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Une approche techno-sémiotique de l’instrumentation numérique

COMMUNICATIONNELLE DE L’INSTRUMENTATION

3. Une approche techno-sémiotique de l’instrumentation numérique

médiatique qu’est l’instrumentation. Cela revient à concevoir l’instrument comme un média, au sens large de « tout ensemble matériel qui définit certaines contraintes et certaines ressources pour la communication » (Ablali et Ducard, 2009 : 222)43, et la mobilisation d’un tel instrument comme une situation de communication.

3. Une approche techno-sémiotique de l’instrumentation numérique

3.1. Une sémiotique de l’instrumentation scientifique

L’une des contributions les plus éclairantes en terme d’analyse sémiotique de la médiation instrumentale nous semble se situer dans les travaux de Catherine Allamel-Raffin sur la place et le rôle des images dans les processus expérimentaux et les méthodes empiriques de la physique et de la biologie. Cette approche, rare et originale dans le champ des « études de science », nous intéresse tout particulièrement à ce stade de notre enquête pour l’attention soutenue qu’elle porte à la matérialité des instruments scriptovisuels qui accompagnent les pratiques effectives de recherche scientifique, dans une perspective épistémologique mais convoquant des concepts et des méthodes sémiotiques et ethnographiques. Cette réflexion témoigne de l’intérêt d’une tentative d’élucidation des processus non seulement techniques mais signifiants qui balisent la « fabrication » des connaissances. Les investigations menées par Catherine Allamel-Raffin rappellent l’ancrage de la recherche scientifique dans des pratiques techniques et sémiotiques relatives à l’écriture et démontrent l’importance d’une pensée des médiations 44 dans une interrogation de type épistémologique.

À la suite de ses recherches doctorales sur « la production et la fonction des images dans la physique » (Allamel-Raffin, 2004), dans le cadre du projet ANR « Images et dispositifs de visualisation scientifiques » (2008-2010) réunissant des sémiologues qui cherchent à confronter la théorie et la méthode sémiotiques aux pratiques de recherche des sciences de la nature, Catherine Allamel-Raffin interroge la notion d’« objectivité » à partir de l’étude des pratiques de production des images scientifiques. Son investigation, entre épistémologie et sémiologie, se donne pour ambition de comprendre l’objectivité à partir de la considération de pratiques scientifiques concrètes et effectives, celles qui ont trait à la représentation visuelle, en tenant compte de leur

43 Cette définition issue du Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques est attribuée à Emmanuël Souchier.

44 Le concept de médiation est rarement employé par l’auteur et, plus généralement, par les sémioticiens s’inscrivant dans le même domaine d’étude. Néanmoins il nous semble bien présent, en filigrane, dans ces réflexions centrées sur des dispositifs d’écriture considérés comme « tiers » opérant une relation de signification dans des démarches de connaissances fortement formalisées.

statut historique et sociologique. Cette enquête s’inscrit initialement dans la continuité des travaux de Lorraine Daston et Peter Galison sur les évolutions de la notion d’« objectivité » (Daston et Galison, 2012) mais cherche à les dépasser en poursuivant trois objectifs : i) faire varier le regard sur cette histoire des pratiques de représentation scientifique en prenant appui sur la sémiotique peircienne ; ii) dépasser l’approche génétique en proposant une perspective téléologique ; iii) montrer que la notion d’« objectivité » n’est pas réductible aux opérations techniques d’une « objectivité mécanique » mais qu’elle se traduit en réalité dans des pratiques beaucoup plus diversifiées dans les sciences de la nature et en particulier dans la physique contemporaine. Il s’agit donc de renouveler la réflexion de Lorraine Daston et Peter Galison sur l’imagerie scientifique à partir de la théorie sémiotique, et en particulier la sémiotique de tradition peircienne, en éprouvant ces concepts sur le terrain du laboratoire. La méthode employée par Catherine Allamel-Raffin repose sur des études ethno-sémiotiques menées au sein d’un laboratoire de physique des matériaux centrant l’investigation sur la production et l’exploitation d’images réalisées à partir de microscopes pour l’étude des propriétés des surfaces de divers matériaux. Le volet de la recherche qui nous intéresse ici consiste à appliquer les catégories de la sémiotique peircienne à l’étude des représentations visuelles produites et exploitées par les physiciens dans le but de comprendre à la fois la nature spécifique de ces images et leur place dans les processus de recherche scientifique.

Dans le cadre de la recherche en physique des matériaux, le rôle des images est déterminant et primordial car les chercheurs n’accèdent à leurs objets qu’à travers des représentations visuelles analogiques ou symboliques. On se situe donc, en quelque sorte, à l’horizon de la phénoménotechnique décrite par Gaston Bachelard. Dans ce contexte, l’avantage du recours à la sémiotique de Peirce est de permettre de réinscrire les images dans une perspective pragmatiste en cherchant notamment à exprimer les liens entre perception, interprétation et logiques d’action. En effet, les productions scriptovisuelles des sciences expérimentales ne visent pas seulement une représentation fidèle et cohérente des objets étudiés, mais elles visent également, et peut-être avant tout, la maîtrise des propriétés de ces objets. Ainsi, pour cette branche de la physique :

« Il s’agit bien à partir de données fournies par des perceptions (médiatisées par des instruments) de parvenir à l’action (l’élaboration de modèles théoriques, la réalisation concrète d’échantillons répondant à des qualités physiques précises, etc.) par le biais de la pensée (en s’appuyant sur toutes les théories physiques disponibles à notre époque). » (Allamel-Raffin, 2010 : 19)

Dans cette perspective pragmatiste, la sémioticienne élabore une typologie chronologique des différentes images produites en physique des matériaux dont elle cherche à définir le statut sémiotique d’après les catégories de la deuxième trichotomie proposée par Charles S. Peirce (indices, icônes, symboles). Elle distingue ainsi trois principaux types d’images utilisées par les chercheurs :

i) L’image source : image matérielle produite avec un microscope, elle dépend de la relation entre l’échantillon, la source de rayonnement lumineux et le dispositif imageant. Elle n’est pas de nature iconique car les objets qu’elle matérialise sont impossibles à percevoir sans médiation, ceux-ci se situant en-deçà du seuil de la lumière visible. C’est une image « mixte », à la fois indice et symbole : indicielle car elle résulte d’une connexion causale entre l’objet et le dispositif de représentation, symbolique car sa production ne dépend pas seulement du microscope mais nécessite déjà un codage informatique algorithmique.

ii) L’image retraitée : peut correspondre à des courbes, des schémas ou toutes autres représentations graphiques synthétiques produites à partir de la sélection de certaines informations fournies par l’image source. Il s’agit là encore d’un type d’images « mixtes » (indice et symbole) : elles peuvent être considérées comme des indices car elles sont toujours reliées à l’échantillon d’origine dans la mesure où toute modification de l’échantillon entraîne automatiquement une modification de l’image, et elles sont évidemment symboliques puisqu’elles relèvent de représentations visuelles abstraites et synthétiques réalisées à partir de données quantifiées automatiquement extraites grâce à des programmes informatiques.

iii) L’image de synthèse : image purement symbolique dont la fabrication dépend exclusivement d’une programmation informatique mettant en œuvre des algorithmes.

On peut retenir de cette typologie que la définition du statut sémiotique de l’image scientifique dépend, fondamentalement, de la relation qui s’institue entre les propriétés techniques de l’instrument imageant et les propriétés de l’objet visualisé. Les contraintes représentationnelles de la médiation instrumentale sont donc ici déterminantes dans la « réalisation » (Bachelard, 1968) et l’étude des phénomènes scientifiques. Autrement dit, la technique visuelle conditionne une relation épistémique entre la représentation sémiotique de l’objet, qui constitue la base « empirique » du phénomène, et l’objet « réel » que l’on cherche à atteindre et à analyser.

Dans une perspective diachronique, en s’appuyant sur différentes images scientifiques emblématiques d’une époque, Catherine Allamel-Raffin montre que les conséquences épistémologiques de cette relation intime entre dispositif imageant et « objet » sont constantes quelle que soit la technique utilisée (techniques picturales, photographie argentique, photographie numérique), ce qui tend à démontrer que la recherche d’une image parfaitement « objective » (considérée comme un effacement total des idiosyncrasies de l’observateur) ne correspond pas à la réalité des pratiques d’imagerie dans les sciences de la nature :

« Il faut parvenir à saisir la bonne image, celle qui délivre les informations que l’on juge importantes, par un travail d’ajustement et donc par un ensemble de procédures d’intervention que l’“objectivité mécanique” invitait à bannir. »45 (Ibid : 27)

L’exemple contemporain des images produites en astrophysique par l’intermédiaire de télescopes numériques est particulièrement représentatif de ces pratiques. Les représentations visuelles d’objets stellaires obtenues grâce à ces techniques résultent de l’interaction entre trois éléments fondamentaux : la lumière émise par l’objet, les caractéristiques techniques du télescope et le « processus imageant » qui se situe entre l’action de captation effectuée par la caméra et le traitement informatique réalisé par l’ordinateur intégré au télescope. Ce type d’image correspond donc à une image source de nature « mixte » (indiciaire et symbolique) dans la mesure ou elle résulte tout autant d’une connexion causale avec le télescope (captation de la lumière émise par l’objet stellaire) que de la numérisation de l’impression lumineuse qui implique nécessairement un codage informatique de données correspondant à une activité proprement symbolique (traduction mathématique de propriétés physiques). Il y a donc des conséquences épistémologiques majeures relatives à l’utilisation de cette technique sémiotique informatisée et à la mixité des images permise par la numérisation. Dans un tel dispositif représentationnel, les données issues du monde physique sont couplées aux théories physico-mathématiques sous forme de calculs programmés par des outils informatiques. La numérisation apporte des possibilités supplémentaires en terme de manipulation de l’image en permettant d’effectuer des corrections, des modifications, des extractions de données, des calculs, etc. Les possibilités de manipulation symboliques permises par le numérique associées à l’indicialité des techniques photographiques répondent bien aux attendus d’un travail de l’image dans le cadre d’une recherche scientifique, une pratique qui ne vise pas nécessairement, voire rarement, à servir de preuve de l’existence d’un objet ou d’un phénomène naturel, mais consiste le plus souvent à produire une représentation qui va servir de support à l’extraction de données vraiment « utiles » à la compréhension de l’objet ou du phénomène étudié. Ainsi, ce n’est donc pas forcément la technique imageante qui permet de produire une représentation la plus « fidèle » possible de l’objet qui est privilégiée dans ce type de recherche, mais celle qui est la plus à même de permettre de saisir et d’examiner les aspects de l’objet visés par l’étude. Autrement dit, il n’y a pas d’image « parfaite » en sciences de la nature, seulement des images idéales ou simplement « commodes » pour atteindre une certaine fin.

« Les images scientifiques ne sont pas jugées exclusivement à l’aune de leur capacité à reproduire un aspect de la nature, mais également à partir d’une prise en considération de leurs finalités. […] L’objectivité, telle que la conçoivent les scientifiques, n’est donc pas à mettre en relation avec le primat d’un statut sémiotique de l’image par rapport aux autres et on songe ici en particulier au statut indiciaire. Tout dépend en définitive du contexte, de l’objet et des finalités que l’on assigne à l’image. » (Ibid : 30-33)

En guise de prolongement, au sein du même groupe de recherche, Maria Giulia Dondero émet un constat semblable alors qu’elle interroge l’indicialité singulière de l’image scientifique :

« Dans le statut scientifique c’est encore différent : d’une certaine manière, pour être indicielle, il faut que l’image apporte un résultat qu’on peut évaluer par rapport à des attentes, à des hypothèses, au réglage des instruments, bref, aux motivations qui ont rendu nécessaire sa fabrication et aux instanciations qui l’on permise. […] Notamment dans le cas de l’imagerie contemporaine, l’indicialité doit être conçue en tant que résultat final d’un processus de transformation d’inscriptions. […] On pourra donner le nom d’indicielle à une série d’images non seulement quand il s’agira d’images produites par le biais d’une énonciation-émanation (motivation et contigüité en amont du processus), mais surtout quand ces images rejoindront les objectifs recherchés par une expérience conçue dans le cadre précis d’une discipline et d’une pratique de recherches (démarches interprétatives en aval du processus). D’une certaine manière, on pourra revisiter le concept d’indicialité en se posant cette question : est-ce que la chaîne des transformations des inscriptions qui sont censées “transporter” la référence d’un point de départ à un point d’arrivée, répond aux objectifs pour lesquels on l’a produite ? Ou mieux encore : est-ce que, à la fin de l’expérience, les dispositifs techniques de transformation de ces inscriptions (cadre de l’instanciation) sont commensurables avec les objectifs de l’expérience (cadre de la réception) ? Et voilà que la commensurabilité entre les dispositifs mis en jeu en vue d’un

objectif et les résultats finaux de cette chaîne de transformations pourrait finir par définir

l’indicialité des images de statut scientifique » (Dondero, 2010 : 93)

Cette conception des pratiques scientifiques de l’image indique qu’il est important d’adopter une optique téléologique si l’on veut comprendre le statut et la place de l’instrumentation dans l’épistémologie des sciences. Cette perspective téléologique est synthétisée par Catherine Allamel-Raffin dans la formule suivante : « S utilise X avec les contraintes représentationnelles C pour représenter W avec les finalités F »46. On ne peut pas se contenter d’un point de vue génétique – comment les inscriptions sont-elles produites et qu’impliquent-elles dans la production des connaissances scientifiques ? – mais il convient d’adopter une approche téléologique qui interroge le projet et les objectifs qui président à la production des phénomènes scientifiques – dans quel contexte (paradigmatique et historique), dans quel but et selon quel projet les inscriptions sont-elles élaborées et quelles en sont les conséquences sur la nature des connaissances produites ?

L’approche préconisée et les propositions théoriques déployées ici concernent spécifiquement l’image, objet privilégié des sémioticiens, mais apparaissent transposables à l’ensemble des techniques qui constituent l’instrumentation scientifique, celles-ci étant à envisager, fondamentalement, comme relevant toujours de processus d’écriture et donc entretenant des rapports étroits avec la représentation visuelle. Les savoirs et les concepts apportés par une sémiotique de l’instrumentation scientifique sont précieux et leur mobilisation s’avère particulièrement pertinente dans le cadre de notre étude. En effet, ils nous guident dans la formation d’une conception communicationnelle de l’instrumentation en insistant fortement sur

46 L’auteur reprend et complète la formule de Ronald Giere : « S utilise X pour représenter W avec les finalités F » (Giere, 2006 : 60).

l’importance d’une prise en compte du pouvoir agissant des médiations dans l’étude des pratiques de connaissance scientifique. Il y aurait beaucoup à emprunter à ces importants travaux et nous aurons l’occasion de les mobiliser à nouveau dans la suite de notre réflexion, mais c’est, pour le moment, la logique globale qu’ils instaurent qui nous intéresse particulièrement. Nous pourrions résumer cette logique dans la proposition suivante : les contraintes représentationnelles des dispositifs d’inscription, à la fois matérielles et symboliques, impliquent des régimes épistémologiques spécifiques. Il s’agit bien d’entrevoir comment une technique sémiotique sous-tend, voire conditionne, une épistémologie, dans une perspective téléologique qui permet de franchir l’obstacle de la perspective instrumentale fonctionnaliste. L’instrumentation est un processus de médiation techno-sémiotiquement élaboré et mis en œuvre en vue d’une certaine fin. Dans une certaine mesure, le dispositif instrumental porte un projet de connaissance : c’est une « ingénierie représentationnelle » au service d’un projet épistémologique.

3.2. L’instrumentation numérique au cœur d’une théorie des médias informatisés

En cherchant à inscrire la réflexion sur l’instrumentation numérique dans une perspective communicationnelle nous avons vu qu’il était possible de la concevoir comme un processus de médiation, toute instrumentation scientifique pouvant être considérée comme un ensemble de ressources matérielles visant à instituer une relation épistémique particulière entre un chercheur et des objets qu’il cherche à atteindre et à décrire. Aborder ainsi l’instrumentation à partir d’une conception de la communication basée sur le concept de médiation nous conduit à envisager les instruments comme des dispositifs médiatiques. Ainsi, les objets qui nous intéressent ici, les outils de traitement de données numériques dont s’équipent certains chercheurs en SHS, sont des applications informatiques qui, en tant que telles, doivent être considérées, dans le vaste espace des techniques, comme appartenant à l’ordre des médias, c’est-à-dire à un ensemble d’outils entièrement dédiés à la pratique de communication, qu’il s’agisse de mettre en relation des individus entre eux, de faire circuler l’information, ou bien plus généralement d’accompagner une activité intellectuelle de production et de circulation des savoirs. Les « constituer en médias » suppose d’intégrer dans leur définition trois composantes essentielles de la réalité médiatique : i) ce sont des objets dotés d’une matérialité (ils reposent sur un support aux propriétés physiques et techniques particulières) ; ii) ils traitent un matériau sémiotique là aussi spécifique (des signes, des langages) ; iii) ils interviennent toujours dans le cadre d’une situation de communication, culturellement située, qu’ils participent à conditionner et à transformer. Ces trois composantes ou dimensions sont communes à l’ensemble des objets médiatiques, elles en constituent, en quelque sorte, les caractéristiques essentielles qui permettent de les distinguer dans le domaine des techniques.

Toutefois, s’il est important de réinscrire les outils numériques dans le champ des médias, il convient pareillement de reconnaître que leur caractère numérique les dote de propriétés spécifiques. Plusieurs travaux de recherche en communication et en sémiotique, menés depuis les années 1990, ont permis d’élucider certaines des propriétés des applications numériques, objets que les chercheurs qui ont participé à ces recherches ont suggéré d’appeler les « médias informatisés »47. Nous proposons de nous appuyer sur ces travaux, en tentant d’exposer brièvement les principes théoriques et l’approche qu’ils ont contribué à définir, afin de poursuivre notre effort de conceptualisation de l’instrumentation numérique en SHS.

Les auteurs d’une importante série d’études visant précisément à élucider le statut et le mode de fonctionnement des médias informatisés rappellent l’importance d’instituer les objets numériques comme médias et soulignent les conséquences heuristiques de cette optique singulière :

« Les dispositifs techniques dédiés aux télécommunications se distinguent des autres objets techniques dont l’homme s’entoure en ceci précisément qu’ils sont destinés à l’échange, à la communication. […] Il nous faut donc constituer ces objets en médias et rompre de ce fait avec l’idée selon laquelle il ne s’agit là que d’une variante de l’objet technique. Les médias informatisés, ces “machines à communiquer”, pour reprendre l’expression de Pierre Schaeffer, ne sont pas des objets techniques comme les autres, ils organisent l’espace de la communication […]. Or l’organisation de l’espace de communication qu’ils mettent en scène passe par l’écriture (“l’écrit d’écran”) et le texte (“le texte de réseau”) et suppose des objets porteurs de signes, saisis par des interprètes et non simplement des instruments dotés d’un cadre de fonctionnement et mis en œuvre, d’une façon ou d’une autre, par des utilisateurs. […] Mais ces objets ne sont pas des moyens de nature technique mis au service d’une fin qui serait, elle, sociale ; en tant que médias, ils instituent la dimension symbolique des messages et la dimension sociale de l’échange. » (Souchier, Jeanneret, Le Marec, 2003 : 17-18)

Les applications numériques sont des dispositifs médiatiques car leur « fonction » principale est d’organiser la communication, entendue comme processus de médiation complexe, et leur mode de fonctionnement passe, de fait, par l’écriture, c’est-à-dire par une manipulation de signes. L’organisation de la médiation par l’écriture implique que l’utilisation de ces applications correspond à une pratique interprétative et non seulement à une activation technique. Cette conception médiatique du numérique réfute l’approche techniciste des techniques de communication en « centrant l’investigation sur les médiations assurées par l’écriture » (Tardy et Jeanneret, 2007 : 23). S’il s’agit d’accorder une place importante « à la matérialité des dispositifs d’écriture dans les processus de communication » informatisés, il s’agit aussi de ne pas « réduire l’objet informatique à sa seule dimension technique » pour ne pas oublier que « sa part sémiotique est déterminante » (ibid). Dans l’univers médiatique, ou plus généralement dans celui de la

47 Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier justifient l’emploi de l’expression « médias informatisés » en expliquant qu’elle a l’avantage de désigner « la dimension de communication sociale de ces dispositifs (médias) en même temps que le système technique qui en régit le fonctionnement (l’informatique) » (Jeanneret et