• Aucun résultat trouvé

Une nécessité pour les intérêts économiques

Chapitre 2 La traite et l’esclavage des Noirs

B. Une nécessité pour les intérêts économiques

La consommation européenne de denrées provenant des Antilles françaises comme le café, le sucre et le tabac augmente au fur et à mesure que les goûts pour ces produits se développent et cela pousse les colons à cultiver une quantité toujours plus grande de terres fertiles alors qu’ils ont toujours besoin de davantage de main d’œuvre. « La métropole ne peut plus vivre sans les colonies qui, elles, ne peuvent se passer de main-d’œuvre noire13. » D’une

certaine manière, la traite des Noirs, en raison de l’importance qu’elle a pour la bonne marche de l’économie des colonies françaises, devient aussi une nécessité économique pour la France14.

10 Marcel Trudel, Deux siècles d’esclavage au Québec, Montréal, Bibliothèque Québécoise, 2009 [1960], p. 30. Marcel Trudel est un historien québécois spécialisé en histoire de la Nouvelle-France et en histoire de l’esclavage en Nouvelle-France. En histoire de l’esclavage, il est l’un des premiers historiens à s’être intéressé au cas de la Nouvelle-France (il s’y intéresse dès 1960).

11 Ibid., p. 32-47. Les guerres qui ralentirent le trafic maritime et le manque de fonds des colons font en sorte la traite des Noirs n’a pas été pratiquée en Nouvelle-France malgré l’accord du roi et les nombreuses demandes des administrateurs. La plupart des Noirs retrouvés en Nouvelle-France étaient le fruit de vols fait aux Anglais ou de Noirs qui naissent dans la colonie (en tant qu’enfant d’esclaves).

12 Ibid., p. 89.

13 Vissière, La traite des noirs…, p.9

14 Pour Claude Fauque et Marie-Josée Thiel, l’économie est la seule vraie justification de la traite des Noirs. « Le profit à lui tout seul fut évidemment le moteur principal, en Occident, de la pratique dégradante de la traite. L’acquisition des Îles, l’introduction de la production sucrière, l’établissement de plantations et la demande simultanée d’une main-d’œuvre importante et à bas prix constituèrent le principal stimulus pour la traite des esclaves africains par les Européens et devaient, avec le temps, transformer le petit flot d’émigrés involontaires en un raz-de-marée. […] Conséquence de l’expansion des Européens, l’esclavage fut avant tout un système de travail, une réponse au déficit de main-d’œuvre criant […], mais il a aussi contribué à transformer économiquement les grandes puissances coloniales […]. » Claude Fauque et Marie-Josée Thiel, Les routes de l’esclavage. Histoire d’un très grand « dérangement », Paris, Hermé, 2004, p. 36-40.

35

La traite des Noirs répondait donc à plusieurs besoins des colonies (problème démographique lié au type d’agriculture favorisé aux Antilles15, manque de main-d’œuvre,

production de denrées consommées dans la métropole dont la demande était sans cesse croissante, la traite et l’esclavage allaient perdurer jusqu’au milieu du XIXe siècle au sein de

l’Empire français. Ainsi, les colons français allaient reproduire le même schéma que les colons espagnols qui, dès le XVIe siècle, demandaient au roi Charles le droit d’importer des esclaves

africains pour travailler sur les terres fertiles du Nouveau Monde puisqu’ils étaient plus adaptés au travail que les indigènes, plus faibles16.

Pierre H. Boulle, avant de s’intéresser à la question de la race et à la place des Noirs dans la France d’Ancien Régime, s’est concentré sur l’étude du commerce qui l’a amené à étudier les archives de Nantes, le plus important port français impliqué dans la traite et l’une des villes portuaires les plus florissantes lors de l’âge d’or de la traite. Boulle affirme, et rejoint ainsi I. et J.-L. Vissière17, que la traite a entre autres permis le développement d’une proto-

industrialisation du secteur manufacturier dans les villes portuaires françaises (notamment Nantes). En dehors des industries de fabrication de tissus, d’autres industries liées au textile se sont également développées (la teinture par exemple)18. La traite a ainsi contribué au

développement des manufactures françaises. Boulle estime que la France déboursait environ 250 livres en marchandises de troc pour acquérir un esclave noir et qu’elle achetait ainsi plus de 50 000 Noirs par année. Cela signifie que la France envoyait approximativement 12,5 millions de livres en marchandises de troc dont la majorité des articles échangés étaient des

15 Quand Colomb découvre le Nouveau Monde, il pensait pouvoir utiliser les Indiens présents pour en faire des esclaves pour faire fonctionner l’économie locale. Toutefois, ce ne fut pas le cas. « Avant même qu’ils ne commencent à être décimés par les premières épidémies, les Indiens (habitués à des économies de subsistance, dans lesquelles ils ne produisaient que les biens nécessaires à leur vie quotidienne) se révèlent impropres aux travaux agricoles dans les grandes plantations, et plus encore au travail extrêmement pénible qu’on veut leur imposer dans les mines d’or et d’argent. » Christian Delacampagne,

Une histoire du racisme, Paris, Librairie Générale Française, 2000, p. 130.

16 Hugh Thomas, La traite des Noirs, 1440-1870, Paris, Robert Laffont, 2006 [1997], p. 86-87;

17 Vissière, La traite des noirs…, p. 7. Ils expliquent : « Commerce lucratif et florissant, cautionné par les autorités civiles et religieuses, la traite était, au temps de Candide, non seulement licite, mais honorable. Elle jouait un rôle économique de premier plan et constituait la clé de voûte d’un système qui bénéficiait de la complicité générale. Si elle enrichissait de façon spectaculaire les armateurs nantais, elle faisait vivre les équipages et une foule d’artisans. Grâce à la main-d’œuvre qu’elle fournissait aux planteurs des Iles, elle alimentait les tables européennes en sucre et en café. »

18 Pierre H. Boulle, « Marchandises de traite et développement industriel dans la France et l’Angleterre du XVIIIe siècle », Revue française d’histoire d’outre-mer, Vol. 62, No. 226-227, 1975, p. 312.

36

produits transformés, l’Afrique représentant un marché important où les produits français pouvaient être écoulés19.

I. et J.-L. Vissière, dans leur ouvrage, présentent trois facteurs qui viennent expliquer le développement de la traite à l’époque moderne. À l’instar de Boulle ils présentent ces facteurs sous un angle économique puisqu’ils présentent leurs arguments en faveur de la traite de façon à ce qu’ils servent les intérêts économiques de la colonie et, par le fait même, de la métropole. L’historien québécois Marcel Trudel présente lui aussi la traite des Noirs en Nouvelle-France d’un point de vue économique en se basant sur les sources qu’il a consultées. En effet, Trudel, pour présenter les demandes de la Nouvelle-France pour avoir droit à pratiquer la traite, utilise notamment le mémoire du procureur général, François-Madeleine Ruette d’Auteuil (il sera procureur général au Conseil souverain de Québec de 1680 à 170720)

qui consacre presque la moitié de ses écrits concernant la question du commerce en Nouvelle- France à traiter des esclaves noirs pour vanter les avantages économiques qu’ils apporteraient à la colonie21.