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CHAPITRE I — LES ARTISANS ALIMENTAIRES EN NOUVELLE-FRANCE

1.2 Des métiers faciles d’accès?

Bien que les cinq métiers présentés ci-dessus diffèrent tous entre eux, ils comportent une grande ressemblance, au même titre que tous les autres métiers. En effet, qu’on habite en Nouvelle-France ou en France, il faut faire un apprentissage chez un artisan pour apprendre un métier et obtenir le droit de le pratiquer, sauf si un de ses parents le pratique46.

Cependant, il est beaucoup plus facile d’accéder aux métiers en Nouvelle-France qu’en France, divergence principalement causée par l’absence de corporations dans la colonie47.

Les corporations ont comme but de défendre les intérêts économiques, politiques et moraux

42 Lachance, Vivre à la ville, p. 278. 43 Desloges, « Jean Amiot », p. 8. 44 Ibid., p. 8.

45 Ibid.

46 Clare Haru Crowston, « L'apprentissage hors des corporations: Les formations professionnelles alternatives

à Paris sous l'Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 60, nᵒ2 (2005), p. 409.

de leurs membres, soit les maîtres48. Pour ce faire, elles imposent des règlementations très

restrictives limitant la capacité de nouveaux artisans à prendre une part du marché des maîtres. Par exemple, en France, un individu doit payer une somme pour commencer son apprentissage ainsi qu’au moment où il souhaite obtenir sa maîtrise, en plus d’avoir à se prouver en accomplissant un chef-d’œuvre49. Il arrivait même qu’ils doivent payer des

pots-de-vin et acheter des quotes-parts dans la corporation50. Les enfants des maîtres sont

exemptés de tous ces frais. Sous la gestion des corporations, les artisans obtiennent le titre de compagnon après l’apprentissage. Ils doivent alors travailler plusieurs années sous la responsabilité d’un maître pour espérer, un jour, commencer leur propre entreprise et devenir maîtres à leur tour.

En Nouvelle-France, la situation est très différente pour les artisans. En effet, on n’y trouve aucune corporation et donc aucun contrôle sur les titres d’apprentis ou de maîtres, sauf pour la chirurgie51. L’intendant Talon a tenté d’instaurer la lettre de maîtrise

pour institutionnaliser les métiers, mais le ministre Colbert l’en a empêché. Ce dernier voyait qu’il y avait une pénurie d’artisans en Nouvelle-France et qu’il fallait attirer les ouvriers indistinctement pour remplir les besoins de la colonie naissante52. Cette mentalité

restera dominante pour la durée du régime français, écartant toute tentative d’instaurer le système des corporations. Malgré cette approche, la pénurie de main-d’œuvre spécialisée perdurera pendant tout le régime français puisqu’il n’y aura pas assez d’immigrants

48 Kaplan, Le meilleur pain, p. 175. 49 Perrier, « Les techniques », p. 24.

50 Crowston, « L'apprentissage hors des corporations », p. 409. 51 Perrier, « Les techniques », p. 53.

52 Jean-Pierre Hardy et David-Thiery Ruddel, Les apprentis artisans, 1660-1815, Montréal, Presses de

artisans. Cela s’explique partiellement par l’attitude mercantiliste de la métropole qui n’a pas pallié les manques de sa colonie puisqu’elle voulait y faire plus de ventes53.

L’absence de corporation ainsi que le manque de main-d’œuvre spécialisée ont pour effet de donner des conditions beaucoup plus favorables aux apprentis alors qu’ils apprenaient leur nouveau métier54. Alors qu’en France les apprentis devaient débourser des

sommes très élevées au maître, moins d’un apprenti canadien sur dix devait payer pour son apprentissage55. À l’inverse, environ la moitié des apprentis recevaient des paiements sous

une certaine forme, ce qui n’arrivait presque jamais en France. De même, un artisan ayant terminé son apprentissage était libre de s’approprier le titre de maître à sa guise, qu’il soit propriétaire ou non. Il n’est pas obligatoire de créer un chef-d’œuvre, de payer ou de se soumettre à de multiples obligations des jurandes56. Il peut également ouvrir sa propre

pratique même s’il ne s’identifie pas comme maître57.

En général, les apprentis s’engageaient entre l’âge de 14 et 18 ans58.

L’apprentissage moyen durait trois ans, mais dépendait plus de l’âge de l’apprenti que du métier59. En effet, ceux qui commençaient tard leur apprentissage le terminaient

rapidement alors que les apprentis qui commençaient à 13 ans gardaient longtemps ce rôle. L’apprenti logeait habituellement chez le maître, qui s’engageait à le nourrir et à le vêtir60.

53 Jean Hamelin, Économie et société en Nouvelle-France, Québec, les Presses de l’Université Laval, 1960,

p. 108.

54 Moogk, « Apprenticeship Indentures », p. 66 55 Hardy et Ruddel, Les apprentis artisans, p. 50.

56 La jurande se compose des jurés de la corporation qui s’assurent de préserver les standards au sein de ses

membres.

57Arnaud Bessière (s. d.), « Groupes sociaux : Une vie artisanale plus libre qu’en France », Musée Canadien de l’histoire, Consulté le 5 mars 2021. https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle- france/population/groupes-sociaux/

58 Ibid., p. 38.

59 Moogk, « Apprenticeship Indentures », p. 72. 60 Ibid., p. 67.

Il était alors considéré comme un membre de la famille et s’insérait dans presque toutes les facettes de cette dernière. L’apprenti travaillait de très longues journées, commençant avant le maître et terminant après ce dernier. Il se chargeait habituellement des tâches serviles habituellement effectuées par les domestiques. Malgré tout ceci, il est intéressant de remarquer que les apprentis semblent souvent être hiérarchiquement placés au-dessus des domestiques e leur âge, ce qui peut nous donner une indication quant à la notabilité des artisans61. Effectivement, il vaut mieux souvent placer son enfant comme apprenti artisan

que comme domestique. Ceci ne signifie pas que les apprentis soient très élevés dans la hiérarchie puisque les domestiques sont habituellement issues de milieux défavorisés62.

L’apprenti se fait souvent envoyer chez un maître pour apprendre, mais plusieurs le font de chez eux. En effet, une bonne proportion des artisans ont appris leur métier au sein de leur famille. La prochaine section a donc comme but d’explorer ce sujet qui se trouve au cœur de notre étude.