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Une tension originelle, caractéristique du journalisme web

II – Une rédaction marquée par une tension constante entre ligne éditoriale et impératif de rentabilité

A) Une tension originelle, caractéristique du journalisme web

Immanquablement, le marketing éditorial est constitutif de la presse en ligne. Le champ journalistique étant converti aux principes du marketing et la presse soumise aux impératifs économiques, le journalisme online a émergé dans un contexte tout à fait propice à sa consolidation. Ainsi, un concept éditorial sur Internet est déterminé en amont par des études marketing qui définissent le cœur de cible auquel il va s’adresser. En l’occurrence, le contenu éditorial du site Grazia.fr a été déterminé au préalable selon l’expertise et l’avis de cabinets de conseils spécialisés :

« Donc y’a une grosse analyse de marché… Ca a été fait par des cabinets, des cabinets d’experts sur le sujet. Et on a essaye de se positionner par rapport au marché français. Donc nous on s’est un peu positionné entre ces deux là en disant voilà nous on va être un magazine qui va être très haut de gamme, très luxe parce que c’est ce que les françaises aiment, c’est ce que les françaises attendent sur le marché. (…) Après y’a eu des études de marchés sur comment se positionner par rapport à un marche qui est quand même très très développé. Le secteur féminin tu vois, on arrivait face au Elle, au Glamour, des titres quand même très implantés. Donc voilà, comment prendre part sur ce marché un peu encombré, essayer d’aller récupérer des annonceurs…etc. Et finalement tu vois qu’au bout de 3 ans, finalement le magazine et le site se sont bien installés et ont permis d’acquérir une part de marché assez grosse ».95 »

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! $) Comme tous les autres sites-titres, Grazia.fr a été conçu comme n’importe quel produit destiné à la commercialisation. Et pour cause, son lectorat est avant tout considéré comme une audience spécifique, commercialisable auprès d’annonceurs particuliers96.

En effet, « l’environnement » que constitue le site Internet permet aux annonceurs de s’assurer qu’ils vont effectivement atteindre la cible marketing que visent leurs publicités97. Rappelons que le terme de cible renvoie à un sous-ensemble de population, doté de caractéristiques socio-démographiques, qu’une marque souhaite toucher par une campagne publicitaire. Par exemple, sur un site de presse féminine comme Grazia.fr, la plupart des annonceurs visent des femmes âgées de 24 à 35 ans, citadines et disposant d’un pouvoir d’achat conséquent.

Cette conversion au marketing éditorial est d’ailleurs d’autant plus flagrante au sein de la presse féminine, qu’il s’agisse des magazines ou de leurs sites web. Comme l’explique Jean-Marie Charron98, ce type de presse, comme l’ensemble de la presse spécialisée, repose sur un principe de segmentation du public lié à la découverte de socio-styles et de comportements de consommation spécifiques. Les éditeurs ont donc avant tout créé ces magazines en fonction des capacités du marché publicitaire à les financer, tout comme ils continuent à le faire avec les sites Internet de ces mêmes titres.

Par conséquent, la presse féminine fait parti de ces médias qui ne partent pas seulement d’ « une réalité exogène qui est l’actualité d’un ou plusieurs secteurs activités mais aussi du

vécu, des valeurs, des aspirations de ses lecteurs.99 » Autrement dit, à travers des contenus reflétant leurs préoccupations, leurs gouts et leurs styles, les magazines parlent surtout de leurs propres lecteurs. Selon Charron, ce phénomène s’inscrit dans un processus sociétal plus général marquant le passage d’un public lecteur à un public consommateur. Adepte du « zapping » éditorial, ce dernier serait ainsi à la recherche de contenus thématisés correspondant à des attentes particulières.

Or ces transformations ne sont pas sans effet sur la ligne éditoriale de ces sites Internet. En effet, la généralisation du marketing comme principe directeur a fini par consacrer la perte du monopole des rédactions dans la définition et la gestion de la ligne éditoriale100. Comme nous l’avons déjà précisé, le cadre éditorial dans lequel s’inscrit la publicité est un critère déterminant pour les annonceurs dans le choix du support médiatique. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

96 ESTIENNE Yannick, 2007, Le journalisme après Internet, l’Harmattan, Paris.

97 OUAKRAT Alan, 2010, Les régies publicitaires de la presse en ligne, Réseaux, n°160-161 98

CHARRON Jean-Marie, 2004, La presse magazine, Que sais-je ?, PUF, Paris, p 52

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CHARRON Jean-Marie, 2004, La presse magazine, Que sais-je ?, PUF, Paris

! $* Ainsi certaines marques, notamment les plus prestigieuses, refusent d’associer leur image à des contenus éditoriaux de qualité moindre. Par exemple, dans le cas de la presse féminine en ligne, il sera plus intéressant pour une marque de luxe comme Chanel d’annoncer sur un site comme Vogue.fr ou Grazia.fr que sur Femmeactuelle.fr ou un portail comme Plurielles.fr. Du coup, les concepts éditoriaux doivent revêtir une image de marque « forte » pour attirer non seulement le plus d’annonceurs possibles mais surtout les plus prestigieux.

Par conséquent, il existe constamment au sein de la rédaction de ces sites une sorte de tension entre d’une part, le maintien et la cohérence de la ligne éditoriale et d’autre part, les impératifs de rentabilité commerciale incarnée dans la prégnance du marketing et des logiques d’audience101.