• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Durant ce temps-là, en France métropolitaine

3.2 Le mouvement abolitionniste français

Le mouvement abolitionniste français prend forme, à la fin du XVIIIe siècle, avec la

création de la Société des Amis des Noirs, à Paris, en 1788. Dès sa fondation, la Société est décriée par les colons, les esclavagistes et leurs partisans parce qu’ils affirment qu’elle nuit aux intérêts français dont l’économie dépend de l’esclavage. Elle est ainsi considérée comme « anti-française » par ses détracteurs52. Pourtant, comme l’explique Marcel Dorigny, la

doctrine prêchée par l’organisation abolitionniste française n’était pas du tout anticolonialiste. Au contraire, soutient Dorigny. En demandant que l’abolition immédiate de la traite et en proposant une abolition progressive de l’esclavage, la Société pensait que leur plan allait permettre de sauvegarder les colonies françaises du naufrage53.

Dans son article, Dorigny, présente un second objectif des Amis des Noirs : réorienter la colonisation française vers l’Afrique. L’abolition immédiate de la traite permettait de garder une grande main-d’œuvre sur le continent africain54.

L’étude du mouvement abolitionniste français était déjà en mouvement au début des années 1970, et même avant. En effet, Gaston Martin, en 1948, a consacré un chapitre entier à

52 Marcel Dorigny, « La Société des Amis des Noirs et les projets de colonisation en Afrique », Annales

historiques de la Révolution française, 1993, Vol. 293, No. 293-294, p. 421. Cinq ans plus tard, Marcel

Dorigny publiait, conjointement avec Bernard Gainot, La Société des Amis des Noirs 1788-1799,

Contribution à l’histoire de l’abolition de l’esclavage (UNESCO/EDICEF, 1998). Ouvrage dans lequel

les auteurs ont compilé les archives de la Société des Amis des Noirs. De cette façon, il s’agit d’un ouvrage de référence pour tous les chercheurs qui désirent s’informer sur la Société, car ils mettent de l’avant des documents qui nous permettent de comprendre toute la complexité des débats au sein du mouvement antiesclavagiste. De plus, ils nous éclairent sur les liens internationaux qu’entretenaient, entre elles, les sociétés abolitionnistes. Ce livre permet de rendre compte du processus de l’abolition de la traite et de l’esclavage à la toute fin du XVIIIe siècle.

53 Ibid.

54 Ibid., p. 422. « Le projet était donc parfaitement clair : ne plus déporter la population africaine vers les îles, mais la faire travailler sur place en lui apportant les techniques agricoles européennes. C’était vouloir transporter en Afrique l’économie de plantation des îles, sans la traite ni le travail servile. Bien évidemment cette expansion agricole en Afrique ne supposait pas un abandon des îles, mais une reconstruction de leur système d’exploitation, afin de le rendre pleinement compatible avec les valeurs désormais reconnues en France métropolitaine (Ibid.). »

85

la propagande antiesclavagiste dans son ouvrage Histoire de l’esclavage dans les colonies

françaises55. L’auteur se contente de présenter le mouvement antiesclavagiste français sans

développer d’analyse. C’est ainsi qu’il démontre que ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle que se met en place une véritable campagne antiesclavagiste. Les philosophes,

au nom de la liberté naturelle et du contrat social, s’attaquent à l’institution qui brime les esclaves. Martin y présente des œuvres des Lumières qui mettent en évidence le mythe du « bon sauvage »56. Toutefois, les résultats sont obtenus dans les colonies anglaises plutôt que

dans les colonies de l’Empire français puisque, dès 1780, l’esclavage est interdit dans les colonies du Massachusetts, de la Pennsylvanie et de la Nouvelle-Angleterre. La fin des années 1780 sera aussi marquée par la création de sociétés abolitionnistes en Angleterre et en France. Toutefois, la société française n’aura pas la même influence au sein de l’opinion que son homologue anglaise. Ainsi, « la Société des Amis des Noirs de Brissot ne fut en fait avant la Révolution qu’une “Société de Pensée”, perdue parmi beaucoup d’autres. […] Elle n’entama aucune conviction, n’émut aucun intérêt57. » Martin affirme plutôt que la Société fut même

accusée d’être vendue aux Anglais et de travailler à la ruine des intérêts de la France en voulant nuire aux planteurs et au commerce maritime français.

En 1972 était publié un article de Daniel P. Resnick, « The Societe des Amis des Noirs and the Abolition of Slavery58 », dont le propos était de présenter la Société des Amis des

Noirs (ses objectifs et sa stratégie pour atteindre l’arrêt immédiat de la traite et l’abolition progressive de l’esclavage) afin de la comparer à la société abolitionniste anglaise. L’auteur étudia les journaux des membres de la Société, leur correspondance, leurs pamphlets; la correspondance et les écrits de la société abolitionniste anglaise fondée un an avant ; et les minutes du groupe pro-esclavagiste : le Club Massiac. L’auteur explique que, contrairement à ce qui se produisait en France, l’anti-esclavagisme était un sujet central de la politique anglaise à la fin des années 178059. Par ailleurs, le mouvement français était composé davantage de

55 Gaston Martin, Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises, Paris, PUF, 1948, p. 166 à 171.

56 Il y a ainsi une grande différence entre l’attitude des historiens du milieu du XXe siècle et ceux de la fin du siècle à l’égard des Lumières. Les premiers étaient moins critiquent que les seconds qui, eux, étaient plutôt révisionnistes dans leur approche de l’histoire des idées des Lumières.

57 Ibid., p. 171.

58 Daniel P. Resnick, « The Societe des Amis des Noirs and the Abolition of Slavery », French Historical Studies, Vol. 7, No. 4, 1972, p. 558-569.

86

membres provenant de l’élite que le mouvement anglais. Ainsi, selon l’auteur, cela a mené à un faible taux de recrutement au sein de la Société des Amis des Noirs, car les membres étaient concentrés à Paris et sans réseau leur permettant de communiquer avec les abolitionnistes des régions60. Les abolitionnistes français auraient ainsi dû, selon l’auteur, faire comme leurs

homologues anglais et présenter à la fois des arguments économiques et des arguments moraux pour défendre l’abolition de la traite et de l’esclavage61.

Les études sur le mouvement abolitionniste de Dorigny, Martin et Resnick se distinguent les unes des autres étant donné que Dorigny présente plutôt des options proposées par la Société des Amis des Noirs pour mettre en place un nouveau pôle de colonisation qui serait situé en Afrique tandis que Martin se contente de faire une brève analyse des mouvements abolitionnistes français et anglais. Resnick, pour sa part et contrairement aux autres auteurs présentés, soulève explicitement les raisons ayant mené à l’échec des abolitionnistes français.