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La présentation-presse, point d’orgue de l’ambivalence des relations entre journalistes et attachés de presse

II – Une rédaction marquée par une tension constante entre ligne éditoriale et impératif de rentabilité

B) Les attachés de presse, des intermédiaires incontournables.

2. La présentation-presse, point d’orgue de l’ambivalence des relations entre journalistes et attachés de presse

La présentation presse est un micro-événement organisé à l’attention des journalistes, print et web, par une marque donnée ou un bureau de presse pour une ou plusieurs marques. Dans le domaine de la mode, ces présentations interviennent généralement deux fois par an, après la semaine de la mode où les prestigieux couturiers ont fait « défiler » leurs collections. Les présentations concernent donc des marques moyen-de-gamme ou bas-de-gamme et visent de la même manière à présenter leurs collections de vêtements de la saison prochaine. Dans le secteur de la beauté, les présentations presse interviennent tout au long de l’année notamment à l’occasion de la mise en vente d’un produit particulier. Ces présentations sont bénéfiques pour les marques qui les organisent dans la mesure où les journalistes se souviennent mieux des collections, des produits qu’ils ont réellement vu ou du moins, sont mieux à même dans !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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! )+ parler dans l’un de leurs articles. En effet, du fait de l’abondance de mails reçus chaque jour, la plupart des informations envoyés par les bureaux de presse « passe à la trappe. »

Par ailleurs, la présentation se déroule dans un « show-room » ou dans une des boutiques de la marque se situant le plus souvent dans le centre de Paris, en semaine et aux horaires de bureaux. Cela oblige donc les journalistes, souvent situés dans des rédactions en proches banlieues parisiennes de se déplacer et de quitter leur poste pendant une durée d’environ 2h minimum. Or, au regard de leurs conditions de travail et notamment de l’urgence qui les caractérise, ce déplacement constitue un cout pour les journalistes qui se contenteraient de simples photos de ces produits et d’un communiqué de presse.

Par conséquent, les bureaux de presse organisent les présentations de sorte à en diminuer le cout et à en augmenter le bénéfice pour le journaliste. Ce système de donnant- donnant s’apparente à celui de don / contre-don théorisé par Marcel Mauss. Dans son paradigme, Mauss explique en effet que dans le cadre d’une relation d’échanges, le don est nécessairement suivi d’un contre-don selon des codes et des règles socialement pré-établis.

Dans le cas d’espèce, le don est le temps pris par la journaliste sur sa charge de travail pour assister à la présentation dans les cas où elle consent à venir. Le contre-don émis par la marque prend une double forme. Il réside d’une part dans le cadeau offert à la journaliste à la fin de la présentation. Il s’agit généralement d’un produit de la marque organisatrice d’une valeur marchande comprise généralement entre 50! et 100!, du moins en ce qui concerne les journalistes web. D’autre part, le contre-don s’exprime dans la visibilité qu’offre cette présentation au site web que les journalistes représentent, notamment lorsque celui-ci jouit d’une faible notoriété :

« Dans ce métier là, t’as aussi une part de représentation de la marque parce que voilà tu te dois en tant que rédac’ chef ou responsable mode comme Raphaëlle, on se doit d’être présente aux présentations presse pour que les marques t’identifient et se rendent compte que des gens du Grazia.fr viennent voir le truc. C’est du pur relationnel et ça fait partie intégrante de métier de journaliste et surtout dans la mode. On sait que la mode c’est le nerf de la guerre, c’est les annonceurs et c’est tout simplement pour faciliter le contact. Quand les attachés de presse t’ont vu, elles t’identifient plus facilement et elles pensent plus à toi pour t’envoyer les informations directement, c’est quand même beaucoup plus simple. 174»

Ainsi, si les présentations presse alourdissent la charge de travail des journalistes, elles permettraient selon les principales concernées à finalement facilité l’exercice de leur profession à court et moyen terme. Cela explique d’ailleurs le temps qui est consacré à ces présentations, notamment dans le domaine de la mode, pouvant parfois occuper plusieurs !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

! )% journées entières d’affilé sur une période de deux ou trois semaines, ce qui n’est pas sans conséquences sur les conditions de travail des autres journalistes restées à la rédaction.

Mais la relation ne s’arrête pas là. Basée sur le triptyque « donner, recevoir, rendre », cet échange intègre les deux parties dans une relation durable de dépendance mutuelle qui contribue à recréer en permanence le lien social qui les unit. Par conséquent, une contre-partie intervient après le contre-don. En l’espèce, il s’agit de l’objectif même de la présentation presse : la parution du produit ou des produits présentés dans le média auquel est rattaché la journaliste venue. Or, dans la mesure où les journalistes se déplacent la majeure partir du temps uniquement aux présentations presse des marques qui correspondent à leur ligne éditorial, ce but est quasiment à chaque fois atteint.

Par exemple, lors de la présentation presse de la marque de vêtements American

Vintage, la journaliste mode du Grazia.fr s’est vu offrir une veste de leur nouvelle collection

d’une valeur de 80!. Le lendemain, alors que nous réalisions un article de type shopping, elle nous a demandé d’intégrer un des produits de cette marque « histoire qu’ils continuent ce

genre de petite chose sympathique175 ». La parution apparaît donc comme un mode de remerciement du cadeau offert lors de la présentation quand bien même celui-ci correspond à la ligne éditoriale du site.

Par conséquent, les présentations presse sont une source de rétributions à la fois collectives et symboliques puisqu’elles permettent d’augmenter la visibilité des journalistes auprès des marques et donc d’attirer des annonceurs, mais aussi source de rétribution individuelles et matérielles en lieu et place des « cadeaux presse ».

Ce système de don / contre-don s’applique aussi à la rubrique beauté des sites-titres féminins. Contrairement à la mode, les journalistes beauté reçoivent quotidiennement des produits de beauté envoyés par les marques de cosmétiques. En effet, conformément à leur stratégie, le fait qu’une journaliste reçoive le produit augmente les chances qu’elle l’évoque dans l’un de ses articles. Il peut constituer d’une part, une source d’information pour sa rubrique, et d’autre part, un « don » à part entière. Par conséquent, parler de ce produit dans un article sera un moyen de remercier la marque, d’entretenir de bonnes relations avec elle et de produire du contenu éditorial.

En tant qu’observateurs participants de cette réalité, si ce type de procédé nous est apparu a priori comme relevant moins de l’éthique journalistique que d’une logique !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

! )" marketing, il est vite devenu un mécanisme de fonctionnement « naturelle » de notre activité. Dans la mesure où nous faisions le travail d’une journaliste mode et beauté, nous avons progressivement intériorisé ces routines relationnelles pour finalement, à la fin de notre période d’observation, les reproduire inconsciemment. Ainsi lorsqu’une connaissance personnelle nous invite à la présentation presse de la marque de vêtement qu’il vient de créer, nous profitons de l’un de nos articles pour y intégrer un lien hypertexte en direction de son site Internet. De même lors de cette présentation, nous rencontrons une créatrice d’accessoires dont nous publierons deux de ses produits dans un article ultérieure dans la mesure où, aussi, ces produits s’intégraient parfaitement à la ligne éditoriale.

Cette intériorisation des méthodes de travail pointe par conséquent la complexité des rapports qu’entretiennent les journalistes avec la déontologie de leur profession. Malgré les manquements flagrants qu’elles opèrent dans l’exercice de leur métier, ces rédactrices revendiquent au quotidien une application de ses règles, qu’il s’agisse de la vérification de l’information ou le respect des règles juridiques.

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