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2. LES EIE EN DROIT NATIONAL : LE REGIME APPLICABLE DANS LES EAU

2.4. À L’INTERSECTION DES EIE TERRITORIALES ET FEDERALE

2.4.1. Une imbrication des régimes d’EIE complexe

Le régime d’EIE applicable pour un projet entrepris dans l’Arctique canadien soulève ainsi de nombreuses complexités en raison de l’application des deux procédures d’EIE issues des accords concernant les revendications territoriales. Cependant pour les projets d’extraction d’hydrocarbures, les EIE réalisées par les organismes d’évaluation issus de ces accords ne peuvent pas remplacer une EIE réalisée par l’ONÉ561.

Une telle substitution aurait permis la réalisation d’évaluations plus complètes dans la mesure où l’étendue des informations contenues au sein des EIE territoriales a une portée généralement plus large et diffère considérablement des exigences attendues au niveau fédéral562. Néanmoins, les EIE territoriales peuvent toujours être réalisées indépendamment de

celle conduite au niveau fédéral par certaines instances de la RDI et du Nunavut563. En effet, la

LCEE reconnait le CERE, le BERE et la CNER comme des instances territoriales ayant des attributions relatives à l’évaluation des effets environnementaux564.

Sous les dispositions de l’article 18 de la LCEE, le MAADNC est tenu de consulter et collaborer avec ces organismes. Durant ce processus, ils peuvent donc émettre leurs recommandations concernant le développement du projet après avoir réalisé une EIE territoriale.

Les procédures d’EIE territoriales sont plus inclusives dans la mesure où les accords dont elles sont issues symbolisent pour certains une reprise du contrôle des terres ancestrales par les communautés autochtones565. Ces accords ont un impact significatif sur l’exercice de la

juridiction sur les ressources naturelles566. L’ARTN et la CDI reconnaissent le droit des

communautés à être impliquées au sein des processus décisionnaires concernant la gestion des terres. À cet égard, l’ARTN indique dans son préambule que son objectif est de :

“ […] déterminer de façon claire et certaine les droits de propriété, d'utilisation et d'exploitation des terres et des ressources, ainsi que le droit des Inuits de participer à la prise de décisions concernant l'utilisation, l'exploitation, la gestion et la conservation des terres, des eaux et des ressources, notamment au large des côtes.”

561 Art. 33 (a) LCEE.

562 R. B. GIBSON, préc., note 74, 182.

563 UNIVERSITY OF WESTERN ONTARIO, L.WRIGHT et J. P. WHITE, préc., note 435,11. 564 Art. 2 LCEE.

565 Thierry RODON et Aude THERRIEN, « Resource Development & Land Claim Settlements in the Canadian Arctic: Multilevel Governance, Subsidiarity and Streamlining », (2015) Arctic Yearbook 1, 9.

Des formules similaires sont également présentes dans la CDI567. Cependant, la logique

véritablement employée par ces accords est de créer de nouveaux droits déterminés issus de traités pour les communautés autochtones en échange de l’abandon de certains droits ancestraux568 :

“The term treaty right is therefore used here to refer specifically to rights recognized in an historical or modern treaty. This assumes that, for most of Canada, the conclusion of an historical or modern treaty means that any aboriginal rights and title that preceded the treaty have been extinguished and replaced with rights or title founded in the treaty instrument itself.”569

Les droits ancestraux sont des droits collectifs basés sur l’occupation originelle des terres canadiennes par les premières nations. Ils sont reconnus par l’article 35 (1) de la Loi

constitutionnelle de 1982570. L’occupation traditionnelle des terres par les communautés

autochtones peut déboucher sur la reconnaissance d’un titre ancestral571. Une telle

reconnaissance implique le « droit de contrôler la terre » et un développement économique sur ces territoires nécessitera le consentement du peuple autochtone572. Si le gouvernement ne peut

l’obtenir, il doit s’acquitter de son obligation de consultation et justifier son atteinte au titre ancestral selon les termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982573.

Ainsi, en abandonnant leurs revendications portant sur les droits et titres ancestraux au profit de droits nouveaux reconnus par les accords de revendications territoriales, les communautés autochtones affaiblissent leur capacité à contraindre le gouvernement à justifier plus lourdement la raison et la nécessité des projets de développement économique qu’il suggère.

567 Art. 1 (b) : « La Convention reflète respectivement les objectifs formulés […] permettre aux Inuivialuit d’être des participants à part entière dans la société ainsi que de l’économie nordique nationale ».

568 Préambule ARTN ; C. PELAUDEIX, préc., note 544, 11. Les Inuits ont échangé des titres ancestraux contre un titre de propriété légal (majoritairement terrestre), des concessions financières et divers autres droits portant sur leurs activités traditionnelles.

569 Kirk N. LAMBRECHT Q.C, Aboriginal Consultation, Environmental Assessment, and regulatory Review in Canada, Saskatchewan, University of Regina Press, 2013, p.16.

570 R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, par.74 ; Voir para.46 : « pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question ».

571Delgamuukw c. Colombie-Britannique [1997] 3 RCS 1010, par.143. Dans ce jugement un test est fourni pour prouver l’existence d’un titre aborigène. Le groupe autochtone doit avoir occupé le territoire avant l’affirmation de la souveraineté, il doit exister une continuité entre l’occupation actuelle et l’occupation antérieure à l’affirmation de la souveraineté, cette occupation doit avoir été exclusive.

572 Tsilhqot’in c. Colombie britannique, [2014] 2 R.C.S 256, par.76. 573 Id., par.90.

Néanmoins, comme on a pu le voir au sein du régime mis en place au niveau fédéral, la participation des communautés autochtones tient une place importante au sein du système d’EIE canadien. L’approche employée par le Canada vise principalement à évaluer les effets environnementaux négatifs au travers des effets qu’ils pourraient avoir sur la jouissance des droits autochtones. De cette manière, la participation des communautés autochtones au sein de l’EIE reste étroitement liée à l’obligation de consultation incombant à la Couronne :

“[P]utting it simply, the duty to consult doctrine says that governments must consult prior to making decisions that may affect claimed aboriginal or treaty rights, even prior to final judicial determination or negotiated settlement on those rights.” 574

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