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Une conception compréhensive de la cognition

Cette dernière affirmation est confirmée si l'on élargit la vision cognitiviste que nous avons développée ci-dessus, qui ne permet pas de rendre compte de la totalité de la place de la coopération dans l'apprentissage, en adoptant une définition plus compréhensive de la cognition. Nous pouvons dire avec M. Linard qu' "il n'est plus tabou, maintenant de rappeler que la connaissance humaine, qu'elle soit pratique ou conceptuelle, est composite par constitution et implique de façon incontournable :

un organisme biologique, incarné dans un corps, fondement de notre capacité à agir et à raisonner mais aussi à vouloir et à désirer des objets de satisfaction. Un être vivant est d'abord piloté non par la tâche à exécuter mais par sa survie dans les meilleurs conditions possibles;

un sujet psychologique, capable d'entrer de façon intelligible en interaction avec d'autres sujets à partir du présupposé tacite qu'il partage avec eux les mêmes principes d'intention et de signification, fondés sur une même motivation, ancrés dans les mêmes besoins et désirs, contrôlés par les mêmes règles et les mêmes normes sociales;

un acteur social qui occupe une place précise dans une société organisée, définie par des rôles, des statuts et des positions selon des rapports de force et de pouvoir, de contrat et de conflits d'intérêts qui varient avec les partenaires, l'espace et le temps".

Ainsi l'apprentissage est-il déterminé par des facteurs sociologiques, institutionnels, psychologiques, et technologiques, pour le type de formation qui nous intéresse, qu'il ne nous faut pas négliger. D'autant plus que ces facteurs, "amplifiés par la distance, sont devenus des variables déterminantes de la situation d'apprentissage".

Ceci permet de donner tout son sens au fait d'utiliser la coopération pour 'rompre l'isolement' de l'apprenant : il s'agit de transformer un apprentissage centré sur le dialogue entre l'apprenant et les contenus médiatisés avec le formateur dans le rôle du facilitateur, en une situation d'apprentissage plus favorable permettant de soutenir l'apprenant en prenant en considération les différentes dimensions de l'acte d'apprendre et en jouant sur l'ensemble des variables le déterminant. Si les nouvelles technologies ont déjà permis de développer les interactions entre apprenant et formateur permettant de mieux soutenir l'apprentissage, modifiant fondamentalement le rôle de ce dernier (Laurillard, Thatch, Murphy), les interactions sociales entre pairs peuvent également être utilisées pour motiver, pour socialiser, pour apprendre l'environnement de la situation d'apprentissage, pour rendre autonome dans l'utilisation des technologies, pour développer l'auto-direction dans l'apprentissage,…

Cette fonctionnalité non purement cognitive de l'interaction sociale, est également largement intégrée dans nombre de recherches et théories concernant la pédagogie en milieu scolaire. Ainsi si P. Mérieu est critique sur la valeur cognitive des interactions sociales dans les groupes fondée sur une logique "d'efficacité productive" ou de "plaisir partagé" ou d'information, il les intègre à part entière dans sa proposition d'ingénierie pédagogique des groupes (cf. annexes). L'objectif de chaque type de groupe se distingue très clairement des autres, mais prend ainsi toute sa valeur pédagogique :

Si la logique d'apprentissage individuel, préside au fonctionnement d'un groupe centré sur l'apprentissage afin de permettre des "acquisitions dans le domaine cognitif par évolution des représentations individuelles",

la logique de communication facilite la valorisation des compétences existantes dans un groupe centré sur l'information, ce qui, outre l'apport essentiel de l'échange d'informations dans l'apprentissage (dans des situations de co-élaboration ou de co- construction) peut favoriser une transformation de l'image de soi,

la logique d'efficacité productive, permet "l'incarnation du groupe" en le centrant sur la production, ce qui, outre l'apprentissage par situation de co-construction peut participer de la création d'un groupe social primaire,

tandis que la logique de plaisir partagé facilite l'intégration au travers des travaux d'un groupe centré sur la réconciliation, ce qui, outre un possible apprentissage en situation de co-élaboration, peut favoriser la socialisation des individus.

On voit donc émerger l'importance de la création du groupe, de la valorisation de l'image de soi, de l'intégration dans le groupe et du rôle de l'interaction sociale pour parvenir à ces objectifs.

Pour nous donc l'apprentissage coopératif englobe ces dimensions et concerne les activités coopératives qui n'ont pas pour objet la cognition dans son sens le plus restrictif, mais la mise en place et le soutien des conditions de la cognition ou la prise en charge des différentes dimensions de la cognition, qu'elles soient sociales, psychologiques, institutionnelles ou technologiques. Il nous faut noter que si l'objectif de la coopération est alors différent, les conditions de réalisation d'interactions à valeur cognitive restent identiques, à celles fixées pour l'apprentissage de connaissances.

C'est-à-dire, quelle que soit la logique de fonctionnement du groupe, suivant la définition compréhensive de la cognition donnée ici, croisée avec la nécessité d'une transformation individuelle à partir des interactions dans le collectif, nous pourrions définir qu'il y a apprentissage coopératif si un ou plusieurs, mais également dès qu'au moins un, des quatre éléments suivants évoluent chez l'individu au travers de l'activité coopérative :

1. l’attitude (intérêt, motivation,…) 2. les compétences

3. les connaissances

4. l’image de soi (la perception de ce que l’on est) (Evaluation Guidelines (DG XIII)

Cette définition de l'apprentissage coopératif, parce qu'elle est compréhensive, permet de rendre compte…

1. de l'approche interactionniste : "nous utiliserons le terme apprentissage coopératif pour désigner l'acquisition par les individus de connaissances, compétences ou attitudes comme résultat d'une interaction de groupe" (A. Kaye, A. Derycke),

2. de l'approche constructiviste : groupe comme lieu d'affirmation de soi et de socialisation,

3. de l'approche transmissive : groupe comme moyen de régulation,

et donc d'intégrer à notre étude l'ensemble des dispositifs en nous donnant les moyens de leur analyse.