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environnementale de la monarchie

Introduction

Cette recherche s’inscrit pleinement dans l’histoire environnementale qui peut être définie comme « l’étude des interactions entre l’environnement physique et les sociétés humaines dans le passé1 ». Considérée en tant qu’approche ou champ d’étude historique à part entière, la

discipline s’est développée à partir des années 1970 aux États-Unis. Elle s’est largement diversifiée et diffusée dans les années 1990, tout en portant un regard critique sur ses fondements, notamment à travers la remise en question de l’existence d’une dichotomie homme/nature qui caractérisait ses premiers travaux. L’objectif de ce chapitre n’est pas de retracer l’historiographie du champ dans son intégralité mais d’étudier comment, en définissant les interactions entre l’homme et le milieu comme une relation de co-construction qui se manifeste dans les domaines matériel, intellectuel, politique et social, en incluant l’eau comme objet d’étude et l’Europe moderne comme cadre spatio-temporel, il peut s’imposer comme un des paradigmes possibles de l’analyse de la construction de l’État d’Ancien régime.

Les contributions de la discipline à l’étude de la France d’Ancien régime sont encore peu nombreuses. Toutefois, son historiographie peut s’enrichir de travaux antérieurs ou contemporains qui, sans se réclamer explicitement de l’histoire environnementale, voire émanant d’autres sciences, traitent de l’environnement en général et de l’eau en particulier dans une perspective historique. À quelques exceptions près, l’intérêt pour l’histoire de l’eau à l’époque moderne, à fortiori sur le Canada et l’Alsace, restent rares. Un état de la question qui ne se restreint pas à l’historiographie française et canadienne, montre qu’il est néanmoins possible de s’appuyer sur des travaux qui ont aussi questionné les relations homme-milieu pour d’autres périodes ou d’autres aires géographiques.

L’histoire environnementale peut contribuer à enrichir celle de la construction de l’État moderne et, plus spécifiquement, celle de la monarchie française des XVIIe et XVIIIe siècles. Les

recherches dans ces domaines ont d’ores et déjà permis de nuancer certains caractères donnés

pour acquis sur l’Ancien régime, notamment ceux de l’absolutisme du pouvoir royal. Elles ont aussi relativisé le caractère délibéré et linéaire des mesures qui ont conduit au développement de l’État et de l’administration du royaume. Réciproquement, l’approche politique et administrative invite à considérer d’autres échelles d’études que celles globales et macrorégionales qui sont privilégiées en histoire environnementale. L’analyse des dynamiques environnementales reconnues et intégrées par les agents de la monarchie et propres à un territoire politique ouvrent la voie à de nouvelles approches et par conséquent, à de nouvelles études sur la construction politique et administrative de l’État français et sur le rapport à l’environnement. Celles-ci s’inscrivent pleinement dans le champ récent de l’hydro-histoire, qui invite à envisager la gestion de l’eau au-delà des simples questions techniques pour interroger « la façon dont s’organisent les rapports sociaux autour de l’eau1 », et par conséquent,

le rôle de cette dernière dans la construction des territoires.

1.1. De l’étude de l’environnement à l’hydro-histoire

Il ne s’agira pas de reprendre en détail l’émergence et le développement de l’histoire environnementale comme discipline, qui ont déjà fait l’objet de nombreux travaux2, mais d’en

rappeler les principaux enjeux et la manière dont a évolué la discipline, et notamment l’histoire de l’eau, bénéficiant de l’extraordinaire dynamisme du champ sans nécessairement pâtir de son manque de cadres fixes.

1.1.1. L’émergence de l’environmental history américaine

L’histoire environnementale en tant que discipline historique s’est développée dans les années 1970, capitalisant sur deux mouvements concomitants de la décennie précédente. Le premier est celui du militantisme environnementaliste américain, qui s’empare de la question des risques environnementaux et qui culmine avec l'organisation du premier « Jour de la Terre » (Earth

day) le 22 avril 1970, et la création de l’Environmental Protection Agency3. La parution en 1962

de l’ouvrage de la biologiste Rachel Carson¸ Silent Spring, sur l’impact environnemental des

1 FOURNIER Patrick, « Les leçons d’une hydro-histoire : quelques pistes de réflexion », Siècles. Cahiers du Centre

d’histoire «  Espaces et Cultures » (42), 2015, p. 9.

2 WHITE Richard, « American Environmental History: The Development of a New Historical Field », Pacific

Historical Review 54 (3), 1985, p. 297‑335 ; HUGHES J. Donald, What is environmental history ?, Cambridge, Polity, 2006 ; LOCHER Fabien et QUENET Grégory, « L’histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d’un nouveau chantier », Revue d’histoire moderne et contemporaine 56 (4), 2009, p. 7‑38 ; FRESSOZ Jean- Baptiste, GRABER Frédéric, LOCHER Fabien et al., Introduction à l’histoire environnementale, Paris, La Découverte, 2014.

pesticides est un des principaux déclencheurs de cette prise de conscience1. Elle s’appuie sur

une tradition de conservation des espaces naturels, portée par les sphères politiques et scientifiques pour des motivations écologiques, patrimoniales ou simplement économiques depuis la fin du XIXe siècle, mais qui intéresse aussi d’autres acteurs pour des questions de santé,

de loisirs ou d’esthétique, en particulier après la Seconde Guerre mondiale. En conséquence des mouvements environnementalistes, l’idée se répand également dans les sphères militantes et scientifiques, que la nature est progressivement dégradée par les activités humaines, remettant en question les bénéfices jusqu’alors reconnus aux avancées technologiques2.

Le second facteur qui conduit à l’émergence de l’histoire environnementale est la critique, à la même période, de la « grande histoire » politique et intellectuelle, descriptive et se voulant objective, qui a permis l’émergence de nouvelles approches se focalisant sur l’étude des contrastes sociaux ou des minorités exploitées3. C’est dans la continuité de cette New Left

history que s’inscrit la nouvelle discipline, qui est comme l’explique Roderick Nash dès 1972 :

« une histoire « depuis le bas vers le haut », sauf que l’élément exploité serait le biote et la terre eux-mêmes4 ».

Alimentée par ces deux courants qui génèrent chacun leurs discours et leurs méthodes centrés sur la réflexion autour d’un environnement menacé et exploité, la jeune discipline historique se développe d’abord autour de deux notions, celles de la wilderness et de la frontier. La première, dont la traduction en français est sujette à débats5, désigne la nature sauvage des espaces non

anthropisés, où le biotope n’a pas été modifié par l’action de l’homme, une notion qui selon les premiers historiens de l’environnement, est indissociable du rapport à la nature dans l’esprit des Américains6. La seconde notion désigne la frontière invisible sans cesse repoussée lors de la

Conquête de l’Ouest américain, à mesure que les Occidentaux s’implantaient dans de nouveaux

1 CARSON Rachel Louise, Silent Spring, Greenwich, Fawcett, 1962.

2 WHITE Richard, « American Environmental History: the Development of a New Historical Field », 1985, p. 298‑318 ; HUGHES J. Donald, What is environmental history ?, 2006, p. 39‑40.

3 HOGEBOOM Willard L., « The New Left and the Revision of American History », The History Teacher 2 (1), 1968, p. 51‑55.

4 « This would indeed be history “from the bottom up”, except that here the exploited element would be the biota and the land istelf » NASH Roderick, « American Environmental History: A New Teaching Frontier », Pacific

Historical Review 41 (3), 1972, p. 363.

5 On peut trouver la traduction « naturalité », mais on constate surtout le recours aux périphrases « nature sauvage » ou « nature vierge », quand le terme wilderness n’est pas directement utilisé. BARTHOD Christian, « Le retour du débat sur la wilderness », Revue Forestière Française (1), 2010, p. 57.

6 HUGHES J. Donald, What is environmental history ?, 2006, p. 39 ; LOCHER Fabien et QUENET Grégory, « L’histoire environnementale… », 2009, p. 9 ; Roderick Nash est l’un des premiers à intégrer ce concept dans une réflexion plus globale sur l’environnement, établissant ainsi un lien entre l’histoire intellectuelle et ce qui deviendra l’histoire environnementale. NASH Roderick, Wilderness and the American mind, New Haven, Yale University Press, 1967.

territoires. Elle est aussi fondatrice de la vision américaine traditionnelle de l’environnement, à l’origine selon Roderick Nash de conceptions telles que le caractère inépuisable des ressources naturelles, le processus de civilisation comme synonyme de progrès ou l’utilitarisme. L’idée centrale qui sous-tend la réflexion autour de ces deux notions est l’existence d’une Nature avec un N majuscule, vierge et sauvage, dont l’intégrité est incompatibleavec les activités humaines qui la dégradent. Les recherches s’orientent ainsi sur des thèmes comme le déclin ou la dégradation des ressources et de l’environnement. À sa naissance, la discipline est ainsi essentiellement « biocentrique » et « anthropophobe1 ». C’est notamment avec cette approche

particulièrement pessimiste qu’Alfred W. Crosby propose l’une des premières réflexions sur la rencontre entre les Européens et l’Amérique. L’auteur insiste en effet non seulement sur les échanges biologiques entre les deux mondes, mais aussi et surtout sur les dommages que les organismes européens (animaux et microbes) ont causés à l’environnement américain2. Dans le

paysage de la discipline naissante, centrée sur les États-Unis contemporains, l’ouvrage fait toutefois figure d’exception puisqu’il s’intéresse à l’ensemble du territoire américain et porte sur l’époque moderne.

Par ailleurs, l’eau devient rapidement l’un des objets d’étude idéaux de l’histoire environnementale : la discipline s’intéresse d’abord, aux politiques états-uniennes de gestion de l’eau qu’elle étudie à l’échelle d’une région ou d’un bassin versant, à l’époque contemporaine (XIXe et XXe siècles). Les travaux concernent surtout les zones rurales de l’ouest

américain – les villes ne font que rarement l’objet de recherche. L’eau est toujours abordée comme une ressource qu’il faut étudier selon l’évolution des droits d’accès, d’exploitation, d’aménagements parfois conflictuels, et qui conduit à des évolutions juridiques, économiques, sociales et environnementales qui, à la fois, les motivent et en découlent3. Parmi les premiers

auteurs à se pencher sur la question, Norris Hundley puis Robert Dunbar s’intéressent à l’évolution des droits d’accès à l’eau, y compris ceux des Amérindiens, le premier dans le contexte de l’accord Colorado River Compact (1922), le second à une échelle spatio-temporelle plus large incluant une grande partie de l’Ouest américain des XIXe et XXe siècles4. Les deux

études inscrivent ces considérations juridiques dans une réflexion plus large sur les relations

1 JUDD Richard, « Approches en histoire environnementale. Le cas de la Nouvelle-Angleterre et du Québec »,

Globe : Revue internationale d’études québécoises 9 (1), 2006, p. 72‑73.

2 CROSBY Alfred W, The Columbian exchange: biological and cultural consequences of 1492, Westport, Conn., Greenwood Press, 1972.

3 WHITE Richard, « American Environmental History… », 1985, p. 327.

4 HUNDLEY Norris, Water and the West: the Colorado River Compact and the politics of water in the American

West, Berkeley, University of California Press, 1975. ; DUNBAR Robert G., Forging new rights in western waters, Lincoln, University of Nebraska Press, 1983.

entre politiques économiques et gestion de l’eau. Marqués par une forte filiation avec l’histoire intellectuelle et par les considérations environnementalistes, ces travaux restent par ailleurs confidentiels, centrés sur les États-Unis, qui est alors le seul pays où l’histoire environnementale est pratiquée1.

Dans les années 1980, l’histoire environnementale se développe en se dotant de nouvelles approches et de nouveaux objets tout en réexaminant d’anciennes études à l’aune de leurs rapports à l’environnement. Ainsi, des espaces (le sud des États-Unis ou la Nouvelle- Angleterre), des phénomènes (la révolution scientifique baconienne), voire des « histoires totales « (le feu) sont abordées sous l’angle de vue environnemental2. Si la discipline reste très

américaine, elle s’efforce néanmoins de se structurer, sans toutefois instaurer de nouvelles méthodes. Il s’agit plutôt de « mettre de la nature dans l’histoire, le plus possible, pour faire surgir des thèmes qui n’ont jamais été étudiés jusque-là3 ». C’est dans ce contexte et dans le

sillage d’Alfred Crosby sur les conséquences de la colonisation qu’apparaît en 1983 une autre étude s’intéressant à l’époque moderne : Changes in the Land de William Cronon, analyse les impacts écologiques de la colonisation de la Nouvelle-Angleterre4. En accord avec les clés de

lectures des relations environnementales qui prévalent alors, il présente une histoire du milieu naturel bouleversé par les activités humaines, une interaction inégale au cours de laquelle la reproduction d’un « mode de vie ancien et familier » par les colons dans un nouveau territoire débouche sur « un nouvel ordre écologique « pour l’écosystème et les populations autochtones5.

S’il omet de mentionner d’éventuelles adaptations des Européens à leur environnement, William Cronon confirme néanmoins par cette étude qu’il est possible de faire de l’histoire environnementale à une période précédant la naissance du concept même d’environnement. Dans le domaine de l’eau, les études restent centrées sur l’aspect ressource et sur l’époque contemporaine, mais se concentrent désormais davantage sur les questions de gouvernance suscitées par la gestion des réseaux hydrographiques. Donald Pisani et Nelson Blake abordent cette thématique sous l’angle des conflits d’usage en s’intéressant au contexte qui entoure les

1 De fait, malgré l’existence depuis 1964 de l’American Water Resources Association, qui dispose d’un journal publiant de façon sporadique des travaux d’histoire de cette eau-ressource, ces derniers restent rares jusqu’à la fin des années 1970. LEE Lawrence B., « Water Resource History: A New Field of Historiography ? », Pacific

Historical Review 57 (4), 1988, p. 457‑467.

2 Tous ces exemples sont cités par LOCHER Fabien et QUENET Grégory, « L’histoire environnementale… », 2009, p. 9‑10.

3 Ibid., p. 11.

4 CRONON William, Changes in the land: Indians, colonists, and the ecology of New England, 1st rev. ed., 20th- anniversary ed, New York, Hill and Wang, 2003.

politiques d’aménagement liées à l’eau aux XIXe et XXe siècles, respectivement en Californie et

en Floride. Tous deux montrent comment, à travers des aménagements destinés au développement économique des territoires (irrigation, canalisation, adduction…), le contexte sociopolitique et le milieu physique ont évolué de concert, marqués notamment par une raréfaction de l’eau. Le risque que représente cette dernière, au même titre que celle d’autres ressources naturelles, semble être d’ailleurs un des thèmes de prédilection des historiens de l’eau dans ces années 19801. Dans la même mouvance critique de l’aménagement hydraulique

à outrance, en particulier des canaux d’irrigation, à des fins de développement économique et de l’analyse de son impact sociétal, Rivers of Empire de Donald Worster fait figure de référence, malgré les controverses qu’il suscite. L’ouvrage reprend la notion de « société hydraulique » conceptualisée par Karl Wittfogel2 pour l’appliquer à l’Ouest américain. Selon Worster, la

volonté de développement agricole de l’Ouest a conduit à l’établissement d’une « société hydraulique » américaine, fondée sur une administration politique, économique et technique qui serait « un système coercitif, monolithique et hiérarchique, dirigé par une élite dont le pouvoir est basé sur la détention de capital et d’expertise3 ». Pour la première fois en histoire

environnementale des travaux lient la maîtrise de l’hydraulique et les moyens d’encadrement des populations et de gestion des territoires.

1.1.2. Les critiques des fondements de la discipline dans les années 1990

Au milieu des années 1990, une évolution majeure affecte la discipline. Une réflexion en profondeur sur les fondements de l’histoire environnementale s’engage, motivée par deux critiques, l’une issue d’historiens extérieurs à la discipline, l’autre au sein même de ses praticiens, alors essentiellement américains.

La première est le fait de chercheurs étrangers critiquant l’érection de l’histoire environnementale américaine, ses concepts et ses notions fondatrices, en discipline universelle, alors même que d’autres traditions « environnementalisantes » sont observables, notamment en Inde, en Angleterre ou en France4. La critique est le résultat indirect de l’internationalisation et

à la diffusion de l’histoire environnementale depuis la fin des années 1980, marquée par le

1BLAKE Nelson Manfred, Land into water-water into land: a history of water management in Florida, Tallahassee, University Presses of Florida, 1980 ; PISANI Donald J, From the family farm to agribusiness: the irrigation crusade

in California and the West, 1850-1931, Berkeley, University of California Press, 1984.

2 WITTFOGEL Karl August, Oriental despotism: a comparative study of total power, New Haven, London, Yale University press, Oxford University press, 1957.

3 WORSTER Donald, Rivers of Empire: Water, Aridity, and the Growth of the American West, New York, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 7.

développement de structures académiques et scientifiques (associations, revues, cours), en Europe notamment. Cette ouverture permet en effet la confrontation des fondements américains de la discipline avec les historiographies européennes et asiatiques, et conduit à l’agrégation d’autres champs et d’autres objets, ainsi qu’à la diversification des approches et les thématiques. La seconde critique est le fait de William Cronon, qui jette un pavé dans la mare de l’histoire environnementale en expliquant en 1996 que la nature, et notamment la wilderness, est socialement construite1, alors qu’on la considérait avant comme une entité ahistorique et vierge

de toute intervention anthropique en opposition à une culture à proprement parler historique, qui relèverait exclusivement du social2. La remise en question de cette dichotomie

nature/culture ouvre notamment la voie à de nouvelles approches, de nouveaux objets et de nouveaux espaces d’étude. Elle conduit, par exemple, au développement de l’histoire environnementale de l’urbain, qui devient dès lors un espace d’étude légitime3, mais surtout, à

une nouvelle manière de concevoir les dynamiques environnementales comme des influences permanentes et réciproques entre l’homme et le milieu physique, quel que soit le domaine : matériel, idéel, politique. Participant du tournant culturel tardif de la discipline, les historiens de l’environnement reconnaissent que les milieux physiques et humains se situent au croisement d’une réalité matérielle et d’un contexte socioculturel4.

L’eau n’échappe pas à cette évolution épistémologique, qui permet aux chercheurs de remettre en question une vision occidentale séculaire d’un élément unique et immuable. Cette « eau moderne5 » ou « eau-entité neutre6 » définie selon ses caractéristiques chimiques, ce qui

permettait de l’ériger en réalité universelle, était jusqu’alors le paradigme dominant. On peut retracer l’origine de cette abstraction dans les milieux scientifiques européens de l’époque moderne : Pierre Goubert et Christopher Hamlin datent tous deux l'avènement de ce paradigme à la fin du XVIIIe siècle et aux avancées de la chimie moléculaire. Pour sa part, Jamie Linton la

situe plus tôt, au milieu du XVIIIe siècle lorsqu’apparaissent des sciences hydrologiques7.

1 CRONON William, « The Trouble with Wilderness: Or, Getting Back to the Wrong Nature », Environmental

History 1 (1), 1996, p. 7‑28.

2 INGOLD Alice, « Écrire la nature. De l’histoire sociale à la question environnementale ? », Annales. Histoire,

Sciences Sociales 66 (1), 2011, p. 20.

3 POITRAS Claire, « L’histoire urbaine environnementale au Québec. Un domaine de recherche en émergence »,

Globe 9 (1), 2006, p. 93‑111 ; MASSARD-GUILBAUD Geneviève, « Pour une histoire environnementale de l’urbain », Histoire urbaine 18 (1), 2007, p. 5‑21.

4 WHITE Richard, « From Wilderness to Hybrid Landscapes: The Cultural Turn in Environmental History », The

Historian 66 (3), 2004, p. 557‑564.

5 LINTON Jamie, What is water? the history of a modern abstraction, Vancouver, UBC Press, 2010. 6 ERTSEN Maurits Willem, « Book Reviews », Water History 3 (1), 2011, p. 63.

7 GOUBERT Jean-Pierre, La conquête de l’eau : l’avènement de la santé à l’âge industriel, Paris, France, Robert Laffont, 1986 ; HAMLIN Christopher, « “Waters” or “Water” ? — master narratives in water history and their

Atemporelle et présente, sous un de ses trois états, partout sur la planète, l’eau est devenue pour les deux siècles suivants, dans sa conception scientifique et politique moderne, l’élément naturel par excellence, indépendante de tout contexte socio-culturel particulier.

Dans les années 1990, les historiens de l’environnement prennent conscience que cette conception est à la fois réductrice et abusive, et bride les perspectives de recherches en sciences sociales et environnementales. Donald Worster notait déjà 1985 que « rien ne peut être extrait complètement de son contexte, ou ne peut être déclaré construit seul, en parfaite isolation1 ». À

sa suite, d’autres chercheurs dressent le même constat : les éléments et milieux considérés comme exclusivement naturels ou à l’inverse artificiels sont en réalité le résultat de processus complexes d’interactions homme-milieux, sur les plans matériels et idéels2. La

« dénaturalisation » de l’eau, c’est-à-dire son étude en tenant compte des contextes physique, social, politique et culturel, de sa relation avec d’autres dynamiques humaines et environnementales, est indispensable à son historicisation.

L’histoire de l’eau devient, au même titre que d’autres histoires environnementales, une histoire au croisement des sphères humaines et biophysiques, s’inscrivant à la fois dans un lieu et dans

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