catégorie de métier de leurs fils ressemble beaucoup à celle des fils de bouchers. Les autres artisans alimentaires du corpus réussissent moins à bien établir leurs enfants, ce qui est tout à fait normal puisqu’ils ne se démarquent pas au cours de leur propre vie. Comme l’ensemble de nombres et de métiers analysés dans ce chapitre permet difficilement de concevoir des cas précis de reproduction familiale, nous ferons un survol de quelques cas variés qui nous permettront de mieux situer le tout.