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Une incompréhension faite de pré-suppositions

Dans le document Function follows deformation (Page 42-46)

Entre critiques et admiration, l'architecture déconstructiviste a donc été livrée à de nombreuses interprétations, depuis son apparition au début des années 1980. Les formes dynamiques et intrigantes mises en œuvre ont donné lieu à de nombreuses théories, pour tenter de les expliquer. Cependant, ces théories qui ont animé la scène architecturale, n'ont jamais été émises par les architectes dits « déconstructivistes » eux-mêmes. Les différents essais visant à expliquer cette architecture par la représentation des « sciences nouvelles » ont été rédigés par des critiques, des théoriciens, mais pas par les Frank Gerhy, Zaha Hadid, ou Peter Eisenman. Ils ont donc logiquement été réfutés par la communauté scientifique, pour la bonne raison qu'il ne s'agissait absolument pas du point de départ de ces

21. SALINGAROS Nikos A. Anti-Architecture et déconstruction. Solingen : Umbau- Verlag, 2005, p. 124 22. Ibid.

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architectes.

Les détracteurs des déconstructivistes en ont pourtant profité pour critiquer de manière assez violente, non seulement leur (prétendue) usurpation scientifique, mais également tout ce que représentait leur architecture et la philosophie avec laquelle ils sont souvent associés. Parfois d'ailleurs avec beaucoup de mauvaise foi. Dans son ouvrage critique Anti-Architecture et déconstruction, Salingaros va jusqu'à présenter le déconstructivisme comme un culte23, qu'on enseigne à tous les

étudiants en architecture à travers le monde et que l'on force à apprécier, à choisir comme référence. Il véhicule l'idée qu'une haine du traditionnel est transmise par les enseignants. De plus, si ses attaques sur la théorie de Jencks semblent justifiées (puisqu'il n'y a effectivement aucune base scientifique), certaines critiques adressées aux architectes sont parfois abusives. Il reproche par exemple à Bernard Tschumi de prétendre faire usage des mathématiques pures ou appliquées dans son projet du Parc de la Villette, en s'appuyant sur les propos que celui-ci tient dans son livre

Architecture and Disjonction :

« La préoccupation énoncée du projet était d’appliquer les pré-occupations théoriques au niveau pratique, de passer des « mathématiques pures » de « The

Manhattan Transcripts » à des mathématiques appliquées… L’autre stratégie

implique d’ignorer les précédents en construction, afin de partir sur une configuration mathématique neutre ou des configurations topologiques idéales (grilles, systèmes linéaires ou concentriques, etc.) qui pourraient devenir les points de dé- part de transformations futures »24

Le passage des « mathématiques pures » aux « mathématiques appliquées » est ici une métaphore, pour signifier le passage d'une théorie à la pratique, d'un concept à son exécution. Les Transcripts de Tschumi étant (nous le verrons plus tard) une base théorique, une réflexion conceptuelle sur l'architecture et l'événement qui a alimenté une grande partie de sa production et de ses projets.

Réduire donc le déconstructivisme à une architecture sans recherche, sans base théorique, purement démonstrative, sur la seule critique des quelques essais malencontreux menés par des critiques et observateurs paraît donc un peu rapide. Quant à la philosophie de la déconstruction ; il est vrai qu'elle peut sembler impénétrable au premier abord. Les textes de Derrida sont réputés difficiles à lire. Cela contribue d'ailleurs évidemment à rendre les origines de l'architecture

23. SALINGAROS Nikos A. Anti-Architecture et déconstruction. Solingen : Umbau- Verlag, 2005, p. 100 24. Ibid. p.187

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des déconstructivistes insaisissable. Peu de critiques ou théoriciens ont cherché à comprendre comment a été (ou si cette philosophie avait vraiment été) réinterprétée dans l'architecture. Et si tel est le cas, dans quel but ? Le voile sur la théorie du déconstructivisme ne s'en fait donc que plus épais.

Cependant, on ne peut nier l'intérêt (ou même l’existence) de la parenté qu'entretient (ou que prétend entretenir) l'architecture déconstructiviste avec la déconstruction sans avoir étudié les différents écrits à ce sujet, notamment ceux de Peter Eisenman, Bernard Tschumi, ou même de Jacques Derrida lui-même. A avoir été prise pour ce qu'elle n'est pas, l'architecture déconstructiviste a donc subi de nombreuses critiques. Ces différents débats, ces non-dits, ces pré- supposés, n'ont donc au final fait qu'obscurcir la véritable origine de l'architecture déconstructiviste, sa vraie recherche. Aujourd'hui les préjugés persistent sur ces bâtiments trop souvent qualifiés de sculptures, jugés parfois trop démonstratifs ou trop dépensiers. En rupture avec l'histoire de l'architecture. Déconnectés des autres bâtiments de la ville.

Pour tenter de comprendre la véritable origine de ces bâtiments, de cette architecture, nous allons donc passer au-delà de cette première approche « critique », cet état des lieux de la pensée commune sur le déconstructivisme. Mettre de côté le préjugé « d'archi-sculpture », oublier les prétendues origines scientifiques. Même écarter temporairement la parenté parfois affichée avec Jacques Derrida, pour essayer de comprendre quand, comment et pourquoi cette architecture s'est développée. Qu'est-ce qui a fait qu’en 1988, sept architectes menant leurs activités respectives aux quatre coins de la planète se sont retrouvés réunis lors d'une exposition au MoMa ? Comment conçoivent-ils leur architecture ? Suite à quelles influences, quelle pensée, quel raisonnement naissent ces formes ?

Pour répondre à ces questions, nous allons donc, dans un premier temps, replacer le déconstructivisme dans sa « généalogie » architecturale, dans le fil historique. Puis nous observerons la pratique individuelle de chacun des architectes invités à l'exposition du MoMa pour observer leurs processus de conception, comment ils créent leurs formes et sous quelles influences ? Cette enquête nous permettra de mettre à jour ce qu'est réellement l'architecture déconstructiviste.

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fig. 11 (ci-contre) : Nikolái Suetin, Suprematismo, 1920-1921

Pour tenter de comprendre l'origine de l'architecture déconstructiviste, il faut la replacer dans son contexte historique. Car, comme souvent dans les domaines « artistiques », l'apparition d'un nouveau « courant » s'oppose à un ancien. Le déconstructivisme n'échappe pas à cette règle. Nous allons voir qu'il s'inscrit en effet dans une longue remise en question du mouvement moderne architectural. Tous les dogmes développés par celui-ci ont en effet rencontré de nombreuses contestations, depuis les années 1960. Nous commencerons donc par présenter la chronologie et les préceptes du mouvement moderne, avant de retracer l'histoire de ses critiques. Ce récapitulatif condensé des différentes critiques s'avère en effet indispensable pour pouvoir observer par la suite comment l'architecture déconstructiviste prend position par rapport à elles. Si elle les complète, les approuve, les réfute, s'en inspire, ...

En replaçant le déconstructivisme dans l'histoire de l'architecture, nous tenterons de comprendre comment il est né, sur quels principes il se base, et selon quels concepts il s’est développé. Pour cela, nous nous appuierons sur la présentation du discours déconstructiviste appliqué à l’architecture tel qu'il fut défini pour l'exposition « Deconstructivist Architecture » au MoMa de New York en 1988.

LE DISCOURS DECONSTRUCTIVISTE DANS L’HISTOIRE

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