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Scientificité et instrumentation dans les sciences humaines et sociales

LA CONSTITUTIVITÉ TECHNIQUE DE LA SCIENCE

4. Scientificité et instrumentation dans les sciences humaines et sociales

souvent les chercheurs, n’est qu’une position épistémologique parmi d’autres et incarne un idéal scientifique relativement circonscrit historiquement.

Nous retiendrons surtout des propositions de Lorraine Daston et Peter Galison, à un niveau fondamental, qu’il est important de prendre en compte la valeur réflexive de l’instrumentation technique dans les processus de connaissance scientifique, de comprendre que les instruments ne sont pas de purs moyens matériels au rôle simplement opératoire et cognitif, mais qu’ils sont toujours porteurs de « valeurs », de représentations symboliques relevant de l’idéologie. Cette dimension symbolique, qui à la fois entoure et imprègne les ressources matérielles des pratiques scientifiques, correspond finalement à ce que nous avons pu nommer et ce que nous nommerons encore la « scientificité », comme une représentation idéologique d’un « faire science » qui se traduit, non seulement dans des discours sociaux sur la science, mais s’inscrit aussi dans des méthodologies et des technologies.

4. Scientificité et instrumentation dans les sciences humaines et sociales

4.1. Ces sciences qui ont une difficulté à être des sciences comme les autres

Ce titre est emprunté à une expression de Pierre Bourdieu qui, en traitant la question de la connaissance scientifique et de ses déterminations sociales, en se concentrant comme la plupart des sociologues des sciences sur les sciences de la nature comme archétype de la science, en vient finalement à s’interroger sur la particularité des sciences sociales, mais sans prétendre à des distinctions épistémologiques a priori entre ces deux domaines scientifiques. Pour lui, en effet, « l’exaltation de la singularité des sciences sociales n’est souvent qu’une manière de décréter l’impossibilité de comprendre scientifiquement leur objet » (Bourdieu, 2001 : 167). Il souligne par là que les sciences sociales ont souffert, et souffrent encore aujourd’hui, d’un relativisme et d’un scepticisme particulièrement sévère quant à la scientificité de leur démarche qui a freiné leur reconnaissance sociale et leur développement. Il ne veut pas céder à ce relativisme qui postule la dimension non scientifique de ces disciplines, sans nier complètement leur singularité. C’est ainsi qu’il propose d’admettre que « les sciences sociales sont des sciences comme les autres, mais qui ont une difficulté particulière à être des sciences comme les autres » (ibid : 168). Nous souscrirons ici à cette remarque et nous l’explorerons succinctement pour arriver à la question qui nous intéresse en tout premier lieu : celle du rapport des SHS à l’instrumentation technique, qui est évidemment toujours au cœur d’une enquête sur les enjeux d’une recherche numériquement équipée. Ainsi nous distinguerons au moins trois types de raisons qui expliquent les difficultés qu’éprouvent les SHS à

« être des sciences comme les autres » – sociologiques, épistémologiques, techniques et pratiques – les trois étant intimement liées dans la compréhension de la constitutivité d’une science.

Selon Pierre Bourdieu, reprenant le quatrième principe de réflexivité du « programme » fort19 (Bloor, 1976), les sciences sociales doivent se prendre pour objet en utilisant les mêmes instruments dont elles se saisissent pour étudier les autres sciences :

« Il faut demander à l’instrument d’objectivation que constituent les sciences sociales le moyen d’arracher ces sciences à la relativisation à laquelle elles sont exposées […]. Et pour cela il faut affronter le cercle relativiste ou sceptique et le briser en mettant en œuvre, pour faire la science des sciences sociales et des savants qui les produisent, tous les instruments que fournissent ces sciences mêmes et produire ainsi des instruments permettant de maîtriser les déterminations sociales auxquelles elles sont exposées. » (Ibid : 168-169)

En poussant ce principe, et dans l’optique de « se servir de la sociologie de la sociologie pour faire une meilleure sociologie » (ibid : 16), il va jusqu’à esquisser la possibilité de constituer une sociologie de la sociologie des sciences. Selon la sociologie du champ scientifique, la spécificité sociologique des sciences sociales est à chercher dans le principe d’autonomie qui est l’une des propriétés définitoires du champ. Pierre Bourdieu considère que la maturité scientifique d’une science se mesure d’abord à son niveau d’autonomie dans la société par rapport à des instances extérieures, notamment politiques, économiques et religieuses, qui peuvent faire pression sur elle et orienter fortement son projet. Faire reconnaître son autonomie est un moyen pour un champ scientifique donné de se constituer sa propre normativité sociale et épistémologique, échappant ainsi à toute autre implication sociopolitique qui pourrait nuire à son développement : « Dans un champ très autonome, c’est le champ qui définit non seulement l’ordre ordinaire de la “science normale”, mais les ruptures extra-ordinaires, ces “révolutions ordonnées” dont parle Bachelard » (ibid : 169-170). Or, le sociologue constate que les sciences sociales ne jouissent pas de la même autonomie que les sciences naturelles, et il entrevoit trois facteurs explicatifs de cette faible autonomie, l’un externe et les autres internes au champ.

La première raison à l’hétéronomie du champ des sciences sociales tient au fait que la société elle-même – les instances extérieures politiques et économiques – n’accepte pas d’abandonner entièrement aux sciences sociales la définition de la société, de ses structures et de ses lois, ce qui entraîne une remise en cause permanente de la véracité des « faits » que ces sciences sont susceptibles de découvrir. L’humain et la société constituent des objets trop épineux, trop soumis

19 Le quatrième principe méthodologique du « programme fort » énoncé par David Bloor renvoie à un impératif de réflexivité exigeant que la sociologie des sciences s’applique à elle-même le traitement qu’elle applique aux autres sciences, c’est-à-dire qu’elle accomplisse son propre examen sociologique.

aux affects, aux considérations individuelles, aux idéologies politiques, pour concéder à une petite poignée d’experts le monopole de leur vérité.

« Et, de fait, tout le monde se sent en droit de se mêler de sociologie et d’entrer dans la lutte à propos de la vision légitime du monde social, dans laquelle le sociologue intervient aussi, mais avec une ambition tout à fait spéciale, que l’on accorde sans problème à tous les autres savants, et qui, en son cas, tend à paraître monstrueuse : dire la vérité ou, pire, définir les conditions dans lesquelles on peut dire la vérité. » (Ibid : 170)

De plus, ces fortes pressions externes qui affaiblissent l’autonomie des sciences sociales ont des répercussions importantes à l’intérieur du champ, du fait de la faiblesse de son droit d’entrée. Cela se traduit en particulier par une autonomie inégale des agents à l’intérieur du champ. Dans les champs moins autonomes, les agents les plus hétéronomes, ceux qui vont chercher des ressources à l’extérieur du champ, sont plus enclins à s’imposer socialement que dans des champs très autonomes où, à l’inverse, le droit d’entrée est très strict et où l’hétéronomie est proscrite et fortement sanctionnée. Ces agents qui vont puiser des ressources, économiques et/ou symboliques, en répondant à la demande sociale externe « ont donc plus de chances de l’emporter dans la logique du plébiscite – ou de l’applaudimètre ou de l’audimat » (ibid : 171) et, de ce fait, fragilisent d’autant plus la stabilité interne du champ. Pierre Bourdieu constate ainsi, au sein des sciences sociales, une forme de laxisme dans les normes qui régulent l’attribution du capital scientifique. La faible qualité scientifique d’une contribution n’est pas nécessairement sanctionnée (symboliquement) par la communauté, voire elle pourra facilement prospérer, si elle apporte au champ des soutiens matériels, institutionnels ou politiques. Cette souplesse dans l’obtention du capital symbolique a pour effet de renforcer encore la faiblesse des structures qui garantissent la fermeture du champ telles que les logiques de censure mutuelle.

Enfin, un troisième facteur d’hétéronomie des sciences sociales, qui complique leur « rupture sociale » comme « condition de la construction scientifique » (ibid : 172), tient à la nature même de leur objet. En effet, l’objet des sciences sociales, même s’il tend à être considéré, pour répondre aux normes de l’objectivité scientifique, comme extérieur au sujet connaissant, demeure un objet socialement construit. Selon une vision constructiviste, comme toutes sciences, les sciences sociales sont socialement construites, mais leur objet a la particularité d’être lui aussi une construction sociale :

« La science sociale est donc une construction sociale d’une construction sociale. Il y a dans l’objet même, c’est-à-dire dans la réalité sociale dans son ensemble et dans le microcosme social à l’intérieur duquel se construit la représentation scientifique de cette réalité, le champ scientifique, une lutte à propos de (pour) la construction de l’objet, dont la science sociale participe doublement : prise dans le jeu, elle en subit les contraintes et elle y produit des effets, sans doute limités. » (Ibid : 172-173)

Si toutes les sciences sont soumises à des controverses, comme le rappelle Bruno Latour, et si la lutte est définitoire du champ scientifique, selon une perspective bourdieusienne, les sciences sociales sont atteintes de controverse chronique, permanente, externe comme interne. Si cela ne permet pas d’attester, sur un plan purement épistémologique, la faiblesse de la valeur de scientificité des savoirs qu’elles produisent, en revanche, cela nuit considérablement à la reconnaissance sociale de leur scientificité qui demeure un enjeu de lutte sans fin :

« La sociologie ne peut espérer la reconnaissance unanime que s’attirent les sciences de la nature (dont l’objet n’est plus du tout – ou très peu seulement – un enjeu de luttes sociales hors du champ) et elle est vouée à être constamment contestée, controversial. » (Ibid : 173)

Faire l’épistémologie des SHS revient souvent à comparer leurs pratiques à celles de leur antonyme, les sciences de la nature, qu’il s’agisse d’apporter la preuve de leur scientificité ou bien d’insister au contraire sur leur singularité en soulignant leur caractère « non scientifique » ou « non exclusivement scientifique ». Une telle épistémologie consiste toujours à se reporter à des canons scientifiques que l’on associe aux manières de faire, aux attitudes de recherche, aux paradigmes et aux outils des sciences « bio-physico-chimiques ». C’est une tâche difficile, d’autant plus qu’elle expose celui qui s’y atèle à de virulentes et tenaces controverses, l’un des enjeux fondamentaux étant d’aboutir à un consensus permettant de distinguer ce qui est scientifique et ce qui ne l’est pas. Néanmoins, on peut dire que cette question, si elle reste largement non résolue épistémologiquement, a trouvé une réponse sociale et historique : les normes de validité scientifique dépendent exclusivement des canons fixés par les sciences de la nature (et encore celles qui peuvent prétendre respecter les protocoles de la physique), celles qui sont d’ailleurs souvent nommées « sciences exactes ». Si bien qu’il faut parfois se résoudre à une définition antonymique des SHS comme toutes les sciences qui ne sont pas des sciences de la nature : « Tout ce qui n’est pas du ressort des sciences exactes et naturelles pourra, de ce seul fait, prétendre à relever de sciences d’un autre type, dont le champ deviendra pratiquement illimité. » (Lévi-Strauss, 1964 : 581). Bien que nous ne pourrons qu’en esquisser ici quelques traits, ces considérations épistémologiques nous paraissent importantes pour évoquer certaines questions soulevées, souvent en creux, et laissées en suspend par ceux qui voudraient voir dans une logique d’équipement numérique le moyen de diminuer, si ce n’est d’abolir, la distance constitutive entre SHS et sciences de la nature.

Ces débats ne sont pas nouveaux et les SHS semblent toujours prises dans des tourments épistémologiques où elles oscillent sans cesse entre l’appel à un idéal de scientificité incarné par les sciences de la nature, auquel elles se heurtent constamment, et l’assomption du caractère imprécis et flou de leurs objets comme de leurs méthodes. Historiquement, l’idée des « sciences humaines et sociales » semble s’être construite en rapport aux sciences de la nature. Cette idée émerge alors que

certains domaines du savoir s’intéressant exclusivement à la question des conduites humaines tendent à quitter l’horizon philosophique duquel ils sont issus pour atteindre celui des sciences de la nature. À partir du XIXe siècle, on cherche à objectiver les « faits » humains en les traitant comme des « choses » selon une méthode rigoureuse (Durkheim, 1895), proche des sciences naturelles empiriques, voire expérimentales. On questionne la possibilité de « scientificiser » l’histoire (Cournot, 1861 ; Dilthey, 1883 ; Aron, 1938) et, dans le même temps, on assiste à l’institutionnalisation de disciplines nouvelles qui cherchent à s’autonomiser et à se légitimer : ethnologie et anthropologie, sociologie, psychologie, linguistique et science économique, qui constituent encore aujourd’hui le socle des sciences dites « sociales ». La naissance des SHS est donc marquée par un mouvement positiviste, notamment porté par la sociologie, qui se caractérise par un espoir de connaître entièrement l’humain à partir de concepts opératoires, de méthodes et d’instruments rigoureux, où il s’agit d’assimiler les « choses » humaines aux « choses » naturelles en les faisant rentrer dans la catégorie des « faits » scientifiquement observables. Un courant comme celui des « behavioral sciences »20 illustre assez bien cette tendance et semble même se placer au paroxysme de la tentation positiviste des sciences sociales. Le terme est fondé aux États-Unis dans les années 1960 et désigne un ensemble de disciplines qui se distinguent des « sciences sociales » traditionnelles en étudiant les « comportements » humains selon des normes et des pratiques directement empruntées aux sciences de la nature et collaborant étroitement avec certaines branches de la biologie, de la physique, des mathématiques, etc. Le champ, très exclusif et restreint, regroupe essentiellement des domaines de la psychobiologie, de la psychologie cognitive et des théories de la communication. On voit comment cette terminologie suggère une nouvelle classification des SHS sur un modèle hiérarchique, selon une attitude résolument sélective, qui vient en fait justifier et légitimer la suprématie des sciences de la nature. Les « behavioral sciences » témoignent finalement de la trajectoire de la psychologie dans sa quête de scientificité où elle cherche à se distinguer d’une philosophie de la « conscience » pour devenir une science du « comportement » dont l’objet peut s’objectiver par des méthodes expérimentales, dans l’espace d’un laboratoire, avec du matériel médical et même des techniques informatiques, se dirigeant ainsi vers le « computationnisme » (sur le modèle de la génétique) et la neuropsychologie, limitant son projet à l’étude clinique du fonctionnement du cerveau, lui-même réduit à une machine de traitement de l’information.

Bien sûr ce type de trajectoire n’est pas assimilable à l’évolution globale des SHS et des courants adverses tendent à modérer cet élan positiviste, alors considéré comme une forme de réductionnisme, en cherchant à découvrir et à assumer la singularité des SHS, sans pour autant décréter a priori que les phénomènes humains sont scientifiquement inconnaissables. Plusieurs

20 American Association for the Advancement of Science, éd., (1962), « Strengthening the Behavioral Sciences », Science, vol. 136, n° 3512, p. 233-241.

particularités sont ainsi communément pointées : le fait qu’on a affaire à des « objets » doués d’intentionnalité et de liberté, donc en quelque sorte toujours plus « complexes » et incertains en comparaison à la stabilité des phénomènes du monde naturel ; la difficulté à produire des modèles prédictifs ; la dimension fortement interprétative de l’enquête, c’est-à-dire fondée sur une « herméneutique » qui cherche à « comprendre » plutôt qu’à « expliquer » (Aron, 1938) ; l’engagement du chercheur dans son objet et l’exigence de la réflexivité ; etc.

Pour avancer encore un peu plus dans la tentative d’élucidation de la singularité épistémologique des SHS, nous proposons d’évoquer brièvement un essai de Claude Lévi-Strauss qui nous semble nourrir remarquablement cette réflexion. Alors qu’il est consulté par l’Unesco dans le cadre d’une étude de grande ampleur visant à mettre au jour les tendances principales de la recherche dans le domaine des sciences de la société21, l’anthropologue se propose de définir ce qu’il considère comme « les critères scientifiques dans les disciplines sociales et humaines » (Lévi-Strauss, 1964a). Il note que depuis l’antiquité, dans les nombreuses tentatives d’établir une classification des sciences, « le problème de la classification des sciences sociales et humaines n’a jamais été sérieusement traité » (ibid : 586). Selon lui cette classification s’est fondée sur « l’unité factice » des SHS, une idée qu’il cherche à récuser en montrant qu’elle ne tient plus dès lors qu’on cherche à mettre cet ensemble hétérogène de disciplines sur le même plan que les sciences de la nature. Dans ce texte il adopte une position ferme qui consiste à démontrer en quoi l’ensemble des disciplines que l’on range arbitrairement sous « l’étiquette des sciences sociales et humaines », ne sont pas des sciences, bien que l’on se donne le plus grand mal à essayer de les reconnaître comme telles :

« L’auteur du présent article a consacré sa vie entière à la pratique des sciences sociales et humaines. Mais il n’éprouve aucune gêne à reconnaître qu’entre celles-ci et les sciences exactes et naturelles, on ne saurait feindre une parité véritable ; que les unes sont des sciences, et que les autres n’en sont pas ; et que si on les désigne pourtant par le même terme, c’est en vertu d’une fiction sémantique et d’une espérance philosophique à laquelle les confirmations manquent encore […]. Nul ne doute que les sciences exactes et naturelles ne soient effectivement des sciences. [...] Mais, quand on passe aux sciences sociales et humaines, [...] le terme “science” n’est plus qu’une appellation fictive qui désigne un grand nombre d’activités hétéroclites et dont un petit nombre seulement offrent un caractère scientifique (pour peu qu’on veuille définir la notion de science d’une même façon). En fait, beaucoup de spécialistes des recherches arbitrairement rangées sous l’étiquette des sciences sociales et humaines seraient les premiers à répudier toute prétention à faire œuvre scientifique, au moins dans le même sens et dans le même esprit que leurs collègues des sciences exactes et naturelles. » (Ibid : 580-581)

21 Cette étude commandée par l’Unesco devait prolonger un premier rapport publié en 1961, intitulé Tendances

actuelles de la recherche scientifique dirigé par Pierre Auger et consistant en une « étude sur les tendances

principales de la recherche dans le domaine des sciences exactes et naturelles, la diffusion des connaissances scientifiques et leur application à des fins pacifiques ». Un comité d’experts composé de différentes personnalités du monde la recherche académique en sciences sociales, parmi lesquelles on trouve notamment Paul Lazarsfeld et Jean Piaget, est consulté et se réunit à Paris en juin 1964 pour tenter de définir les termes selon lesquels une telle enquête peut être menée et d’en pointer les difficultés. Leurs propositions sont publiées sous forme d’articles dans un dossier, intitulé « Problèmes posés par une étude des sciences sociales et humaines », de la Revue internationale des sciences sociales éditée par l’Unesco.

Dans cette perspective, il relève trois critères de « non scientificité » majeurs qui distinguent, selon lui, les sciences de la nature des « sciences » de la société :

i) L’inutilité sociale des savoirs que les SHS produisent, qui n’est donc pas un critère sur lequel il est possible de les évaluer.

ii) Leur impossibilité à respecter le dualisme de l’observateur et de son objet, rendant très difficile, voire impossible, toute forme d’expérimentation selon les canons fixés par les sciences de la nature :

« Car, s’il leur fallait se modeler intégralement sur les sciences exactes et naturelles, elles ne devraient pas seulement expérimenter sur ces hommes qu’elles se contentent d’observer (chose théoriquement concevable, sinon facile à mettre en pratique et admissible moralement) ; il serait également indispensable que ces hommes ne fussent pas conscients qu’on expérimentât sur eux, faute de quoi la conscience qu’ils en prendraient modifierait de manière imprévisible le processus de l’expérimentation. » (Ibid : 583)

iii) Les SHS sont des sciences qui ne sont ni explicatives, ni prédictives :

« Jusqu’à présent, les sciences humaines ont dû se satisfaire d’explications floues et approximatives, auxquelles le critère de la rigueur fait presque toujours défaut. En vérité, la fonction des sciences humaines semble se situer à mi-chemin entre l’explication et la prévision