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Un personnel administratif au service de la connaissance du territoire

territoire

Introduction

Pour mieux gérer ses nouveaux territoires, le pouvoir royal y instaure – à l’instar de provinces plus anciennes – une administration qui collabore avec le pouvoir central et relaie son autorité militaire, judiciaire ou de police : gouverneurs, cours souveraines et intendants participent tous de l’affirmation du pouvoir royal et de la construction de l’État moderne. Le rôle de ces acteurs a largement été étudié, y compris en Alsace et au Canada. Les historiens ont beaucoup écrit sur les institutions de l’État en Nouvelle-France, en n’évitant que rarement l’écueil d’en proposer une lecture structurelle, idéalisée et cloisonnée, sans tenir compte des liens qu’elles peuvent entretenir avec le reste de la société coloniale ou de la pluralité de ses manifestations selon les espaces1. Plus récemment, des travaux adoptant d’autres approches ont cherché à dépasser cette

vision : des études synthétiques ou comparées ont permis d’analyser le fonctionnement des structures de l’État dans leur contexte2. Pour l’Alsace, les travaux de Georges Livet, puis de

François Burckard et d’Alain Lemaître ont montré le rôle essentiel de l’intendance et du conseil souverain dans l’intégration de la province au royaume en tenant justement compte des relations de ces institutions avec le pouvoir central et avec les différents acteurs de la province, qu’il s’agisse d’autres relais de l’autorité royale, des corps intermédiaires, des princes étrangers ou du clergé3. Il convient toutefois d’en rappeler les grandes lignes, en insistant sur les

1 Cette critique est notamment formulée par Catherine Desbarats, et reprise par Marie-Ève Ouellet. Elles donnent de nombreux exemples de cette approche qui a tendance à «  réduire l’État à un amalgame abstrait de formes institutionnelles réifiées ». DESBARATS Catherine, « La question de l’État en Nouvelle-France », in JOUTARD Philippe et WIEN Thomas, Mémoires de la Nouvelle-France. De France en Nouvelle-France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 196 ; OUELLET Marie-Ève, Et ferez justice : le métier d’intendant au Canada et

dans les généralités de Bretagne et de Tours au 18e siècle (1700-1750), Rennes, Montréal, Université de Rennes 2,

Université de Montréal, 2014, p. 27‑31. On trouvera dans ces deux travaux de nombreuses références à cette approche structurelle, ainsi qu’à celles qui ont su la dépasser.

2 Parmi les exemples les plus marquants, DECHÊNE Louise, Le partage des subsistances au Canada sous le régime

français, Montréal, Boréal, 1994 ; HORGUELIN Christophe, La prétendue république: pouvoir et société au

Canada, 1645-1675, Sillery, Québec, Septentrion, 1997 ; DECHÊNE Louise, Le peuple, l’État et la guerre au

Canada sous le Régime français, Montréal, Boréal, 2008 ; OUELLET Marie-Ève, Et ferez justice, 2014.

3 LIVET Georges, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, 1648-1715, Paris, Les Belles Lettres, 1956 ; BURCKARD François, Le conseil souverain d’Alsace au XVIIIe siècle, représentant du roi et défenseur de la province,

responsabilités de ces relais du pouvoir royal dans les provinces en matière de gestion de l’eau, sur leurs relations avec le pouvoir central, ainsi que sur leur rôle majeur dans la connaissance du territoire pour l’administration monarchique.

Parmi les outils indispensables à l’appropriation d’un territoire, a fortiori d’un territoire nouveau et mal connu, l’enquête fait partie des pratiques régulières des administrateurs, et notamment des intendants. Le Canada et l’Alsace font toutefois figure d’exception par le nombre particulièrement élevé de ces enquêtes, qui prennent la plupart du temps la forme de mémoires destinés au pouvoir central ou aux successeurs de leurs rédacteurs, et plus rarement celle d’une succession de lettres, d’un journal ou d’une histoire naturelle. Porteuses d’information sur l’organisation physique et sociale du territoire, ses ressources et ses enjeux, ces synthèses ont été largement utilisées dans l’historiographie de la Nouvelle-France1, plus

rarement en Alsace2.

Peu d’études, en revanche, se sont intéressées à la manière dont ces relais de l’autorité royale en province comprenaient et présentaient leur environnement, ce qu’ils retenaient et faisaient figurer dans des travaux censés décrire l’état du pays. Au côté de l’organisation générale du territoire, ainsi que du climat, auquel les autorités du Canada apportent une attention toute particulière3, les rivières sont systématiquement évoquées, mais qu’en retiennent vraiment les

administrateurs ? En décrit-on le cours ? Le régime hydrologique ? Les enjeux qu’ils représentent pour le pouvoir royal ? Les descriptions mentionnent toutes l’organisation du réseau hydrographique et le régime des cours d’eau principaux, prouvant que les autorités royales s’intéressent à cet élément structurant de l’organisation spatiale du territoire. Des

Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales de l’Est 50 (2), 2000, p. 205‑232 ; LEMAÎTRE Alain J., « L’autonomie dans la dépendance : le conseil souverain d’Alsace sous Louis XIV », in AUBERT Gauthier et CHALINE Olivier (dir.), Les parlements de Louis XIV : opposition, coopération, autonomisation : actes du colloque de Rennes, 13-15 novembre 2008, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de

Bretagne, 2010, p. 133‑150 ; LEMAÎTRE Alain J., « Le Conseil souverain d’Alsace et l’héritage impérial », in DAUCHY Serge, DEMARS-SION Véronique, LEUWERS Hervé et al. (dir.), Les parlementaires, acteurs de la vie

provinciale: (XVIIe- XVIIIe siècles) ; [actes du colloque tenu à Douai le 17 - 18 novembre 2011], Rennes, Presses

universitaires de Rennes, 2013, p. 145‑158.

1 Le jésuite Charlevoix, dont le Journal fait partie de notre corpus de mémoire, s’appuyait déjà sur l’œuvre de ses prédécesseurs. Au XIXe siècle, des récits comme ceux de Pierre Boucher ou de Charlevoix, publiées, étaient connues et utilisées, par exemple par F.-X. Garneau ou M.-E. Faillon. GARNEAU François-Xavier, Histoire du

Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, Québec, Napoléon Aubin, 1845 ; FAILLON Michel-Étienne,

Histoire de la colonie française en Canada, Villemarie, Bibliothèque paroissiale, 1865.

2 LIVET Georges, Les Intendants d’Alsace et leur œuvre : 1648-1789, Strasbourg, F.-X. Leroux, 1948 ; LEMAÎTRE Alain J., « L’enquête administrative dans la gestion territoriale de l’Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales de l’Est. L’historien face à l’espace : paysages et cartographie. Actes de l’Université d’hiver de Saint-Mihiel, 26- 28 novembre 2009, 2010, p. 157‑168.

3 Voir notamment COATES Colin et DEGROOT Dagomar, « “Les bois engendrent les frimas et les gelées” : comprendre le climat en Nouvelle-France », Revue d’histoire de l’Amérique française 68 (3‑4), 2015, p. 197.

différences de traitement apparaissent toutefois entre l’Alsace et le Canada, entre les fleuves et leurs affluents, entre les premiers écrits du milieu du XVIIe siècle et ceux plus complets du XVIIIe siècle traduisant les contrastes dans la connaissance et l’appropriation du territoire. Au

Canada, si le Saint-Laurent est décrit avec attention, les autres rivières sont à peine mentionnées, rarement détaillées. En Alsace, à l’inverse, chaque cours d’eau important est présenté depuis sa source, avec ses atouts et ses enjeux économiques ou militaires.

3.1. De nouveaux acteurs : hommes et moyens

L’Alsace comme la Nouvelle-France dépendent au niveau central, d’un secrétaire d’État qui dispose d’agents dans ces nouveaux ressorts. Ce personnel administratif participe lui aussi de l’appropriation du territoire dans la mesure où il communique au gouvernement les informations utiles à la prise de décisions et applique ces dernières. À travers leur correspondance, les mémoires et les enquêtes qu’ils supervisent ou réalisent, ces agents contribuent activement à la connaissance et à l’administration de ces territoires nouveaux.

3.1.1. Des secrétaires d’État de tutelle

À l’instar de toutes les provinces, du royaume, l’Alsace et le Canada dépendent directement d’un secrétaire d’État. Le ressort de ces derniers est à la fois géographique et thématique : à des compétences spécifiques, à savoir la guerre, la marine, les Affaires étrangères, la Maison du roi et la Religion prétendue réformée, s’ajoute la responsabilité d’un certain nombre de provinces ou de colonies1. Les secrétariats sont fluctuants et peuvent être cumulés, comme lorsqu’en 1669,

le département de Colbert inclut la Marine et la Maison du Roi, en plus de sa fonction de contrôleur général des finances. Les secrétaires d’État contribuent à renforcer l’identité entre la personne du roi d’une part, et un État qui se développe à partir du XVIe siècle d’autre part, ne

1 La spécialisation géographie de cette charge remonte à Henri II, lorsqu’un règlement de 1547 fait entrer des États étrangers et des provinces du royaume dans les compétences des quatre secrétaires des commandements et finances. Il s’agit d’abord des provinces périphériques (Bretagne, Dauphiné, Savoie, Bourgogne, Picardie…) avant d’intégrer en 1567 des territoires du centre du royaume (Ile-de-France, Orléanais, Touraine…). Le terme de «  secrétaire d’État » apparaît quant à lui dans la lettre de provision de Florimond Robertet de Fresnes en 1558. BARBICHE Bernard, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne XVIe -XVIIIe siècle, Paris, Presses

universitaires de France, 1999, p. 175 ; C’est à la fin du XVIe siècle que des domaines de compétences liés à la nature des affaires apparaissent et supplantent les spécialisations géographiques, d’abord la Maison du Roi et la guerre (1570), puis les Affaires étrangères (1589), et enfin la «  Religion prétendue réformée » et la marine (1626). BARBICHE Bernard, « Le roi de guerre et son gouvernement, XVIe-XVIIIe siècle », in SARMANT Thierry (dir.), Les

ministres de la guerre, 1570-1792: histoire et dictionnaire biographique, Paris, Belin, 2007, p. 23‑24. Certaines

de ces dénominations (Marine, Guerre, Affaires étrangères) sont sans équivoque quant aux domaines de compétences qu’elles recouvrent. Le secrétariat d’État à la Maison du Roi a la responsabilité de la Maison du Roi proprement dite, des Bâtiments du roi, et des affaires générales du clergé. Le secrétaire d’État à la Religion prétendument réformée a la charge des affaires concernant les protestants.

serait-ce qu’à travers leurs origines sociales : ils « viennent du petit monde des secrétaires du roi, qui constituent le personnel de la chancellerie et écrivent au nom du souverain, mais ils s’en dégagent pour rejoindre la sphère de décision politique, qu’ils contribuent à éclairer et à formuler1 ». C’est là leur fonction principale : responsables des grandes administrations du

royaume, ils sont avant tout chargés de la transmission des ordres du roi dans les provinces, et à ce titre, correspondent constamment avec les agents de la monarchie qui s’y trouvent2. Que

ce soit en conseil de gouvernement ou lors d’entretiens privés avec le roi au cours de la « liasse » ou du « travail du roi », ils conseillent le souverain et relaient ses ordres3. Avec lui, ils fixent la

politique des territoires et des domaines d’administration dont ils ont la responsabilité. S’ils restent théoriquement privés du pouvoir décisionnaire, ils prennent, en réalité, la majorité des décisions courantes4.

3.1.1.1. L’Alsace entre Guerre et Affaires étrangères

Province frontière du royaume, mosaïque de territoires à la souveraineté disputée, tournée vers l’Empire et souvent théâtre de conflits, l’Alsace dépend alternativement du secrétariat d’État aux Affaires étrangères et de celui de la guerre. Jusqu’à la mort de Mazarin, c’est le principal ministre qui répartit les différents objectifs concernant l’Alsace entre Le Tellier (secrétaire d’État de la Guerre), Brienne (Affaires étrangères) et les surintendants des finances Servien et Fouquet. Officiellement, la province est dans le département de Le Tellier jusqu’à la fin de la guerre de Trente Ans, puis passe à Loménie de Brienne jusqu’en 1654, date à laquelle « le développement des troubles et l’apparition de l’armée du Roi en Alsace5 » la font retourner

dans le giron du secrétaire d’État de la Guerre jusqu’en 1661. Elle revient, au début du règne personnel de Louis XIV, aux Affaires étrangères, d’abord aux mains de Brienne, puis de Lionne.

En réalité, selon Georges Livet, il faut voir, pendant une longue période qui s’étend des années 1650 à l’année 1673, l’œuvre de Jean-Baptiste Colbert derrière celle des ministres et secrétaires

1 BÉLY Lucien, « Avant-propos », in SARMANT Thierry (dir.), Les ministres de la guerre, 1570-1792: histoire et

dictionnaire biographique, Paris, Belin, 2007, p. 13.

2 BARBICHE Bernard, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne XVIe - XVIIIe siècle, 1999,

p. 181‑184.

3 DRÉVILLON Hervé, « La monarchie des Lumières : réforme ou utopie », in CORNETTE Joël (dir.), Histoire de la

France politique. La monarchie. Entre Renaissance et Révolution, 1515-1792, 340e‑424e éditions, Paris, Éd. du Seuil, 2006, p. 294.

4 CORNETTE Joël, BOURQUIN Laurent, DRÉVILLON Hervé et al., Histoire de la France politique. La monarchie.

Entre Renaissance et Révolution, 1515-1792, Paris, Éd. du Seuil, 2006, p. 196 ; COSANDEY Fanny et DESCIMON Robert, L’absolutisme en France: histoire et historiographie, Paris, Éd. du Seuil, 2002 (Points Histoire 313), p. 146 ; OUELLET Marie-Ève, Et ferez justice, 2014, p. 57.

d’État. D’abord comme homme du cardinal Mazarin, puis comme intendant des finances, et enfin comme contrôleur général des finances, il domine l’administration de la nouvelle province. Cette influence passe par une correspondance soutenue et émaillée d’avis avec son frère Colbert de Croissy, président du Conseil souverain d’Alsace depuis 1658 et intendant de la province de 1659 à 1662, puis avec son cousin Charles Colbert, qui lui succède jusqu’en 16701. Après 1661, Colbert joue également un rôle dans l’orientation de la politique royale à

l’égard de la province, qui s’observe dans la préparation de l’ordonnance de 1662 pour la reconstruction et le repeuplement de l’Alsace, dans les entreprises de fortification de la province, ou dans l’arbitrage du conflit entre l’intendant Mathias Poncet de la Rivière (1670- 1673) et le gouverneur, le duc Mazarin (1661-1713)2.

Au début des années 1670 s’opère un glissement qui voit l’influence de Colbert dans la province disputée par celle de Louvois, alors même que l’Alsace n’est pas dans le département du secrétaire d’État à la Guerre. À la veille de la guerre de Hollande, Louvois est particulièrement attentif à l’état de la province, à celui de ses fortifications et de ses réserves3. C’est aussi à lui

que répond le nouvel intendant Poncet de la Rivière. En 1673, ce dernier est évincé alors que la guerre touche désormais l’Allemagne et menace l’Alsace. Deux transferts de compétences s’opèrent au profit de Louvois. Sur ordre du roi, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Pomponne, lui abandonne l’Alsace et la Lorraine en échange de provinces intérieures. Eu égard aux impératifs stratégiques de la défense du Rhin et de la frontière avec l’Empire, Colbert lui cède, quant à lui, la direction des fortifications. L’Alsace ne quittera presque plus le portefeuille de la Guerre jusqu’à la Révolution, à l’exception de deux brèves périodes où elle passe sous le contrôle du secrétariat d’État de la Marine (1719-1723) et des Affaires étrangères (1723-1725)4.

Il existait ainsi une étroite collaboration entre les secrétaires d’État successifs (mais aussi Colbert) et les intendants dans la province pour développer l’autorité royale auprès des populations, organiser le territoire et redresser l’économie. De fait, malgré l’influence du surintendant des finances, pendant la plus grande partie de la période concernant l’administration du royaume, c’est avec leur secrétariat d’État de tutelle que correspondent les

1LIVET Georges, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, 1648-1715, 1956, p. 193‑196. 2 Ibid., p. 308 et 350.

3 Ibid., p. 365‑366.

4 Attribution des secrétaires d’Etat d’après les Almanachs Royaux de 1699 à 1789, document de travail édité par les Archives Nationales de France. Après l’expérience de la Polysynodie, l’Alsace rejoint le département de Joseph Fleuriau d’Armenonville, nommé secrétaire d’État à la marine en 1718 mais qui avait également racheté la charge de secrétaire d’État aux Affaires étrangères deux ans auparavant. En 1723-1724, la province réintègre les Affaires étrangères en même temps que ce secrétariat d’État revient à Charles-Jean-Baptiste Fleuriau de Morville qui a la survivance de son père. En 1726, elle rejoint à nouveau et définitivement le secrétariat d’État de la Guerre.

agents royaux dans la province. En dépit des lacunes dans les archives, surtout concernant le

XVIIe siècle, les fonds de l’intendance d’Alsace aux archives départementales du Haut-Rhin et

du Bas-Rhin illustrent particulièrement ce constat : rares sont les lettres conservées portant la signature du surintendant des finances. Les ordres du roi transitent par le secrétaire d’État. En Alsace, c’est d’ailleurs ce dernier qui nomme l’intendant, à l’instar des autres provinces frontières, et non le contrôleur général des finances, comme c’est la norme dans le royaume. De même, les colonies constituent une autre exception : leurs intendants sont nommés par le secrétaire d’État de la Marine.

3.1.1.2. Le Canada et le secrétariat de la Marine

Le secrétariat d’État de la Marine est créé en 1626, sous l’impulsion de Richelieu, nommé grand maître de la navigation, et sensible à l’atout que représente une flotte de guerre permanente. Au moment où la Marine rejoint le domaine de compétence des secrétaires d’État, elle est divisée en deux : la Marine du Levant regroupe la flotte méditerranéenne de la France, celle du Ponant désigne la flotte Atlantique. Réunies en 1642, elles sont à nouveau divisées en 1661, mais attribuées toutes les deux en 1662 à Colbert. C’est cependant Hugues de Lionne, secrétaire d’État des Affaires étrangères, qui en assume officiellement la fonction jusqu’en 1669, date à laquelle Colbert achète à son tour une charge de secrétaire d’État1. Par ailleurs, c’est à partir de

ce dernier que les colonies entrent définitivement dans le domaine des secrétaires d’État, et plus particulièrement celui de celui de la Marine, conséquence logique de leur rattachement à la Couronne et de leur administration directe par le pouvoir royal. Alors que le secrétaire d’État

de la Guerre désigne l’intendant d’Alsace, c’est le secrétaire d’État de la Marine qui nomme l’intendant de Nouvelle-France, et c’est avec le secrétariat d’État que celui-ci correspond, lui qu’il informe et dont il reçoit les ordres. Cette correspondance, aussi dense que contraignante, présente trois caractéristiques liées à l’éloignement entre le Canada et la France : elle est hypertrophiée, déséquilibrée et décalée.

Dans sa thèse, Marie-Ève Ouellet a montré que le nombre de communications entre les intendants de la colonie et la métropole est largement supérieur à celui des échanges entre les intendants des provinces métropolitaines et le pouvoir central. À ces lettres s’ajoutent également les courriers et mémoires du gouverneur et des notables, créant une importante quantité de documents en transit, chaque année, entre Québec et Versailles. Cette masse

1 BARBICHE Bernard, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne XVIe - XVIIIe siècle, 1999,

épistolaire s’explique par l’impossibilité pour les administrateurs en poste de recevoir leurs ordres de vive voix : ils ne passent que rarement en France, et les secrétaires d’État ne se rendent pas au Canada. Cette correspondance est ainsi le seul moyen pour le pouvoir central d’appréhender la réalité de l’administration du Canada, et plus globalement l’état de la colonie. Elle est également déséquilibrée : il y a deux fois plus de lettres au départ du Canada qu’il n’y arrive, en raison de la nécessité pour les autorités coloniales de justifier, de détailler, « d’expliquer au secrétaire d’État les modalités d’application qui [leur] sont données1 ». Aux

lettres s’ajoutent de surcroît des mémoires et des pièces justificatives, alourdissant encore les dossiers au départ de Québec.

Enfin, elle est décalée en raison de l’espace-temps qui sépare la colonie et la métropole. Alors qu’à la fin du XVIIe siècle, l’Alsace est, au mieux, à onze jours de voyage de Paris, un navire

parcourt les quelque 4 800 kilomètres entre la France et Québec en six à douze semaines (le trajet retour dure moins longtemps, de quatre à six semaines). Le voyage n’est en outre possible qu’une partie de l’année : les navires ne peuvent naviguer sur le Saint-Laurent qu’en été et en automne2. Les ordres qui arrivent de France avec les premiers bateaux sont donc ceux basés sur

les lettres et rapports de l’année précédente. Les mois de septembre à novembre sont consacrés à la mise en place des mesures demandées par le secrétariat d’État et à la rédaction de la correspondance au départ, emportée par les derniers navires à quitter Québec à la fin de l’automne. Comme le note Marie-Ève Ouellet, « tout retard des navires en provenance de France produisait un effet domino et comprimait davantage le temps disponible pour la correspondance3 ». La distance qui sépare la colonie de la métropole complique ainsi les

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